KOD - Chapitre 63 - La septième porte
Le sanatorium de la montagne du bien être
Alors que le jour où ils entreraient dans la porte se rapprochait de plus en plus, Lin Qiushi et Ruan Nanzhu avaient presque terminé les préparatifs.
C’était la première fois que Lin Qiushi entrait dans une porte avec des gens du site web. Ruan Nanzhu lui avait dit que les missions en ligne comportaient toujours des risques, et qu’il fallait donc cacher soigneusement sa véritable identité une fois à l’intérieur. Si celle-ci venait à être découverte, les ennuis seraient grands — à ce propos, Lin Qiushi soupçonnait fortement que cette explication n’était qu’un prétexte pour l’obliger à porter des vêtements féminins.
Mais lorsque Ruan Nanzhu enfila lui aussi une tenue féminine, Lin Qiushi sentit son sentiment de déséquilibre intérieur s’atténuer quelque peu.
Cheng Qianli semblait avoir deviné ce que pensait Lin Qiushi. Il lui conseilla gravement de ne pas se laisser corrompre et de ne pas se laisser influencer par les idées effrayantes de Ruan Nanzhu.
Lin Qiushi le regarda sans rien dire.
Cheng Qianli demanda : « Pourquoi tu ne me réponds pas… »
Lin Qiushi tapa sur son téléphone : Je m’imprègne du rôle de muette.
Cheng Qianli resta sans voix : Lin Qiushi, tu es perdu d’avance.
Parfois, une trop grande capacité d’adaptation devenait une chose plutôt fâcheuse.
Enfin, après avoir passé plusieurs jours dans la villa vêtu d’une robe, Lin Qiushi arriva au jour de l’entrée. Il était assis à table, en train de manger, lorsqu’il ressentit soudain une sensation étrange — une sensation qu’il connaissait bien. Il posa ses baguettes, se retourna, et ouvrit au hasard une porte de la maison : sans surprise, le paysage derrière avait changé pour devenir celui des douze lourdes portes de fer.
Cinq d’entre elles étaient scellées, six autres impossibles à ouvrir ; la seule accessible était celle du maître de la porte.
Lin Qiushi prit une profonde inspiration, saisit la poignée et tira doucement.
La porte s’ouvrit avec un bruit sec ; la scène devant lui se renversa. Les environs devinrent un long couloir. Il semblait être dans l’escalier d’un sous-sol, où flottait une odeur de moisissure. L’escalier était interminable. Lin Qiushi monta lentement, tourna plusieurs fois avant d’apercevoir un groupe de personnes qui attendaient dans un grand hall.
Tout en retirant le bracelet de son poignet, il observa les alentours et comprit qu’il se trouvait bien dans l’établissement indiqué par l’indice : le sanatorium de la montagne du bien-être. Bien que ce fût un sanatorium, il y régnait une odeur de désinfectant propre aux hôpitaux. Des lits d’hôpital abandonnés traînaient un peu partout, et sur l’un d’eux, Lin Qiushi distingua même des taches brunâtres de sang séché.
(NT : Un hôpital soigne des maladies aiguës avec des interventions médicales immédiates, tandis qu’un sanatorium accueille des malades chroniques ou contagieux pour un traitement prolongé basé sur le repos et l’isolement.)
À présent, huit personnes s’étaient déjà rassemblées ; avec lui, cela faisait neuf. Certains, en le voyant, détournèrent aussitôt le regard sans montrer d’intérêt ; d’autres, au contraire, le dévisagèrent avec curiosité, leurs yeux laissant deviner des intentions ambiguës. Lin Qiushi garda un visage impassible, feignant de ne rien remarquer.
Quelqu’un s’approcha et lui tendit la main avec un sourire : « Bonjour, je m’appelle Jiang Yingrui. Puis-je faire ta connaissance ? »
Lin Qiushi tapa sur son téléphone : Désolé, je ne peux pas parler. Je m’appelle Lin Qiuqiu.
Jiang Yingrui dit : « Oh, pardon. C’est ta combientième entrée ? »
Lin Qiushi : La sixième.
Jiang Yingrui semblait très intéressé par Lin Qiushi ; même la froideur de celui-ci ne le découragea pas. Finalement, Lin Qiushi dut écrire très clairement : Désolé, j’aimerais être tranquille un moment.
Jiang Yingrui lut les mots et sourit : « D’accord. »
Il ne s’attarda pas et partit. Il semblait vouloir faire équipe avec Lin Qiushi, mais celui-ci avait manifestement refusé.
Le hall où ils se trouvaient était au rez-de-chaussée du sanatorium ; à l’extérieur s’étendait une cour envahie de mauvaises herbes, et au-dessus, les étages abritaient les salles de patients.
Le sanatorium comptait six niveaux, chacun ayant une fonction bien distincte. Cependant, les graffitis désordonnés sur les murs révélaient clairement la folie des anciens occupants.
Alors que Lin Qiushi observait les environs, il sentit qu’on lui effleurait l’épaule. Il se retourna et vit un visage inconnu.
Le visage était étranger, mais les vêtements familiers. L’autre dit : « Bonjour, je m’appelle Ruan Baijie. »
Lin Qiushi comprit immédiatement : Bonjour, je m’appelle Lin Qiuqiu.
Ruan Nanzhu sourit : « Ravi de faire ta connaissance. »
Cette fois encore, son apparence transformée était d’une beauté saisissante : de longs cheveux noirs, une robe blanche. Bien qu’il soit plus grand qu’une femme ordinaire, son allure particulière attirait tous les regards. Lorsqu’il esquissa un léger sourire, même Lin Qiushi, tout en sachant qu’il s’agissait d’un homme, sentit son cœur vaciller.
La main de Ruan Nanzhu se posa sur son épaule : « Formons une équipe, d’accord ? »
Lin Qiushi hocha la tête.
Les regards des autres se posèrent alors sur eux ; Lin Qiushi sentit distinctement quelques yeux malveillants parmi eux.
Bien qu’il n’eût jamais encore vécu ce genre de situation, il savait que l’intérieur des portes était un lieu hors-la-loi : tout y était permis. Sous la menace constante de la mort, il arrivait souvent que certains franchissent les limites — c’était Ruan Nanzhu lui-même qui le lui avait expliqué.
Après l’avoir entendu, Lin Qiushi n’avait put s’empêcher de réfléchir : « dans ce cas, ne sommes-nous pas en grand danger ? »
Ruan Nanzhu avait dit : « Tu te fais des idées. »
À ce moment-là, Lin Qiushi ne comprenait pas bien ce qu’il voulait dire par là, mais aujourd’hui, il en saisit enfin le sens.
Car un individu sans discernement s’approcha d’eux et commença à les harceler avec des paroles obscènes. Les détails étaient inutiles à répéter ; toujours est-il qu’après ces mots, le visage de Ruan Nanzhu afficha une certaine colère.
Voyant cela, l’homme parut d’autant plus excité et tendit la main pour attraper les cheveux de Lin Qiushi. Lin Qiushi était justement en train de réfléchir à la meilleure façon de le «frapper avec délicatesse», lorsque Ruan Nanzhu saisit le bras de l’agresseur — puis le tordit violemment.
Lin Qiushi entendit le craquement net des os et un hurlement semblable à celui d’un porc qu’on égorge.
Les regards autour d’eux passèrent de l’ambiguïté à la terreur. Et Ruan Nanzhu, ce démon, n’oublia même pas de se tourner vers Lin Qiushi pour geindre d’une voix plaintive : «Qiuqiu, Qiuqiu, il est si effrayant… »
Lin Qiushi : « … » Le plus effrayant ici, c’est toi.
Dès lors, plus personne n’osa s’approcher ni leur adresser la parole ; tout le monde s’écarta d’eux avec un accord tacite, ce qui laissa Lin Qiushi partagé entre le rire et la consternation.
C’est alors qu’il aperçut leur cible : un adolescent vêtu d’un T-shirt noir, d’un jean et d’une casquette noire. Le garçon, âgé d’environ dix-sept ou dix-huit ans, au visage clair et délicat, venait tout juste d’entrer depuis la cour extérieure. Son regard se posa sur eux deux.
Après un court moment d’hésitation, il s’approcha de Lin Qiushi et Ruan Nanzhu.
« Bonjour, je m’appelle Feng Yongle, » se présenta-t-il, utilisant le même pseudonyme que celui indiqué sur le site. « Puis-je faire équipe avec vous ? »
À ces mots, les autres lui lancèrent des regards pleins de pitié, comme s’ils pensaient que sa main serait bientôt brisée elle aussi.
Mais contre toute attente, Ruan Nanzhu répondit avec un doux sourire : « Bien sûr. »
Feng Yongle poussa un soupir de soulagement, puis remarqua les regards étranges des autres et demanda, perplexe : « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »
Ruan Nanzhu désigna du doigt l’homme recroquevillé dans un coin, presque évanoui de douleur : « Cet homme nous a harcelés tout à l’heure, je l’ai mis en fuite. »
Feng Yongle jeta un coup d’œil à l’homme, puis à Ruan Nanzhu, et resta silencieux un moment, comme s’il se demandait comment deux personnes à l’apparence si frêle avaient pu repousser un tel individu. Lin Qiushi, à son expression, devina parfaitement ce qu’il pensait… mais il ne pouvait évidemment rien expliquer. Il se contenta donc d’imiter Ruan Nanzhu et d’afficher un air innocent de « je ne sais pas ce qu’il s’est passé, je suis juste un petit chat sans défense » — un rôle qu’il commençait à maîtriser à la perfection.
Heureusement, Feng Yongle n’insista pas davantage.
Peu à peu, tout le monde arriva ; le nombre total de participants était le même que lors de la sixième porte, quatorze en tout. Cette fois, il n’y avait qu’un seul nouveau venu, recroquevillé dans un coin, tremblant de peur en observant les lieux.
Peu après, une femme vêtue d’un uniforme d’infirmière apparut devant eux. Son teint était livide, et sur son cou apparaissaient des veines bleuâtres. D’un regard froid, elle parcourut le groupe : « Veuillez me suivre au quatrième étage. »
Le groupe la suivit jusqu’au quatrième étage.
« Votre traitement commencera dans sept jours, » détailla l’infirmière d’un ton glacial. « Pendant ces sept jours, j’espère que vous vous habituerez aux installations du sanatorium. » Elle esquissa alors un sourire étrange. « Vous allez adorer cet endroit. »
Ensuite, elle énonça plusieurs règles : ils ne pouvaient manger qu’à la cantine, il était interdit de consommer de la nourriture extérieure, et après vingt heures, nul ne devait quitter sa chambre. Après avoir tout dit, elle se retourna et s’éloigna, leur laissant à voir une silhouette froide et distante.
« Mon dieu, c’est terrifiant, » marmonna une fille, « est-ce qu’elle est humaine ou un fantôme… »
Personne ne répondit.
Il y avait huit chambres au total, chacune contenant deux lits superposés, ce qui faisait quatre personnes par chambre. Bien sûr, si l’on préférait, on pouvait aussi les utiliser comme chambres doubles.
Lin Qiushi, Ruan Nanzhu et le jeune Feng Yongle s’installèrent naturellement ensemble. Une fille nommée Xue Zhiyun voulut partager leur chambre, mais Ruan Nanzhu la refusa.
Et la raison qu’il donna fut d’une hypocrisie exquise : « Ah, je ne suis pas habitué à dormir avec trop de monde, moi~ »
Xue Zhiyun protesta : « Vous êtes déjà trois, je ne peux vraiment pas me joindre à vous ? »
Ruan Nanzhu : « Impossible, voyons. Lin Meimei et moi, c’est une connexion instantanée. Il faut absolument que nous restions ensemble. »
Xue Zhiyun : « Et lui alors ? » demanda-t-elle en désignant Feng Yongle.
Ruan Nanzhu répondit effrontément : « Un enfant, ça ne compte pas comme une personne.»
Le visage de Xue Zhiyun s’assombrit, et celui de Feng Yongle aussi. À cet instant, Lin Qiushi comprit parfaitement ce qu’ils ressentaient : “Connexion instantanée”, “un enfant n’est pas une personne”… quelle hypocrisie sans nom.
Mais au final, Ruan Nanzhu parvint à écarter la quatrième roue, préservant ainsi leur trio.
Les conditions de logement étaient misérables. Le plus atroce fut la découverte de Feng Yongle : dans son lit, il trouva plusieurs ongles humains complets.
Feng Yongle secoua vivement sa couverture : « On doit vraiment vivre ici pendant sept jours ? »
Ruan Nanzhu : « À peu près. »
Feng Yongle : « Pff, espérons qu’on tienne le coup. »
Ruan Nanzhu : « Tenir ? Je ne pense pas que ce soit le mot. » Il se tenait près de la fenêtre, regardant dehors en disant cela.
« Que veux-tu dire ? » demanda Feng Yongle.
Ruan Nanzhu : « Tu n’as pas lu les dossiers ? »
Feng Yongle : « Si, je les ai lus. »
Ruan Nanzhu : « Tu te souviens comment les patients quittaient ce sanatorium ? »
Feng Yongle répondit : « Tu parles du tunnel… »
Ruan Nanzhu dit simplement : « Observons d’abord la situation. »
Pendant qu’ils parlaient, Lin Qiushi examinait le mur de leur chambre. Il y avait dessus d’étranges marques de griffures, comme si quelqu’un les avait creusées avec ses ongles — il n’était pas difficile d’imaginer que l’ancien occupant de ce lit n’était pas dans un état mental très stable.
« C’est l’heure, descendons déjeuner, » dit Ruan Nanzhu. « Les règles fixées par les NPC doivent être suivies à la lettre. »
Tous trois descendirent donc jusqu’au réfectoire du deuxième étage, comme l’avait indiqué l’infirmière. Le repas y était déjà servi, et tout autour d’eux se tenaient des patients vêtus de blouses d’hôpital.
Pour être honnête, c’était la première fois que Lin Qiushi voyait autant de monde à l’intérieur d’une porte. En principe, la foule devrait rassurer ; mais face à l’état de ces patients, il sentit au contraire un frisson glacé remonter le long de son dos.
Les malades affichaient des expressions anormales : certains avaient le regard vide, d’autres marmonnaient tout bas pour eux-mêmes, d’autres encore fixaient le sol sans bouger. En vérité, ce lieu n’avait rien d’un sanatorium — il ressemblait davantage à un immense asile de fous.
« Finissons vite et partons, » dit Ruan Nanzhu. « Après tout, la folie est contagieuse. »
En effet, rester trop longtemps avec des personnes anormales finit par rendre anormal.
Alors qu’ils mangeaient, plusieurs autres équipes arrivèrent également, parmi lesquelles se trouvait Jiang Yingrui, celui qui avait tenté de former une équipe avec Lin Qiushi. Il semblait toujours très intéressé par Lin Qiushi et lui adressa un sourire de loin.
Lin Qiushi fit comme s’il ne l’avait pas vu.
Après avoir terminé leur repas, tous trois décidèrent de faire un tour à l’intérieur du sanatorium. Ils se rendirent d’abord dans la salle de traitement à l’étage le plus haut. Ce n’était pas vraiment un hôpital, les moyens thérapeutiques étaient limités, mais presque chaque pièce contenait plusieurs lits de malade. Sur certains de ces lits, des patients à l’agonie respiraient encore faiblement.
Feng Yongle s’interrogea : « On se demande combien de personnes sont mortes ici. »
Ruan Nanzhu : « Il doit y en avoir eu un bon nombre. »
Lin Qiushi continua d’avancer et remarqua sur les murs de nombreuses traces de graffiti. Bien qu’illisibles, on distinguait vaguement des mots tels que “au secours” ou “mort”.
« Hein ? Quelqu’un est en train de manger ici. » Feng Yongle, devant une chambre, venait de remarquer quelque chose.
Lin Qiushi s’approcha et regarda à travers la fenêtre : un patient était assis sur un lit, mangeant des nouilles avec une fourchette. Il mangeait très lentement, mâchant longuement chaque bouchée.
« N’est-il pas interdit de manger en dehors du réfectoire ? » murmura Feng Yongle, lui qui avait pourtant apporté de la nourriture avec lui.
Ruan Nanzhu lui lança un regard : « Tu peux toujours essayer. »
Feng Yongle répondit : « Laisse tomber. »
Ils observèrent un moment, ne voyant rien d’anormal, puis décidèrent de partir. Mais à peine avaient-ils fait quelques pas que Lin Qiushi entendit un son étrange — un léger pchiit, comme si quelque chose venait d’être transpercé. Il s’immobilisa et tourna la tête vers la chambre qu’ils venaient de quitter. Ce qu’il vit lui coupa presque le souffle.
La fourchette que l’homme utilisait pour manger ses nouilles était désormais plantée dans son œil. Seul le manche dépassait encore, tandis que le sang jaillissait abondamment. Pourtant, il ne poussa pas le moindre cri. Logiquement, avec une blessure aussi profonde, il aurait dû être mort, mais il retira lentement la fourchette… et recommença à manger ses nouilles.
Lin Qiushi : « … » Il tira discrètement la manche de Ruan Nanzhu.
Ruan Nanzhu se retourna et vit la même scène.
Feng Yongle, lui, réagit le plus violemment. Il jura, tout en se frottant les bras : « Par tous les dieux, c’est possible, ça ? »
Lin Qiushi n’en savait rien, mais ce patient, lui, semblait tout à fait capable — il mangeait son sang comme s’il s’agissait de sauce tomate, savourant son repas avec appétit.
Et, comme s’il avait senti leurs regards, il leva les yeux vers eux et leur adressa un sourire.
La scène était à glacer le sang.
Sans dire un mot, tous trois se détournèrent et partirent.
Et, lorsque la journée se termina et qu’ils rentrèrent dans leur chambre, Feng Yongle jeta sans un mot tous ses en-cas à la poubelle — sans jamais reparler de collation.
Après avoir erré un moment à cet étage, le crépuscule tomba.
Ils regagnèrent leur logement avant la nuit, mais, juste avant d’entrer, Lin Qiushi remarqua quelque chose. Il tapota l’épaule de Ruan Nanzhu, sortit son téléphone et tapa : Nous ne logeons pas au quatrième étage ?
Ruan Nanzhu : « Si, pourquoi ? »
Lin Qiushi : « … Alors pourquoi le numéro de cette chambre est-il 502 ? »
Ruan Nanzhu leva la tête et constata que la chambre près de l’escalier affichait effectivement le numéro 502, alors que toutes les autres portaient encore des numéros commençant par 4xx. Il dit : « 502… tu te souviens de ce qu’il y avait dans le dossier ? »
Bien sûr que Lin Qiushi s’en souvenait.
Le numéro 502 désignait une chambre très particulière du sanatorium.
C’était là qu’étaient mortes une infirmière en chef et une infirmière. D’après les rumeurs, l’infirmière en chef, tombée enceinte du médecin, avait tenté un avortement qui avait échoué, puis s’était jetée par la fenêtre de la chambre 502 pour se suicider. Depuis, la pièce était réputée hantée.
On disait qu’à l’intérieur, chaque nuit, on pouvait entendre les pleurs d’un bébé et les gémissements douloureux d’une femme. Plus tard, une autre infirmière s’y était suicidée, et la chambre avait été scellée et interdite d’accès.
Ainsi, le 502 était devenu un nombre porteur d’un sinistre présage.
Lors de la répartition des chambres dans l’après-midi, Lin Qiushi s’était réjoui d’être logé au quatrième étage. Mais voilà qu’après une simple promenade, le numéro de la porte avait changé.
En vérité, peu de gens prêteraient attention au numéro de leur chambre en entrant et sortant. Lin Qiushi se souvenait qu’ici logeaient un homme et une femme. Il jeta un regard à Ruan Nanzhu, cherchant son avis.
« Je vais leur en parler, » dit Ruan Nanzhu.
L’apparition soudaine du 502 constituait très probablement une condition de mort évidente. Il valait mieux avertir le reste du groupe.
Ruan Nanzhu frappa donc à la porte.
« Oui ? » demanda une voix féminine. C’était une des membres du groupe, logée ici. À la vue de Ruan Nanzhu, elle afficha une certaine méfiance.
« Il y a un problème avec le numéro de votre chambre, » dit directement Ruan Nanzhu.
La jeune femme passa la tête, aperçut les chiffres changés, et son visage se figea : « Depuis quand… ? »
« Nous l’ignorons, » répondit Ruan Nanzhu. « Nous l’avons remarqué en rentrant. Vous ne préférez pas changer de chambre ? »
Les chambres ne manquaient pas — et allaient d’ailleurs se libérer, car les gens, eux, allaient se raréfier.
« D’accord. » La jeune femme accepta l’avertissement avec gratitude. « Merci de nous avoir prévenues. »
« Ce n’est rien, » dit Ruan Nanzhu.
Après cela, ils retournèrent dans leur propre chambre.
Le jour tombait presque complètement ; il restait à peine une demi-heure avant vingt heures, l’heure fixée par l’infirmière.
Lin Qiushi, après avoir fini de se laver, s’assit sur son lit et se mit à jouer à Lianliankan (NT : jeu chinois de type « relier les paires identiques »).
Ruan Nanzhu, lui, était assis sur le lit du dessus, songeur.
Feng Yongle, trouvant peut-être l’atmosphère un peu embarrassante, chercha un sujet de conversation : « Je ne pensais pas que vous étiez deux jeunes femmes. »
Ruan Nanzhu : « Et sinon ? »
Feng Yongle : « Je croyais que tu étais un garçon. »
Ruan Nanzhu : « Qui a dit que les femmes valaient moins que les hommes ? »
Lin Qiushi, adossé à la tête du lit, pensa tranquillement que personne n’aurait pu deviner que ce défenseur du féminisme était en réalité un “grand frère déguisé en adorable jeune fille”.
Huit heures approchaient. Lin Qiushi entendit soudain, dans le couloir, des bruits de poursuite et de course. Ces pas résonnaient d’un ton clair et vif, mais portaient une note de panique. Lin Qiushi échangea un regard avec Ruan Nanzhu.
Ruan Nanzhu dit : « J’y vais. »
Mais Lin Qiushi se leva avant lui. Il s’approcha de la porte, l’ouvrit prudemment pour voir qui courait dehors.
Une fois la porte ouverte, il ne vit qu’un couloir vide. Son cœur se serra ; il s’apprêtait à refermer la porte quand il sentit quelque chose bloquer le battant.
Baissant les yeux, Lin Qiushi vit qu’à ses pieds se trouvait, on ne savait comment, une chaussure à talon rouge, dressée là, posée contre le cadre de la porte.
Lin Qiushi : « … »
Ruan Nanzhu s’approcha à son tour et vit cette chaussure. Il regarda autour de lui sans la toucher, retourna dans la chambre, prit dans la salle de bain un piston de toilette sale, et, d’un coup sec, fit sauter la chaussure hors du seuil.
Le geste de Ruan Nanzhu laissa Lin Qiushi sans voix.
Feng Yongle, tout aussi stupéfait, le regarda jeter le piston au hasard puis aller calmement se laver les mains.
Quand il revint et vit que tous deux le fixaient encore, Ruan Nanzhu demanda avec curiosité : « Pourquoi me regardez-vous ainsi ? »
Lin Qiushi sortit son téléphone et tapa : Parce que tu es beau.
Ruan Nanzhu, tout sourire, déposa un baiser sur la joue de Lin Qiushi : « Toujours aussi adorable, Qiūqiū. Viens, ta grande sœur t’embrasse encore. »
Lin Qiushi, un peu gêné, écrivit : Un homme et une femme ne doivent pas se toucher.
En lisant ses mots, Ruan Nanzhu eut une expression étrange. Il savait bien qu’à chaque fois qu’il portait des vêtements de femme, Lin Qiushi avait tendance à perdre un peu ses repères…
Lin Qiushi regretta aussitôt d’avoir tapé cela. Il se rappela brusquement que la jolie demoiselle devant lui n’en était pas une, mais un homme terriblement dangereux.
Lin Qiushi : « … » Hélas, ses yeux étaient vraiment trop trompeurs.
Dehors, les talons hauts résonnèrent à nouveau. Cette fois, Lin Qiushi ne bougea pas — bien que le bruit semblât tourner tout autour de leur chambre.
La nuit était tombée, plongeant tout le sanatorium dans l’obscurité.
Tout était silencieux, et c’est précisément ce silence qui rendait les bruits de course plus stridents encore.
Au dela du claquement sec des talons sur le sol, l’ouïe fine de Lin Qiushi perçut aussi un faible sanglot d’enfant, à peine audible. Ruan Nanzhu et Feng Yongle, eux, n’avaient rien remarqué.
Lin Qiushi se recroquevilla dans son lit, feignant de n’avoir rien entendu.
« Dors, » dit Ruan Nanzhu du lit supérieur. « Et si tu n’y arrives pas, tu peux toujours venir me trouver. »
Lin Qiushi ne répondit pas. Taper sur le téléphone était fastidieux, et il n’avait pas envie de discuter.
Bientôt, la respiration de Ruan Nanzhu devint régulière. D’après ce que Lin Qiushi savait de lui, il était sûrement endormi.
Lin Qiushi tourna la tête vers Feng Yongle et le vit, lui aussi, fixé sur le plafond, l’air perdu dans ses pensées. Il se sentit étrangement soulagé — au moins, il n’était pas le seul à ne pas pouvoir dormir.
Feng Yongle remarqua son regard, se tourna et lui sourit doucement : « Tu n’arrives pas à dormir ? »
Lin Qiushi hocha la tête.
Le regard de Feng Yongle se fit d’une douceur… difficile à décrire, si bien que Lin Qiushi, effrayé, ferma aussitôt les yeux pour faire semblant de dormir. Il avait le pressentiment que, s’il restait éveillé, Feng Yongle risquait de dire quelque chose d’effroyable.
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L’auteur a quelque chose à dire :
Ruan Nanzhu : Si tu me regardes dans les yeux, tu peux être sûr que pourras voir mes sentiments.
Lin Qiushi : J’e t’ainregardé dans les yeux — je peux être sûr que tu n’es pas humain…
Ruan Nanzhu : « ????? »
Note de l’auteur : Le sanatorium de Weifuli est inspiré du Waverly Hills Sanatorium, qui a servi de modèle à la “Maison des ronces” dans la deuxième saison d’American Horror Story.
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Note du traducteur
Le Waverly Hills Sanatorium est un ancien sanatorium situé à Louisville, dans le Kentucky (États-Unis), ouvert en 1910 pour soigner principalement la tuberculose. En raison de la gravité de la maladie et d’une gestion souvent désorganisée, de très nombreux patients y sont morts, et des pratiques médicales expérimentales et cruelles y ont été menées. Après la diminution des cas de tuberculose, il a été transformé en maison de retraite, mais a continué à avoir une réputation de lieu sinistre.
Aujourd’hui, il est surtout célèbre comme site hanté et sujet de récits d’horreur.
Traducteur: Darkia1030
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