MISVIL - Chapitre 102 – À travers les torrents et les montagnes innombrables

 

(NT : 万水千山 , littéralement: « A travers dix mille eaux et mille montagnes ». Métaphore signifiant surmonter de nombreux obstacles)

 

Cette main qui tenait fermement la sienne ne l’avait jamais lâchée.



L’érudit tyran arriva en courant sur le lieu de l'examen… et découvrit que sa copie de test avait disparu…

Song Qingshi subit un choc d'une ampleur sans précédent. Il tourna en rond plusieurs fois dans les environs, refusant d’abandonner, mais dut se rendre à l’évidence : il n’y avait plus personne à trouver, et son esprit était dans un chaos total. Selon la description du caractère de Fu Donglai dans le roman original, Qu Yurong devait déjà avoir subi l’indicible. Sa mission avait-elle donc échoué ?

Il tenta de demander conseil, en pensée, au Maître épéiste Mo Yuan…

Le réseau d’illusions conçu par le Maître épéiste Mo Yuan s’avérait bien plus fiable que ce système absurde : une réponse s’afficha automatiquement — échec de la mission, vous pouvez partir directement.

Ce n’était, après tout, qu’un réseau d’illusions, non la réalité. Jouer un muet pauvre et sans attrait n’avait décidément rien de plaisant.

Song Qingshi envisagea un instant de quitter l’illusion et d’aller récupérer son lot de consolation. Mais en pensant à ce jeune garçon lié par mille fils à Feng Jun, il se sentit profondément mal à l’aise. Il lui était tout simplement impossible de renoncer. Il acheta un peu de riz, de farine et quelques provisions dans une échoppe, puis rentra chez lui d’un pas lourd. Il voulait voir à nouveau Wuhuan, lui préparer de quoi manger, puis réfléchir calmement à la suite…

Wuhuan, vêtu d’une robe, était assis sur le lit, concentré à s’exercer : il trempait le bout du doigt dans de l’eau et traçait soigneusement des caractères sur une planche de bois gravée. Dès qu’il entendit les pas familiers à la porte, il saisit la planche avec joie et la tendit : « Tu es revenu ! Regarde vite, est-ce que j’ai bien écrit ? »

Le jeune garçon de quatorze ans avait délaissé les calculs et les artifices qu’il avait appris dans les ténèbres, révélant un visage sincère.

Il était enfin sorti de l’enfer, prêt à commencer une nouvelle vie. Déjà, un nouveau plan prenait forme dans son esprit.

Song Qingshi hésita un instant, puis observa la planche. Chaque caractère était bancal ; les traits étaient corrects, mais l’alignement erroné, les mots superposés, rendant l’ensemble confus et illisible. Incapable de prononcer un mot d’éloge, il prit simplement la main de Wuhuan, la posa sur sa propre tête et hocha énergiquement la tête, tel un chiot, pour lui signifier son entière approbation.

« Tu es vraiment drôle », dit Wuhuan en riant. Il ébouriffa ses cheveux ternes, retira sa main et demanda, un peu gêné : « Si… si j’apprends tous ces caractères, je pourrai comprendre ce que tu dis, n’est-ce pas ? »

Song Qingshi fut pris de court.

« Tu es si gentil », murmura Wuhuan en caressant avec tendresse les lettres qu’il avait gravées sur le bois. Puis il baissa la tête, laissa tomber ses longues mèches sombres sur ses oreilles rougissantes, et ajouta d’une voix très douce : « Avant, personne n’a jamais été aussi bon avec moi… »

Il n’était qu’un aveugle sans valeur, incapable d’imaginer ce qu’il pourrait offrir en retour.

« Je n’ai nulle part où aller. Pourrais-tu… pourrais-tu me garder avec toi ? » demanda Wuhuan d’une voix prudente. « Même si je ne vois pas, je suis intelligent. Je ne te causerai aucun souci. Je sais cuisiner, faire le ménage, et j’apprendrai avec application à lire, pour comprendre ce que tu veux dire. Je pourrai être ta voix… parler à ta place… »

Toutes ces choses n’étaient nullement des formes de gratitude, mais plutôt un fardeau.

Rougissant de honte, Wuhuan fut soulagé de ne pas pouvoir voir l’expression de l’autre.

Il se sentait comme un homme en train de se noyer, s’agrippant désespérément à un morceau de bois flottant. Il savait pertinemment que ce bois était fragile, incapable de supporter son poids, et pourtant il ne parvenait pas à le lâcher. Cette bassesse le remplissait de honte…

Sa tête s’abaissait de plus en plus, au point d’être presque enfouie dans la couverture.

Les yeux de Song Qingshi se remplirent de larmes. Il ne pouvait plus réfléchir. L’image de Feng Jun se superposait à celle de Wuhuan devant lui. Il avait la sensation d’avoir déjà vu ce garçon, dans ses souvenirs perdus, dans un état encore plus misérable et désemparé qu’aujourd’hui. Rien que d’y penser, son cœur se serrait de douleur. Peu importait désormais les objectifs confiés par le Maître épéiste Mo Yuan, peu importait que tout cela fût illusion ou souvenir : tant que la personne devant lui était Wuhuan, qu’il représentait le passé de Feng Jun, cela suffisait.

Une fois sa décision prise, son cœur s’allégea.

Song Qingshi se sentit soudain libéré, comme apaisé.

Il essuya ses larmes, s’assit au bord du lit de Wuhuan, effleura ses yeux magnifiques, et, articulant lentement les mots sans les prononcer, lui fit cette promesse avec toute la solennité dont il était capable : « N’aie pas peur. Je ne partirai pas. Je guérirai tes yeux, ton corps, et ton cœur. Peu importe les épreuves, jamais je ne t’abandonnerai. »

« J’ai cru entendre ta réponse… dans mon cœur », dit Wuhuan, en saisissant fermement cette main si douce, qu’il porta à son oreille, écoutant avec attention les battements synchronisés de leurs deux cœurs — un bonheur que les mots ne sauraient exprimer. Finalement, ses yeux s’embuèrent de rouge. « Merci. Je suis si heureux. »

Song Qingshi reprit la planche de bois et le petit couteau, et recommença à lui enseigner les caractères.

Wuhuan, humant le parfum pur des plantes médicinales qui émanait de lui, se pencha légèrement.

Song Qingshi guida sa main et traça encore et encore les traits des caractères sur la planche. À chaque nouveau mot appris, il saisissait un objet ou mimait quelque chose avec des gestes étranges pour l’aider à deviner. Et Wuhuan, invariablement, se trompait d’innombrables fois, contournant la réponse dans des directions à la fois ridicules et attendrissantes, avant de trouver enfin la bonne.

Par exemple, il trouva une pierre de couleur turquoise et tenta de faire comprendre à Wuhuan que son nom était : Qingshi, Qingshi, Qingshi…

(NT : Qingshi (qīng shí, 清时 ) nom de notre MC voulant aussi dire ‘moment pur’ vs Qingshi (qīng shí, 青石 ) signifiant ‘pierre turquoise’)

Wuhuan tâta longuement la pierre, puis comprit : « Tu t’appelles Pierre. »

Song Qingshi resta silencieux : « … »

Leurs deux têtes penchées l’une contre l’autre, les rires ne cessaient de fuser. Même la plus humble des demeures devenait alors le plus confortable des refuges.

*

Comme les copies d’examen avaient disparu, il se contenta de rester en retrait — savait-on jamais, peut-être que les feuilles de test reviendraient d’elles-mêmes un jour ?

Song Qingshi décida de ne pas abandonner, de rester sagement auprès de Wuhuan, jusqu’à ce que le Maître épéiste Mo Yuan déclare officiellement l’échec de la mission et le rejette hors de la formation magique. Le monde de la cultivation était vaste, après tout. Peut-être aurait-il la chance de croiser Qu Yurong ? Alors, il le ramènerait, lui laverait le cerveau, soignerait ses blessures psychiques, lèverait ce syndrome de Stockholm. Et s’il n’obtenait pas la note maximale, qu’importe ? Un soixante sur cent serait déjà bien. Au pire, en cas d’échec, il lui suffirait de s’accrocher à son maître pour tenter une session de rattrapage.

Un jour de bonheur valait un jour de gagné, une année de bonheur valait une année de paix…

Une fois l’esprit apaisé, Song Qingshi cessa de se retenir. Il consacra toute son énergie à Wuhuan : cueillette de plantes médicinales, décoction de remèdes, massages de rééducation, soins et toilette.

Lorsque Wuhuan dut, pour la première fois, être aidé à faire ses besoins au lit, il se méprit à nouveau sur les intentions de Song Qingshi, son visage devint cramoisi. Il tira désespérément sur son pantalon, refusant obstinément de l’ôter. Il fallut de longues explications pour dissiper le malentendu. Par la suite, il accepta les soins corporels sans résistance.

Il n’osait protester, obéissant sagement aux traitements, ne souhaitant qu’une chose : en finir au plus vite avec cette situation humiliante où il était cloué au lit.

Heureusement, Wuhuan possédait une racine spirituelle de type bois, ce qui favorisait grandement la régénération. Associée à diverses herbes médicinales, sa convalescence progressa rapidement. Au bout d’un mois environ, après avoir appris plus de deux cents caractères, il fut en mesure de s’appuyer sur une canne pour s’exercer à la marche. Il comprit très vite la disposition des lieux, et après quelques tâtonnements, apprit à ranger et à entretenir la maison.

Song Qingshi se sentit considérablement soulagé.

Il faut dire que ses talents culinaires étaient pitoyables. Il ne savait préparer que du porridge nature et des nouilles dans un simple bouillon clair. Il tenta de faire une soupe de poulet… le résultat fut une concoction sombre, d’un goût indescriptible, au point de faire presque vomir Wuhuan. Ce dernier se força néanmoins à avaler l’infâme breuvage, ce qui lui causa ensuite des troubles digestifs et nécessita l’absorption de plusieurs remèdes.

Song Qingshi, accablé de remords, jura de s’améliorer en cuisine.

Wuhuan comprit alors pourquoi il était aussi maigre. Il s’opposa fermement à ses expériences culinaires, préférant prendre les choses en main. Il se mit lui-même aux fourneaux, apprenant à estimer la chaleur de la vapeur au toucher, à mémoriser la disposition des condiments. Après de multiples essais, il élabora diverses sortes de bouillies et potages. Il inventa des méthodes pour cuire le riz et confectionner des petits pains fourrés. Chaque jour, il gavait Song Qingshi de nourriture comme une oie, et le soir venu, il l’attrapait pour lui tâter les os, soupeser sa chair, afin de vérifier s’il avait pris du poids.

Dès que Song Qingshi fut rassuré sur sa capacité à gérer les tâches domestiques, il put à nouveau se concentrer sur la cueillette d’herbes, l’alchimie et la cultivation. Autrefois, il se souciait peu d’argent ou de qualité de vie, mais désormais, il devait bien entretenir son beau Wuhuan, il ne pouvait plus vivre à la légère.

Avec les matériaux à disposition, il concocta une quantité de pilules de base à vendre. Malheureusement, même quand il pouvait parler, il n’était pas de taille face aux marchands rusés. Alors maintenant qu’il était muet… il se faisait arnaquer sans pouvoir protester. Heureusement, il ne s’en formalisa pas trop, compensa par une production efficace, et grâce à la qualité de ses pilules, parvint à décrocher quelques commandes. Il réussit ainsi à accumuler quelques pierres spirituelles.

Les ingrédients nécessaires à la fabrication de la Pilule Xuantian Taiming n’étaient pas disponibles dans cette petite région. Le Pavillon Tianxiang concentrait ses recherches sur Qu Yurong, mais il avait aussi passé plus de deux semaines à chercher Wuhuan. Ne parvenant pas à le localiser, ils conclurent qu’il était soit mort, soit capturé, et abandonnèrent les recherches. C’était l’occasion idéale pour eux de s’éloigner, de peur qu’un jour le Pavillon ne découvre la trace de Wuhuan.

Song Qingshi communiqua avec lui par gestes et par écrit.

Le visage de Wuhuan avait complètement guéri. Bien que son corps ne fût pas encore pleinement développé, sa beauté éclatante transparaissait déjà — tel un joyau précieux. Pour remédier à cela, Song Qingshi eut recours à une pommade spéciale qu’il appliqua sur tout son corps. Elle rendait sa peau et ses membres d’un jaune terne, presque noir. Ainsi, son éclat initial ne subsistait qu’à peine. Cette pommade nécessitait une lotion spécifique pour être nettoyée. Elle avait des effets secondaires : un usage prolongé rendait la peau rugueuse. Mais Wuhuan n’y accordait aucune importance, d’autant que l’épiderme pourrait récupérer dès l’arrêt du traitement.

Song Qingshi, estimant l’effet encore insuffisant, fabriqua également de fausses cicatrices de brûlure, qu’il colla sur son visage pour dissimuler le grain de beauté en forme de larme. Il lui fit revêtir des habits amples et en lambeaux, camouflant sa silhouette délicate, et lui couvrit la tête d’un vieux voile. Il acquit alors l’apparence d’un rustre venu de la campagne. Quant à lui-même, encore affaibli, son apparence était assez laide pour ne pas nécessiter de déguisement.

Il vendit tout ce qui pouvait l’être, acheta une petite bourse dimensionnelle, y rangea son fourneau d’alchimie, puis alla commander chez un forgeron une attelle du tigre utilisée par les médecins ambulants. Le forgeron observa ses croquis, puis lui montra un modèle réalisé sur commande mais jamais récupéré. Il le lui vendit à bas prix.

Song Qingshi, en le recevant, resta figé.

Sa forme et sa taille ressemblaient étrangement à l’ attelle du tigre utilisée par le Maître épéiste Mo Yuan, mais elle était toute neuve, brillante, sans inscriptions ni formation complexe.

Peut-être… ces attelles du tigre s avaient-elles toutes un format similaire ?

Song Qingshi secoua le petit grelot suspendu à l’attelle, vérifia que le son était clair et sonore, puis cessa d’y réfléchir.

Il rassembla ses affaires, prit l’attelle d’une main, et de l’autre, il saisit celle de Wuhuan.

Ainsi commença leur périple.

Ils traversèrent villages anciens et petites cités, sillonnèrent ruelles et avenues. En tant que médecins itinérants, ils rencontraient surtout des gens modestes. Song Qingshi soignait les malades, tandis que Wuhuan assurait la communication. Parfois, ils croisaient des lettrés : ils ne leur demandaient rien, mais sollicitaient leur aide pour apprendre à Wuhuan quelques caractères. S’ils croisaient des menuisiers, ils leur demandaient de graver deux ou trois ouvrages.

Ils rencontrèrent beaucoup de gens intéressants, vécurent nombre d’aventures plaisantes, mais aussi des dangers et des ennuis.

Le printemps laissa place à l’hiver, la chaleur succéda au froid.

Un jour, Wuhuan atteignit enfin le stade de la construction de la Fondation.

Lorsqu’il se retourna soudain sur le passé, il constata que dix années s’étaient écoulées, dans un souffle…

Le garçon muet avait grandi, mais sa douceur demeurait intacte, tout comme ce parfum subtil de plantes médicinales.

Ensemble, ils avaient fait tinter leur grelot à travers montagnes et rivières, bravé mille périls, exploré les merveilles du monde.

Et pourtant, peu importe les lieux qu’ils traversaient, les épreuves qu’ils affrontaient, les événements qu’ils vivaient…

Cette main, qui tenait fermement la sienne, ne l’avait jamais lâchée.

 

Traduction: Darkia1030

 

 

 

 

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