Dinghai - Chapitre  49 - Conversation intellectuelle légère

 

"Je ne m'attendais pas à ce que ce groupe ait une capacité de combat si limitée ; ils sont déjà prêts à abandonner si rapidement."

 

« Ce petit frère aimerait demander à tous les frères présents ici », déclara Chen Xing avec un sourire, « qui a une querelle avec la tribu Tiele ? Si quelqu’un est dans ce cas, qu’il dégaine son épée et vienne. Je paierai cette dette de ma vie au nom de mon ami. »

Interpellés de cette manière, tous restèrent silencieux, incapables de répondre. La tribu Tiele à laquelle appartenait Xiang Shu n’avait jamais massacré les Han. Lorsqu’ils pénétrèrent dans le col à quelques reprises, ce fut uniquement pour aider Fu Jian à régler des différends internes parmi le peuple Hu.

Un érudit ricana. « Les Hu ont des têtes aussi petites et pointues que celles d’un cerf et des yeux aussi ronds et étroits que ceux d’un rat (NT : métaphore péjorative utilisée dans les contes populaires, décrivant des individus rusés et ayant une capacité à tromper les autres). De plus, ces vermines travaillent toujours de concert. Peu importe qu’il soit Tiele, Xiongnu, Di ou Xianbei. Ceux qui ont massacré nos parents Han sont tous des ennemis mortels de notre Grand Jin, alors quelle différence cela fait-il ? Un Tiele n’est-il pas un Hu ? Puisqu’il est un Hu, où est le mal à ce que nous nous vengions ? »

Chen Xing pensa : Tout à l’heure, je t’ai pourtant entendu féliciter Xiang Shu d’être un gentleman aussi beau que le jade, et maintenant, il est devenu un cerf et un rat ? Les érudits sont vraiment capricieux.

Alors, il répondit avec sincérité : « D’après ce que ce digne frère aîné vient de dire, les Hu sont des hommes, et les Han aussi. Si quelqu’un veut se venger, pourquoi ne pas simplement le tuer immédiatement ? Pourquoi se donner tant de mal ? »

À ces mots, certains éclatèrent de rire. L’érudit, lui, s’enragea instantanément et rétorqua : « Vous êtes ridicule ! Comment osez-vous comparer les deux ? »

« Bien sûr que ce n’est pas pareil. » Chen Xing y réfléchit un instant avant d’ajouter : « Selon moi, si ni les Hu ni les Han n’étaient humains, alors tout le monde ici serait-il encore assis à discuter ? »

Xie Xuan ne put s’empêcher de demander : « Que voulez-vous dire par là ? »

Chen Xing répondit calmement : « "Humain" est un nom donné à une forme. "Hu" et "Han" sont des noms donnés aux ethnies. Un "cheval blanc" n’est pas un "cheval" (NT : voir chapitre 43), et un "Hu humain" n’est pas un "humain" – c’est le même principe. »

Xiang Shu, « ??? »

Toute la salle éclata de rire.

Xie An plissa légèrement les yeux. Il comprit immédiatement que Chen Xing avait choisi d’adopter leur style, utilisant la rhétorique et le débat pour inverser la situation. Son argumentation reposait sur le fait que « Hu » et « Han » étaient des désignations ethniques, des catégories générales ne pouvant définir la notion d’« humain » en elle-même. Il manipulait la logique et le sophisme, reprenant le célèbre paradoxe de Gongsun Long de la période des Royaumes Combattants : « Un cheval blanc n’est pas un cheval. »

Jiangdong était une région où l’on vénérait l’art du débat et des conversations intellectuelles. Tous ici connaissaient bien cette proposition. Le coup de Chen Xing revenait à s’offrir en duel dialectique, prêt à se laisser démonter et réfuter. Amusés, ceux qui s’étaient levés pour partir se rassisent un à un, bien décidés à le faire taire.

Un autre érudit déclara alors : « Les Hu sont un type d’humains, tout comme les Han. De la même manière que les ruisseaux sont un sous-ensemble des rivières, la conversation intellectuelle légère n’est pas du sophisme. Petit frère, nous jouons à cela depuis longtemps. »

Contre toute attente, Chen Xing se détourna et demanda : « Alors j’aimerais poser une question à tout le monde : qu’est-ce qu’un "humain" ? Avant de débattre pour savoir si les Hu ou les Tiele en sont, nous devrions d’abord définir ce qu’est un humain, non ? »

À ces mots, toute la salle plongea dans le silence.

Se demander si un « Hu humain » était un humain n’était pas un problème compliqué en soi. Mais définir ce qui faisait l’essence même d’un « humain » ? Peu avaient réellement réfléchi à cette question auparavant.

Au départ, Xiang Shu s’attendait à ce que la situation dégénère en conflit. Il se préparait à voir quelqu’un appeler les fonctionnaires, ce qui aurait été son signal pour s’enfuir avec Chen Xing. Bien qu’ils soient nombreux dans la salle, tous ces érudits n’auraient pas résisté à un seul de ses coups. En raison de la présence de Xie An, il aurait fait attention à ne pas frapper trop fort.

Mais à sa grande surprise, Chen Xing ne recourut ni à la force ni aux cris. En quelques phrases seulement, il parvint à clouer tout le monde sur place.

À première vue, la situation ne semblait plus aussi désespérée, bien que ce débat le laissait lui-même quelque peu perplexe.

Wang Xizhi sourit et dit : « Tout le monde ici est humain, est-ce une question qui mérite encore d’être posée ? »

Chen Xing réfléchit un instant avant de répondre : « À mon avis, ce n’est pas si évident. Pour savoir ce que nous sommes, nous devons d’abord définir la nature de cette "chose". Sinon, comment l’utiliser pour nous définir ? »

« Vous avez raison », admit Xie Xuan, désormais pris dans le raisonnement de Chen Xing.

Les humains étaient considérés comme les créatures les plus sages de toutes. Cette idée persistait depuis l’Antiquité. Mais donner une définition claire et précise de ce qu’était un « humain » ? Même les plus grands sages de jadis auraient peiné à le faire.

Le silence s’installa un moment.

Finalement, quelqu’un déclara : « Un corps de sept chi de haut, des bras et des jambes différenciés, des cheveux sur la tête, des dents dans la bouche, la capacité de se tenir debout et de marcher rapidement – voilà la définition de l’humain. »

C’était un extrait du Liezi Huangdi.

(NT : Le Livre de Lie" ou "Liezi" (列子) , est une collection d'histoires et de réflexions philosophiques qui présente des enseignements taoïstes. Huangdi (黄帝), ou l'Empereur Jaune, est l'une des figures les plus emblématiques de la mythologie chinoise et est considéré comme un empereur légendaire, sage et civilisateur.)

Sans hésiter, Chen Xing rétorqua : « Alors qu’en est-il de ceux qui mesurent huit chi ? Et ceux qui n’en font que trois ? Les personnes de petite taille ne sont-elles pas humaines ? »

« Ceux qui naissent avec deux bras, deux jambes et une tête sont des humains », affirma l’érudit qui, au début, voulait que Xiang Shu soit signalé aux autorités.

Chen Xing répliqua aussitôt avec un sourire : « Alors qu’en est-il de ceux qui naissent avec un membre manquant ? Si vous me dites que les soldats blessés au combat ne sont plus humains, je serai le premier à vous contredire. »

Xie An intervint à son tour : « Ceux qui naissent avec trois âmes yang et sept âmes yin, quelle que soit leur forme, sont humains. »

On pouvait dire que Xie An souligna l'essence de l'être « humain » en métaphysique. Toutes les personnes assises furent instantanément éclairées et soupirèrent d'admiration. Pourtant, Chen Xing déclara : « Alors, pour un humain, si ses trois âmes yang et sept yin n'existent plus, il ne sera plus "humain" ? »

Xiang Shu pensa : N'est-ce pas une évidence ?

Xie An répondit : « Il ne resterait alors qu'une enveloppe vide. »

« Nous pouvons donc prendre notre revanche maintenant », lança quelqu’un.

« Attendez, attendez », intervint Chen Xing. « Un humain qui perd ses trois âmes yang et sept yin, si je me souviens bien, devient un "humain mort", n'est-ce pas ? Alors, un humain mort reste-t-il un humain ? »

Un brouhaha s’éleva contre Chen Xing, mais celui-ci expliqua calmement : « "Mort" est un état, "humain" est une désignation de forme. Si les "humains morts" ne sont pas des "humains", alors, selon la même logique, les "humains Hu" ne devraient pas non plus être considérés comme des "humains". »

Toute l’assemblée resta silencieuse.

Xiang Shu : « … »

« Comment peux-tu comparer les morts et les Hu ? » s’indignèrent certains érudits Han.

« Serais-tu en train de me critiquer de manière détournée ? » demanda Xiang Shu, mécontent.

Chen Xing s’empressa de répondre : « Voyons cela autrement. Les chats et les chiens possèdent-ils les trois âmes yang et sept yin ? »

Xie An haussa les sourcils.

Chen Xing poursuivit, d’un ton sceptique : « Si les chats et les chiens ont une âme, peuvent-ils être considérés comme des "humains" ? Si ce n'est pas le cas, qui peut prouver que toutes les créatures, à l’exception des humains, n’ont pas d’âme ? »

Xie An venait de se prendre à son propre piège. S’il affirmait que seules les créatures humaines possédaient une âme complète, cela pouvait sembler plausible. Mais comment le prouver ? Comment démontrer qu’aucun être vivant autre que l’humain ne possédait d’âme ?

La théorie des âmes restait sans fondement. Forcer une conclusion reviendrait à s’exposer aux nombreux contre-exemples que Chen Xing était prêt à énoncer : les Six Royaumes de la Renaissance, le Yin et le Yang, la réincarnation... Selon ces croyances, les humains pouvaient renaître en animaux, ce qui signifiait que les animaux avaient eux aussi une âme.

Chen Xing ajouta : « Il y a des gens qui naissent sans âme complète, ou avec seulement deux âmes. Pourtant, nous ne pouvons pas les considérer comme non-humains, n'est-ce pas ? Mettons cela de côté un instant. Les légendes parlent de yaos renards, capables de cultiver comme les humains et de leur ressembler en tout point, à l’exception de certains instincts bestiaux dont ils ne peuvent se débarrasser. Dans ce cas, ces yaos transformés en humains sont-ils considérés comme des "humains" ? Pourquoi, alors, le monde refuse-t-il de les reconnaître comme tels ? »

Xie An trancha fermement : « C’est différent. Aucun d’entre nous n’a jamais vu un yao renard, nous ne pouvons donc pas nous attarder sur ce sujet. »

Chen Xing enchaîna aussitôt : « Dans ce cas, personne n’a jamais vu d’âme non plus. Donc, le débat sur les âmes ne peut pas être inclus dans la discussion. »

« Oui, oui… » acquiescèrent certains, en s’essuyant le front.

Un silence pesant retomba sur la salle. Après toutes ces digressions, ils étaient encore moins capables de répondre à la question de Chen Xing sur la définition de l’« humain ».

Après un long moment de réflexion, Xie An déclara : « "Humain" n’est qu’une convention. C’est nous qui décidons de la manière dont nous employons ce terme. Il est vain de se perdre dans des débats terminologiques. »

Chen Xing répliqua aussitôt : « Pourtant, personne ne nous a jamais expliqué comment ce terme est apparu. Être curieux à ce sujet, et vouloir en discuter clairement avec mes honorables aînés, me semble tout à fait légitime. »

Les tentatives d’esquive de Xie An avaient échoué. Il se gratta la nuque, perplexe. Que faire maintenant ?

Xie Xuan demanda alors : « Alors, frère Tianchi, quelle est votre opinion ? »

Chen Xing haussa les sourcils. « C'est encore mon tour ? »

Chen Xing traitait ces érudits comme Xiang Shu traitait les artistes martiaux, mais avec encore plus d’efficacité. Xiang Shu, avec sa force, pouvait affronter mille soldats, mais un par un. Chen Xing, lui, s’engageait dans un duel verbal et balayait plusieurs adversaires à la fois – une attaque de groupe imparable.

Il avait encore toute une réserve d’arguments prêts à l’emploi : « Les immortels sont-ils des humains ? Si non, pourquoi les appelle-t-on "humains immortels" ? » Ensuite, il aurait pu enchaîner sur les ancêtres, les dieux, les orangs-outans capables de langage gestuel, les singes communicants, ou même les perroquets qui imitent la parole humaine.

Mais, contre toute attente, ses opposants semblaient prêts à admettre leur défaite plus tôt que prévu.

Xie An fit un geste, signifiant à Chen Xing de poursuivre. S’il voulait prouver son point, il devait avancer un argument convaincant.

Chen Xing vida calmement la dernière gorgée de thé dans sa tasse, puis déclara avec sérieux : « À mon humble avis, ceux qui possèdent un cœur sont humains. »

Un sifflement méprisant parcourut l’assemblée, mais bientôt, le silence retomba.

Personne ne trouva rien à répondre.

Car le mot « Cœur » était un concept assez complexe à expliquer. Mencius (NT : grand philosophe chinois de la période des Royaumes combattants) avait dit un jour : « Le poisson est quelque chose que je désire. La patte d'ours est aussi quelque chose que je désire », et il cita la volonté de « sacrifier sa vie pour ses principes » comme exemple d’avoir du "Cœur". Cependant, d’après ce que disait Chen Xing, la portée de cette notion dépassait largement celle du confucianisme.

"Comment expliqueriez-vous le terme 'Cœur' ?" répliqua quelqu’un. "Allons-nous vraiment nous lancer là-dedans ? On tourne en rond…"

"Non", répondit Chen Xing. "Le Cœur, c’est ce qui distingue le bien du mal, c’est une résolution inébranlable face à la pression extérieure, une conscience claire, libre de tout désir égoïste, une innocence préservée, même lorsqu’on marche seul…"

Alors qu’il parlait, son regard croisa par inadvertance celui de Xiang Shu. Ce dernier le fixait depuis le début. Quand leurs yeux se rencontrèrent, ils détournèrent rapidement le regard, gênés. Chen Xing en perdit presque le fil de sa pensée.

"En bref", poursuivit-il, "ce sont là des éléments que je ne peux pas énumérer dans leur totalité. Mais chacun ici en a déjà lu des définitions dans les livres, alors je n’en dirai pas davantage. Il est difficile de décrire précisément ce qu’est le Cœur, mais nous savons tous, au fond de nous, ce qu’il représente."

"Dans ce cas, un problème se pose", déclara Xie Xuan. "Ceux qui perdent leur Cœur cesseraient-ils d’être humains ?"

"Évidemment." Chen Xing sourit. Du coin de l’œil, il remarqua que Xiang Shu continuait à l'observer. Feignant de ne pas s’en apercevoir, il ajouta : "Quand nous disons de quelqu’un qu’il 'n’est pas différent d’une bête' ou qu’il est 'inhumain', ce ne sont pas de simples paroles en l’air, n’est-ce pas ?"

Un jeune de la famille Wang prit la parole : "Alors, selon toi, les enfants qui n’ont pas encore développé de conscience ne seraient pas humains ? Dans ce cas, je ne peux être d’accord."

Chen Xing répliqua : "Qui a dit que les enfants n’avaient pas de Cœur ? Comment expliquer alors l’expression 'pureté enfantine' ? Notre Cœur est comme une lampe intérieure ; ce qui est censé exister existera."

"Mais dans les temps de chaos", intervint quelqu’un d’autre, "il arrive que des parents vendent leurs enfants pour survivre, que des hommes rejoignent des bandits et les considèrent comme leur famille. Dirais-tu qu’ils ne sont plus humains ? Pour moi, certains naissent bons, d’autres mauvais, c’est tout."

Chen Xing répliqua aussitôt : "Ceux qui sont mauvais par nature… je pense que, sans même que je le dise, vous ne les considérez déjà plus comme des humains, n’est-ce pas ?"

"Et si une personne, après avoir perdu son Cœur, se repentait et redevenait bonne ?" demanda un autre membre du clan Xie.

Chen Xing répondit : "Si vous êtes capables de lui pardonner, alors bien sûr. La mer de l’amertume est infinie, mais celui qui se repent peut toujours regagner le rivage. Il pourrait donc être à nouveau considéré comme un humain. C’est ce que l’on appelle une 'convention sociale', non ? C’est ainsi que l’on définit l’humanité à travers le Cœur."

"Si le Cœur est la preuve de l’humanité, alors on pourrait reconnaître un homme à distance", poursuivit Chen Xing. "Prenons mon frère ici présent, Shulü Kong. Il a toujours su distinguer le bien du mal et a défendu des principes justes. Il n’a jamais tué d’innocents ni nourri d’hostilité envers les Hans. Parmi les Hu, certains massacrent sans raison pour satisfaire leurs désirs cruels, mais d’autres sont bienveillants et se battent pour leur peuple. Sinon, pourquoi m’aurait-il suivi jusqu’à Jiankang, au prix de subir vos moqueries et vos sarcasmes ?"

Après avoir longuement fait le tour de la question, Chen Xing revint enfin au cœur du problème. Il jeta un regard à Xiang Shu, un sourire au coin des lèvres. Cette fois, Xiang Shu ne détourna pas les yeux, mais son expression était devenue plus complexe.

L’hostilité de l’assemblée envers Xiang Shu s’était quelque peu dissipée. Mais après avoir été emportés dans le raisonnement sinueux de Chen Xing, tous étaient un peu étourdis et ne savaient plus quoi répondre. Un long silence pesa sur la salle, jusqu’à ce que l’hôte, Xie An, finisse par toussoter pour rompre le malaise.

"Il se fait tard", déclara-t-il. "Pourquoi ne pas poursuivre cette discussion un autre jour ?"

"Oui, oui !" Tout le monde essuya discrètement sa sueur. Face à l’aisance de Chen Xing, qui restait calme et imperturbable malgré l’intensité du débat, ils se doutaient que s’il disposait d’une table et d’un éventail, il pourrait continuer à argumenter jusqu’à l’aube. Chacun s’empressa donc de descendre rapidement de son âne en empruntant une pente et ils partirent les uns après les autres tandis que l'hôte remerciait ses invités.

(NT : emprunter la pente pour descendre de l'âne (借坡下驴, jiè pō xià lǘ) : métaphore pour décrire une situation dans laquelle quelqu'un utilise un moyen astucieux ou indirect pour se dégager d'une situation ou d'un problème sans perdre la face)

Chen Xing jeta un rapide coup d’œil à Xie An, lui signalant qu’il était temps de conclure. S’ils laissaient la conversation traîner, il risquait que certains invités, après avoir repris leurs esprits, reviennent poursuivre le débat. Il serait alors bien plus difficile de s’en débarrasser.

Xie An lui fit signe de le suivre dans son bureau. Chen Xing tourna les yeux vers Xiang Shu, mais ce dernier restait impassible. Il s’attendait à recevoir un compliment, mais l’expression de Xiang Shu demeurait indifférente. Frustré, il demanda avec ressentiment : "Alors ? Qu’est-ce que tu en as pensé ?"

"Tout ce bavardage m’a donné envie de dormir", rétorqua Xiang Shu.

Chen Xing resta sans voix.

*

Dans l’étude…

Les mots « Dieu merci » se lisaient clairement sur le visage de Xie An. Son regard se posa sur Chen Xing, puis il commença à desserrer ses robes avant de se déshabiller. Il ôta son pendentif en jade et le jeta de côté. Vêtu uniquement d’un vêtement non doublé, il retira ses chaussures et ses chaussettes avant de se laisser tomber sur le canapé du bureau, puis il attrapa un récipient et y but directement.

« Conversation intellectuelle légère », déclara Xie An avec désinvolture. « La seule chose qu’ils font de leur journée, c’est débattre de futilités. Un groupe tellement inutile ! »

Chen Xing : « … »

« Pourquoi restez-vous figés ? » demanda Xie An en voyant que Chen Xing et Xiang Shu demeuraient debout. Il ajouta : « Asseyez-vous ! Que voulez-vous manger pour le dîner ? Je vais faire rôtir un cochon et le faire livrer ici ? »

Chen Xing hésita. « Euh… est-ce que je t’ai causé des ennuis, Secrétaire Xie ? »

« Tu devrais être superviseur du secrétariat maintenant », soupira Xie An avec amertume. « Petit Shidi, tu es vraiment difficile à gérer. Qu’importe, n’en parlons plus. Quelle est la situation ? Nous avons enfin le temps d’en discuter sérieusement. »

Chen Xing se massa le front. « Seigneur Xie, j’y ai beaucoup réfléchi, mais il me semble que nous ne sommes pas réellement disciples du même maître. »

Xie An se leva d’un bond. « La dernière fois que je suis allé au mont Hua et que j’ai reconnu Maître Baili comme mon professeur, j’ai fait de nombreux préparatifs à mon retour. Écoute, après toutes ces années à tourner en rond, j’ai enfin été récompensé par le Ciel… »

Puis il se retourna et poussa une étagère sur le côté. Dans un léger bruit de froissement, un compartiment secret apparut dans l’ombre. Des étagères regorgeaient de précieux sabres et épées, de bouteilles, de bocaux, de pendentifs en jade, de bagues et les dix-huit types d’armes s’y trouvaient. À cette vue, Chen Xing manqua de défaillir.

Xiang Shu fronça les sourcils. « Qu’est-ce que c’est que ça ? »

D’un ton sérieux, Xie An répondit : « Après les recommandations de Shifu Baili, j’ai consacré toute ma vie et toute mon énergie à retrouver ces artefacts magiques pour la grande entreprise des exorcistes.»

Chen Xing : « ……………………… »

Xie An lui fit signe d’approcher. « Shidi, pourquoi ne viens-tu pas les examiner ? »

Chen Xing balbutia : « L… laisse-moi me calmer un peu. »

Xiang Shu s’avança vers les étagères et attrapa une hallebarde, l’examinant avec attention.

« Tu aurais dû en parler plus tôt ! » s’exclama Chen Xing. « Pourquoi inviter tous ces lettrés à prendre le thé et à avoir une ‘légère discussion intellectuelle’ ? Tout cela n’a fait que me fatiguer. N’aurais-tu pas pu nous amener directement ici pour une vraie conversation ? »

Xie An haussa les épaules, impuissant. « Tu ne le sais pas, mais les descendants de la haute société de Jiankang passent leur temps à courtiser le pouvoir. Si je n’avais pas organisé de réception pour vous, qui connaîtrait ton nom ? Regarde, après tout ce qui s’est passé aujourd’hui, l’Empereur va sûrement te convoquer dans quelques jours. Ton nom se répandra alors de lui-même au loin, non ? »

« Seigneur Xie ! » interpella quelqu’un de l’extérieur. « Seigneur Wang est ici. »

Xie An enfila rapidement ses robes, referma le compartiment et, en quelques instants, la pièce retrouva son apparence d’origine. « Entrez. »

C’était Wang Xizhi. Xie An lui adressa un sourire poli et hocha la tête. « J’ai une discussion très intéressante avec mon petit Shidi ici. »

Wang Xizhi, un document à la main, sourit. « Le festival de Qingming aura lieu dans quelques jours. Je voudrais inviter le petit frère Tianchi et le frère Xie dans les montagnes de Nanping pour une randonnée printanière. Après avoir rédigé cette invitation, j’ai pensé qu’envoyer un messager serait trop impersonnel, alors j’ai préféré venir moi-même pour exprimer ma sincérité. »

« Très bien, très bien », répondit Xie An en souriant.

Chen Xing raccompagna rapidement Wang Xizhi et referma la porte du bureau. Xie An ôta de nouveau ses robes et s’affala sur le canapé. « Où en étions-nous ? »

Xiang Shu, les bras croisés, le fixa un instant avant de demander : « Être si différent en public et en privé… ne trouves-tu pas cela épuisant ? »

« Si ! » répliqua Xie An, le ton grave. « Mais je n’ai pas le choix. La cour impériale est peuplée d’officiers civils et militaires qui ne maîtrisent que le langage creux et les apparences. Que puis-je faire d’autre ? »

Chen Xing protesta : « Ce n’est pas si terrible, tout de même ! »

Xie An désigna le nord. « Fu Jian est sur le point de traverser le Yangtze. Tout le monde est en danger. Qu’en penses-tu ? »

Chen Xing réfléchit un instant avant de répondre : « Cela n’arrivera pas si tôt. Il est trop accaparé par ses propres affaires… mais frère Xie, toi… »

Il scruta Xie An de haut en bas avant de s’asseoir à ses côtés. « Alors voilà ce qu’il en est… »

Chen Xing entreprit de raconter en détail les événements survenus à Chang’an et à Chi Le Chuan. Xie An l’écouta en silence, hochant parfois la tête, avant de pousser un long soupir. « En vérité, j’aurais aimé assister à une telle scène ! »

« Tu as de la chance de ne pas y avoir assisté, d’accord ? » s’exclama Chen Xing, excédé. « Si quelque chose comme ça se produisait à Jiankang, tout serait perdu ! »

Xie An resta pensif, puis sembla finalement prendre une décision. « Rester à Jiankang n’est pas une stratégie viable sur le long terme. Le jour où j’ai reçu ta lettre, petit Shidi, j’ai commencé à me demander si je ne devrais pas simplement trancher le nœud de chanvre et en finir. Je vais démissionner et vous suivre… »

« Arrête ! » l’interrompit Chen Xing. « N’y pense même pas ! Shixiong, tu as plus de quarante ans ! Je ne sais pas ce que Shifu t’a dit, mais, au-delà du fait que ton corps puisse combattre les yaos, la véritable question est que toute magie a sombré dans le silence. Il est donc impossible de s’entraîner comme exorciste ! »

Xie An déclara alors avec sérieux : « Peux-tu laisser Shixiong voir ta lampe du cœur ? »

Xiang Shu, impassible, fixa Xie An sans un mot. Chen Xing, quant à lui, n’eut d’autre choix que d’allumer sa lampe du cœur. Aussitôt, Xie An parut perdu dans un état second en observant la lueur vacillante. Il agrippa même le poignet de Chen Xing, fasciné.

« Seigneur Xie ! » appela soudain la gouvernante depuis l’extérieur. « Un autre invité souhaite vous rendre visite… »

Chen Xing éteignit immédiatement la lampe du cœur, et Xie An retrouva aussitôt son sérieux avant d’ouvrir la porte. « Qu’est-ce ? » demanda-t-il.

La gouvernante jeta un regard furtif à Chen Xing, puis se pencha pour chuchoter à l’oreille de Xie An. Ce dernier répondit aimablement : « Je n’ai pas d’argent. Dites-lui de rentrer. »

Après le départ de la gouvernante, il se retourna vers Chen Xing et le supplia avec insistance : « Laisse-moi jeter un autre coup d’œil ? »

Chen Xing, le visage impassible, ralluma la lampe du cœur, permettant à Xie An de l’étudier à sa guise.

« Alors c’est bien de la magie… » s’exclama Xie An, émerveillé. « Une magie capable de déplacer des montagnes, de remplir des mers et de bouleverser le cours du temps en secret ! »

« J’aimerais bien, moi aussi, déplacer des montagnes, remplir des mers et maîtriser le temps à ma guise, » rétorqua Chen Xing. « Mais, dis-moi, Shixiong, à part pour trouver de l’eau au milieu de la nuit, à quoi sert réellement cette lampe du cœur ? »

« Il doit bien y avoir une utilité, » insista Xie An. « C’est un véritable miracle sur terre ! »

« Assez ! » s’exclama Chen Xing. « Pourquoi ne vas-tu pas sauver le monde de sa disparition et éliminer Chiyou, tant que tu y es ? Moi, je ne voulais même pas être exorciste ! Alors pourquoi tiens-tu tant à en devenir un ? »

Sans répondre, Xie An attrapa Chen Xing par le bras et l’entraîna devant une grande étagère couverte d’objets hétéroclites. « Regarde tout cela. Observe-les lentement et dis-moi si ce que j’ai trouvé peut être utile. Dans les jours à venir, nous pourrons les étudier ensemble. »

Chen Xing fit face aux étagères débordantes de livres et d’ornements. La plupart n’étaient que de simples antiquités sans valeur, mais parmi elles, un ou deux objets semblaient bien être des artefacts magiques. Toutefois, il lui était impossible de déterminer leur époque d’origine.

Soudain, son regard s’arrêta sur un fragment de bambou.

Son cœur manqua un battement.

C’était le feuillet manquant du département des exorcistes dans le monde miroir de Chang’an. Même la façon dont il était relié était identique.

D’un geste fébrile, Chen Xing déplia le bordereau et parcourut la première colonne de mots inscrits à gauche :

« Exorcisez et tuez les yaos. Budong Rushan. »

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

 

 

 

 

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