An Zhe faisait un rêve.

Il semblait se tenir au-dessus d'un abîme traversé par des eaux noires, devant lui s'étendait un monde vaste et sans fin. Une menace planait comme si une main le saisissait, quelque chose dans l'obscurité l'observait sûrement. Il avait du mal à respirer.

Il sentait le danger et regarda instinctivement autour de lui,  reculant de deux pas. Devant ce regard menaçant, il cherchait quelqu'un, ou plutôt s'approchait de quelqu'un pour se sentir en sécurité.

Ainsi, sa main bougea nerveusement, agrippant doucement le revers de la manche de Lu Feng.

Sa respiration devint légèrement précipitée, comme s'il avait peur.

Lu Feng referma le couvercle de la boîte argentée, jeta la seringue jetable vide dans la poubelle près du lit, et remit le pistolet à portée de main sur la table de chevet.

Une fois tout cela fait, la respiration d'An Zhe, qui était un peu hâtive au départ, se calma. Cependant, ses beaux sourcils étaient toujours légèrement froncés.

Une minuscule perle de sang rouge apparut sur le côté de son cou, mais en moins de trois minutes, cette perle se figea en un petit point rouge. C'était une piqûre, mais la substance injectée ne causerait aucun autre dommage à son corps en dehors de ce petit point de sang.

Il ressemblait à un petit animal au pelage doux, une sorte de quiétude fragile, comme s'il pouvait être détruit complètement, mais aussi protégé à l'extrême.

Lu Feng le regarda sans expression pendant un moment, puis tendit la main, ses doigts restant sur la peau chaude du front d'An Zhe, comme une libellule se posant sur l'eau. Les sourcils froncés se détendirent lentement. En moins de trois minutes, il s'endormit paisiblement comme au début.

*

Quand An Zhe se réveilla, la pièce entière était déjà éclairée, il devait être environ neuf heures du matin, une luminosité typique de la fin de matinée, et la panique d'être en retard le réveilla complètement.

Puis il se rendit compte que la serviette qu'il avait utilisée pour s'emmitoufler la veille s'était défaite et avait glissé vers le bas, laissant son épaule exposée.

Il tenait fermement le coin du vêtement de quelqu'un, s'appuyant complètement contre cette personne, son visage contre son épaule.

S'il s'agissait de Sé Lan, An Zhe s'excuserait de manière conforme aux conventions humaines.

S'il s'agissait de Colin, An Zhe partirait immédiatement.

Mais cette personne était le colonel Lu qui le grondait souvent.

An Zhe lâcha discrètement sa prise, puis leva les yeux pour le regarder.

Cette fois, pourtant, Lu Feng ne le gronda pas.

Il tendit la main, releva la couverture pour couvrir à nouveau son bras et son épaule exposés, puis dit calmement : "Il est huit heures et demie."

*

Aujourd'hui, An Zhe a travaillé au phare, une journée monotone et ennuyeuse. Lu Feng semblait lui aussi ne pas avoir de travail sérieux, et resta à ses côtés tout au long de la journée. Le laboratoire entier pouvait être résumé en un seul mot : observation. Si Nan observait Lily, Lily observait Si Nan, An Zhe regardait Lily, et Lu Feng les observait tous.

Après une demi-journée, la situation de Si Nan a étonnamment montré des signes d'amélioration stable. Le temps où ses ondes cérébrales étaient stables est passé de quelques secondes à une période continue de quatre secondes. Lors de ces courts moments de lucidité, il tapait régulièrement sur la paroi en verre, comme s'il voulait rassurer Lily qu'il était toujours là. Le docteur, satisfait des résultats, déclara qu'il devait partir pour le moment et les a laissés seuls.

Pendant les moments où Si Nan perdait complètement conscience, Lily partageait quelques mots avec An Zhe.

"Je veux toujours voler dehors", a-t-elle dit. "L'extérieur est tellement vaste."

An Zhe lui demanda : "Tu ne peux pas sortir ?"

"Non, ils disent que c'est trop dangereux dehors", répondit Lily. "Quand j'étais petite, je leur demandais de me laisser sortir pendant cinq minutes, mais ils refusaient. Je suis en colère contre eux tous les jours."

"Madame Lu essaie toujours de me consoler en me disant de ne pas m'en faire avec eux. Elle dit que tout le monde dans la base est comme un enfant d'Éden, parfois capricieux, parfois blessant sa mère, mais c'est compréhensible. De plus, tout ce que nous mangeons, l'endroit où nous vivons, l'électricité que nous utilisons, tout cela appartient à la base." Lily soupira, mais ce geste de la part d'une petite fille semblait quelque peu inapproprié.

An Zhe lui caressa doucement la tête.

"Seule Mme Lu peut sortir, elle est une scientifique", poursuivit Lily. "Je veux aussi devenir scientifique."

"J'ai entendu dire qu'auparavant, les embryons devaient grandir dans le corps pendant au moins cinq mois avant de pouvoir être extraits, c'était très douloureux. Mais Mme Lu et le groupe de recherche du Phare travaillent constamment à réduire ce temps, maintenant cela ne prend qu'un mois."

An Zhe écoutait ses paroles avec attention.

C'est à ce moment que le communicateur de Lu Feng sonna. Il répondit, et An Zhe entendit vaguement des mots comme "échantillon", "croissance", "vérification".

Après avoir raccroché, Lu Feng lui dit : "Je vais sortir un moment."

An Zhe acquiesça : "D'accord."

Alors que les pas de Lu Feng s'éloignaient dans le couloir, Lily s'est soudainement rapprochée de lui et, d'un ton mystérieux, lui dit : "Le colonel Lu est le fils de Mme Lu, tu le savais ?"

An Zhe la regarda, étonné par le dynamisme qui s'était soudainement manifesté chez cette petite fille après seulement deux jours de contact.

Il nota : "Tu sais même cela ?"

"Parce que je suis intelligente", répondit Lily en levant légèrement le menton. "Ils ne font que dormir, mais je sais tout."

 

Face aux propos précédents de Lily, An Zhe n'avait pas un grand intérêt, mais dès qu'elle mentionna Lu Feng, il retrouva une certaine curiosité. Il l’interrogea : "Que sais-tu de tout ça?"

"La dame garde toujours des photos du colonel dans son communicateur, j'en ai vu", expliqua Lily en balançant ses jambes sur la chaise. "Ils disent que le colonel est le véritable enfant de la dame et qu'il n'a pas été élevé avec l'aide de machines."

An Zhe pensa que la relation entre Lu Feng et Mme Lu était en effet très spéciale. Les enfants d'Éden ne savaient pas qui étaient leurs parents, et la seule chose qui les accompagnait depuis leur naissance était le numéro de leur carte d'identité.

Lily continua : "Il semble y avoir deux raisons. La première, c'est que le colonel n'était pas stable à l'époque, donc il n'était pas adapté à la culture in vitro. L'autre raison, c'est juste une supposition de tout le monde."

An Zhe demanda : "Quelles sont ces raisons ?"

"La dame a passé du temps en dehors d'Éden, et plus tard, elle devait aller au Phare pour des réunions et des négociations avec des gens de l'extérieur, donc elle pouvait sortir. Je suppose que la dame et quelqu’un de l'extérieur sont tombés amoureux, et peut-être que le colonel Lu est l'enfant de la dame et de son amant."

À ce stade, Lily se pencha sur sa main en regardant An Zhe : "Es-tu l'amant du colonel Lu ?"

An Zhe réfléchit un moment au sens de ce mot, puis secoua la tête.

"Alors as-tu fait don de sperme ? Tu as déjà l'air d'un adulte", continua Lily. "Bien que tu n'aies pas d'amant, tu pourrais déjà avoir des enfants."

"Non", An Zhe fronça les sourcils, poursuivant : "Mais..."

"Mais quoi ?" demanda Lily.

An Zhe secoua lentement la tête, ne disant plus rien.

Il n'avait pas d'enfant au sens humain, mais il avait sa spore, et il ne savait pas où elle était actuellement. Demander à Lu Feng risquait de révéler son identité d'espèce étrangère.

Continuer à chercher dans les conduits d'aération comportait le risque de se perdre ou de s'exposer.

La seule chose qu'il savait, d’après le manuel de Lu Feng, c’était que sa spore était probablement dans le Phare, là où il se trouvait actuellement, mais face à ces portes sécurisées et ces laboratoires secrets, il ne savait pas par où commencer.

Pendant ces deux jours au Phare, chaque fois qu'il y pensait, An Zhe se sentait déprimé.

Lily demanda : "Tu es contrarié, n'est-ce pas ?"

An Zhe avoua : "Oui."

Il n'était pas un champignon complet, et un champignon incomplet ne pouvait pas être heureux quoi qu'il en soit.

C'est alors que des coups légers résonnèrent à nouveau, Si Nan retrouvait ses esprits - Lily l'abandonna immédiatement et alla vers lui.

An Zhe se sentait encore plus découragé.

À ce moment-là, des bruits de pas retentirent dans le couloir, Lu Feng et le docteur revenaient ensemble.

Le docteur était en train de parler à Lu Feng : "Qu'as-tu fait avec ça ?"

Lu Feng répondit froidement : "Que puis-je faire avec ça ?"

"Il est resté immobile comme mort jusqu'à ces deux derniers jours où tu es fréquemment resté au Phare, et là, il a commencé à pousser soudainement. Je ne pense pas que ce soit une coïncidence."

"De plus, il était suspendu de manière irrégulière dans la solution nutritive. Pourquoi, dès que tu es arrivé près du réservoir de culture, il a dérivé jusqu'à toi ?"

La réponse de Lu Feng était glaçante : "N'est-ce pas à toi de l'étudier ?"

"Tu dois d'abord nous fournir suffisamment d'informations. Quel lien spécial as-tu avec lui?"

"Je l'ai retiré, scellé et remis au phare." La tonalité de Lu Feng devint de plus en plus froide, indiquant clairement qu'il ne voulait plus discuter de ce sujet. "C'est tout."

"C'est un projet clé, tu dois coopérer avec les recherches de là-bas."

"Comme tu veux."

Les voix se rapprochèrent progressivement, les deux hommes revinrent dans le laboratoire. Le docteur retourna vers l'appareillage, tandis que Lu Feng sortait le manuel d'armement de la base de son sac à dos, feuilletant les pages pour tuer le temps.

En repensant à leur conversation précédente, An Zhe commença à ressentir une légère suspicion.

Il se tourna lentement vers Lu Feng.

Lu Feng sentit son regard, leva les yeux des pages du livre, et leurs regards se croisèrent.

An Zhe le regarda fixement : "Qu'es-tu allé faire ?"

 

Traducteur: Darkia1030