MISVIL - Chapitre 106 – Réponses à la mission

 

Song Qingshi comprit : « C’est un prince au petit pois… »

(NT : Référence au conte ‘la Princesse au petit pois’ de Hans Christian Andersen)

Le Maître de l’Épée Mo Yuan perdit la raison. Il massacra tout le monde et fut finalement exterminé par l’union des grandes sectes. Rongés par la honte et la culpabilité, les survivants effacèrent toute trace de cette erreur de l’histoire.

Song Qingshi retourna dans le brouillard dense, les yeux emplis de larmes. Il voulait courir jusqu'à Wuhuan, celui du monde de la mémoire de Mo Yuan, pour lui dire qu’il était vivant, que peu importe le nombre de réincarnations, il reviendrait toujours le chercher. Mais la brume était trop dense. Il n’arrivait pas à retrouver le chemin.

Pris de panique, il remarqua soudain qu’une nouvelle option était apparue dans la formation de Mo Yuan : « Recommencer ».

Song Qingshi n’hésita pas une seconde. Il choisit de recommencer et se rua de nouveau dans le monde de la mission.

Cette fois, il sauverait aussi Qu Yurong. Il voulait rendre sa copie parfaite tout en sauvant Wuhuan !

*

Song Qingshi connaissait désormais l’emplacement de la cible de mission, ce qui lui fit gagner beaucoup de temps. Il exécuta un plan audacieux : après avoir incendié le trésor du pavillon Tianxiang, il s’empressa de libérer Wuhuan de son cachot, le chargea sur son dos sans discuter, le sortit hors des murs, l’assomma avec des aiguilles d’or pour qu’il ne s’échappe pas, et le cacha dans un coin sûr. Puis, il retourna chercher Qu Yurong, en pleurs dans sa chambre, et lui montra un panneau sur lequel était écrit qu’il était venu pour le sauver.

Qu Yurong venait d’arriver au pavillon Tianxiang. Il refusait encore de devenir courtisan, pleurait chaque jour. Heureux d'être secouru, il suivit Song Qingshi sans réserve.

Avec Wuhuan sur le dos et Qu Yurong à ses côtés, Song Qingshi revint sans encombre à la chaumière, suivant fidèlement son plan initial.

Quand Wuhuan se réveilla, Qu Yurong servit d’interprète. Il lisait les messages écrits par Song Qingshi sur son panneau de bois et les transmettait, ce qui permit une communication fluide entre les trois. Aucun malentendu n’eut lieu.

Cette fois, Song Qingshi évita les coups de Wuhuan, mena à bien le traitement et garda les deux à ses côtés pour les soigner.

Qu Yurong était d'une beauté rare, mais cette beauté avait été acquise au prix de son intelligence. Il était non seulement lent d’esprit mais souffrait aussi de troubles de la lecture. Song Qingshi tenta de lui enseigner, mais au moindre passage un peu long, Qu Yurong sautait des mots, les emmêlait ou les lisait à l’envers. Après trois jours d’efforts, il n’avait toujours pas retenu la première page, fondant en larmes et s’excusant.

Song Qingshi resta interdit. Il avait l’impression d'être face à un riche héritier fils de professeurs, mais n’ayant jamais réussi ses examens. Qu Yurong était doux, ne se plaignait jamais des conditions rudimentaires de la chaumière. Mais c’était un jeune maître élevé dans le luxe, incapable de s’occuper de lui-même.

Après avoir mangé le porridge médicinal préparé par Song Qingshi, il eut des troubles digestifs si graves qu’il faillit mourir. Il essaya de cuisiner, mit le feu à la chaumière. Il dérangeait les plantes médicinales, se blessait en coupant du bois, tomba presque dans le ravin en allant chercher de l’eau. La nuit, il n’arrivait pas à dormir sur les paillasses rugueuses, qui irritaient sa peau. En quelques jours, il avait déjà fondu à vue d’œil.

Plein de remords, il s’excusait sans cesse. Il voulait bien faire, mais échouait toujours.

Song Qingshi comprit : « C’est un prince au petit pois… »

Dans le roman d’origine, Qu Yurong avait beau être souillé par des hommes, sa vie était luxueuse. Son niveau de cultivation avait été obtenu grâce à des médicaments rares. Ces défauts ne s'étaient donc jamais révélés.

Song Qingshi voulut en faire un érudit, lui faire trouver un sens à sa vie dans l’apprentissage, mais son plan échoua. Qu Yurong ne savait rien faire d’autre que traduire entre lui et Wuhuan, et l’aider à apprendre à lire. Song Qingshi fut d’abord déçu, mais il comprit que l’intelligence ne se forçait pas. Il traita alors Qu Yurong comme un petit ancêtre, lui enseigna comme à un enfant de maternelle, avec louanges et douceur, espérant lui transmettre un peu de savoir et l’aider à ne plus tomber dans les filets de mauvais hommes.

Il consacra beaucoup d’efforts à rendre Qu Yurong moins délicat.

Wuhuan, lui, était doux et obéissant, faisait tout sans qu’on le lui demande et s’entendait bien avec Qu Yurong.

Song Qingshi, rassuré par l’intelligence de Wuhuan, soigna chaque jour son corps et accéléra sa cultivation avec des pilules. Cette fois, il évita les détours, guérit sa jambe et son corps, prépara les médicaments pour ses yeux, et attendit le bon moment pour sauver l’ancien maître de l’épée.

Tout était prévu avec soin.

Qu Yurong s’attachait de plus en plus à Song Qingshi. Il était collant, affectueux, disait qu’il ne voulait jamais le quitter.

Wuhuan resta silencieux un moment, puis sourit. Il caressa doucement la tête de Qu Yurong et demanda d’une voix douce : « Pour toujours ? »

Qu Yurong répondit joyeusement : « Oui, j’aime grand frère Qingshi. »

Voyant que leurs relations étaient bonnes, Song Qingshi se détendit et se consacra à la fabrication de pilules et à gagner de l’argent l'argent pour leurs dépenses quotidiennes.

Mais un jour, en cueillant des plantes médicinales, il ressentit un malaise. De retour plus tôt que prévu, il découvrit que Qu Yurong avait disparu. Il interrogea Wuhuan, qui revenait à toute hâte du ruisseau.

« Je ne sais pas, dit Wuhuan calmement. Il m’a dit qu’il allait cueillir des fruits dans la montagne et n’est pas revenu. »

Song Qingshi s’apprêtait à partir le chercher lorsqu’une alerte de mission échouée apparut à nouveau dans son esprit.

Son corps commença à se transformer. Des signes de diabolisation ressurgirent…

Baissant les yeux, il aperçut des taches de sang frais mal nettoyées sur la manche mouillée de Wuhuan.

Il comprit tout.

« Ne pense plus à lui, » dit Wuhuan avec angoisse. « Il était agaçant. Je n’aimais pas sa voix quand il te parlait, je n’aimais pas quand tu le complimentais, ni quand ton attention était tournée vers lui… Chaque fois que je l’entendais, j’avais mal. Je ne pouvais pas me contrôler. Je t’aime, follement. Ne regarde que moi, N’aime que moi seulement, d’accord ? »

Song Qingshi réalisa ce qu’il avait oublié : l’amour de Wuhuan était d’une possessivité dévorante. Il était incapable de tolérer la présence d’un rival. Il éliminerait quiconque menacerait leur lien.

Qu Yurong était mort. La mission avait à nouveau échoué.

Song Qingshi vit la brume se répandre encore une fois devant ses yeux, des larmes chaudes coulant sur ses joues. Il comprit qu’il allait devoir recommencer...

*

La troisième fois, il prit une décision douloureuse. Après avoir sauvé les deux, il confia Qu Yurong à une famille bienveillante, les séparant définitivement. Mais la beauté et la simplicité de Qu Yurong attirèrent bientôt des individus malintentionnés. Échec tragique de la mission.

La quatrième fois, il tira les leçons du passé. Il visitait régulièrement Qu Yurong pour le protéger, mais Wuhuan, aveugle et très sensible, finit par deviner ses absences et sombra dans le désespoir et la jalousie. Nouvelle tragédie, nouvel échec.

La cinquième fois, il durcit son coeur et cacha son identité, se fit passer pour un vieux médecin, guérit Wuhuan et le confia à une famille fiable, rompant tout lien affectif. Il se consacra à la mission de Qu Yurong, tout en collectant les remèdes pour les yeux de Wuhuan. Mais Wuhuan mourut subitement. Il faillit s’effondrer.

Sixième fois…

Septième fois…

Song Qingshi relança plus de cent fois la mission confiée par le Maître de l’Épée Mo Yuan, échouant à chaque tentative.

Chaque fois qu’il sauvait Wuhuan, celui-ci tombait amoureux de lui et éliminait tous les obstacles autour de lui, provoquant l’échec de la mission. S’il choisissait d’ignorer Qu Yurong, cet idiot finissait par provoquer une série de désastres, réitérant la tragédie et menant à un nouvel échec. Il tenta même de plonger Qu Yurong dans un sommeil prolongé, de le cacher quelque part, dans l’attente que les émotions de Wuhuan se stabilisent pour ensuite agir… Mais cette méthode ne correspondait pas à la définition du bonheur, et la mission fut de nouveau déclarée échouée. Il envisagea également d’endormir d’abord Wuhuan, de terminer la mission de sauvetage de Qu Yurong, puis de le réveiller ensuite. Cependant, Wuhuan, vif d’esprit, perçut aussitôt la manœuvre, le prit pour un traître, s’enfuit… et la tragédie recommença.

La mission s’était enlisée dans une boucle sans fin.

À force de recommencements, Song Qingshi comprit enfin le véritable sens du terme «sans solution». La mission confiée par Mo Yuan et celle assignée par le système étaient en réalité deux choses distinctes.

La mission de Mo Yuan était : « Sauver Wuhuan ».

La mission du système était : « Sauver Qu Yurong ».

Ces deux objectifs entraient en conflit. Si la mission de sauvetage de Qu Yurong était menée à bien, celle confiée par Mo Yuan échouait. À l’inverse, s’il choisissait de sauver Wuhuan, la mission du système était considérée comme un échec. Quant à tenter de sauver les deux, cela conduisait inévitablement à ce que Wuhuan tue ou élimine Qu Yurong, ce qui aboutissait, là encore, à un échec.

Wuhuan était bien trop intelligent. Il refusait de croire à l’existence des missions, et il était impossible de lui mentir. Il excellait même dans l’art de la comédie : il feignait la crédulité, puis frappait au moment critique, réduisant la mission en miettes. Son amour et sa haine étaient brûlants, mêlés de fierté et d’un penchant autodestructeur. Si Song Qingshi lui mentait ou rejetait ses sentiments, Wuhuan sombrait dans le désespoir, déclenchant un final encore plus tragique marqué par l’autodestruction…

Song Qingshi en venait presque à pleurer sur ses exercices. Pourtant, il ne renonçait pas, cherchant sans relâche de nouvelles approches pour résoudre l’énigme.

Finalement, le cercle magique de Mo Yuan fut déchiré par la puissance effrayante de Feng Jun. Il fut arraché de force de la formation.

Dans l’instant précédent, la voix résiduelle du Seigneur de l’Épée Mo Yuan lui murmura depuis le cercle magique : « La seule réponse à "sans solution" est : renoncer. »

Song Qingshi lutta pour retourner dans le cercle : « Je ne renoncerai jamais. »

*

Au sein de la secte Tianwu, sur le terrain d’entraînement martial, tous étaient déjà revenus, leurs missions ayant échoué. Ils discutaient des réponses obtenues.

Dans la formation de Mo Yuan, chaque participant s’était vu attribuer un rôle différent, plus ou moins prestigieux. Tous avaient fait le choix de sauver Qu Yurong. Quelques âmes compatissantes, trouvant Wuhuan trop misérable, l’avaient également secouru, mais l’avaient ensuite abandonné à d’autres, sans plus s’en occuper. Aucun ne comprenait pourquoi la mission avait échoué, même après avoir sauvé Qu Yurong avec succès…

Le plus affecté était le Maître de la secte Tianwu, Yuwen Yan. Il avait eu de la chance : son rôle de départ était celui d’un maître de secte, un expert au stade de l’Âme naissante, puissant et respecté. Il s’était précipité au Pavillon Tianxiang, avait dépensé une fortune pour racheter Qu Yurong, l’avait accepté comme disciple personnel, l’élevant comme son propre fils. Il lui avait offert des pilules rares pour atteindre le stade du Noyau doré, lui avait enseigné les classiques des sages, inculqué les valeurs de droiture et de morale, allant jusqu’à le corriger à coups de bâton pour redresser son orientation sexuelle, lui choisissant une épouse noble et vertueuse avec qui il eut deux beaux enfants. Cela aurait dû être une fin heureuse, un sommet de félicité, n’est-ce pas ?

Et pourtant…

Alors qu’il se préparait à mourir le sourire aux lèvres, Qu Yurong s’approcha de lui et lui révéla avoir vécu dans la douleur toute sa vie. Il en aimait un autre, un homme. Mais en raison de l’opposition de son maître, il avait dû entretenir cette relation en secret. Son épouse avait également un amant. Tous deux s’étaient mis d’accord pour vivre librement chacun de leur côté. Les enfants ? Aucun n’était de lui, il n’avait fait que les élever et préserver les apparences…

Oh, et soit dit en passant, l’amant de Qu Yurong n’était autre que son propre grand disciple dans le monde de la mission – celui destiné à devenir le prochain maître de secte.

Les deux traîtres vinrent s’agenouiller devant son lit de mort, main dans la main, implorant en larmes sa bénédiction.

Yuwen Yan mourut en crachant du sang…

De retour à la réalité, il s’effondra sur les marches de pierre, anéanti.

Yuwen Yu, lui, avait exécuté la mission avec sérieux. Bien qu’il ait échoué, il avait découvert bien des aspects du monde, élargi ses horizons et réfléchi à des choses qu’il n’avait jamais envisagées auparavant.

Song Jincheng, plus rusé, avait tiré le rôle d’un jeune héritier fortuné. Conscient de son absence de capacités, il avait compris dès le début qu’il ne pourrait accomplir la mission. Il ne mit même pas les pieds au Pavillon Tianxiang. À la place, il s’en alla courir le monde, visiter les montagnes et les rivières, savourer mets et plaisirs, et s’amuser tant qu’il en oublia de revenir. Il se vantait à présent, tout sourire, de toutes les beautés et gourmandises croisées en chemin…

Chacun avait tiré quelque chose de son expérience, et la discussion battait son plein.

C’est alors que Feng Jun laissa éclater sa puissance terrifiante. Dans une rage noire, il déchira l’attelle du tigre, tirant tous les participants hors de leur euphorie. Devant les lianes écarlates dansant dans les airs, ils restèrent interdits, ignorant ce qui venait de se produire.

Dans la formation magique, Song Qingshi avait trop puisé dans ses forces mentales et sombra dans un profond sommeil.

Feng Jun s’agenouilla devant lui, vérifia avec précaution son souffle et les battements de son cœur, examina son dantian et sa mer de conscience – aucun problème. Il serra ensuite sa main pâle dans la sienne, en confirma la chaleur persistante, et poussa enfin un soupir de soulagement. Relevant la tête, il jeta un regard glacé à Yuwen Yan, pétrifié, et déclara d’un ton tranchant : « Le Pic Inextinguible compensera Tianwu avec de meilleurs artefacts. »

Yuwen Yan, ravi, le remercia.

Feng Jun, plein de tendresse, prit le jeune homme endormi dans ses bras, et, foulant les innombrables lianes rouges, s’éloigna tranquillement.

 

Traduction: Darkia1030