« Wu ! Wu !"
La balade à cheval fut cahoteuse. Chen Xing avait les deux mains liées derrière le dos et était attaché à l'arrière du cheval par la taille. Le cliquetis de plaques de métal résonnait alors que Sima Wei, vêtu d'une armure noire, galopait hors des montagnes Yin avec lui. Ils empruntèrent la route commerciale située à l'extérieur de la Grande Muraille, se dirigeant vers l'est.
Sima Wei l'avait enlevé. En un clin d'œil, il avait poussé son cheval à parcourir plusieurs centaines de kilomètres. Ils passèrent même par Chi Le Chuan, mais, au lieu de remonter vers le nord pour entrer dans la Grande Muraille, il continua à l'est.
À midi, Sima Wei jeta Chen Xing au sol, desserra ses liens, puis lui lança un biscuit tout en indiquant d'un geste un ruisseau non loin.
Chen Xing maugréa intérieurement : "..."
« Xiang Shu viendra me sauver », déclara Chen Xing en dévorant le biscuit. Il arracha même de l’herbe pour calmer sa faim, se résignant à la situation. Un homme sage se soumet aux circonstances, pensa-t-il, tout en cherchant désespérément un moyen de ralentir Sima Wei.
Durant leur voyage, Sima Wei était resté obstinément silencieux face à toutes les tentatives de conversation de Chen Xing. Mais cette fois, il répondit d'une voix grave : « Il ne viendra pas. Il pensera simplement que tu es parti de ton propre chef. »
Ces mots frappèrent Chen Xing en plein cœur. ‘Merde, et si Xiang Shu pensait vraiment cela ?’ Après tout, avant que Xiang Shu ne monte dans les montagnes, il avait parlé de partir.
C'était plausible ! Chen Xing s'était déjà éclipsé sans prévenir dans le passé. Mais cette fois, Xiang Shu n'avait pas été témoin de son enlèvement. Xiao Shan dormait, donc personne ne pourrait dire à Xiang Shu que Chen Xing avait été capturé. Et comme Xiang Shu, en tant que Grand Chanyu, portait le poids de nombreuses responsabilités, Chen Xing avait souvent laissé entendre qu'il partirait un jour.
S'il pensait que Chen Xing était parti sans adieu, il retournerait probablement à Karakorum, laissant Chen Xing à son sort. Il devait donc trouver un moyen de se sortir seul de cette situation !
Quelques corbeaux perchés au sommet d'un arbre croassaient bruyamment. Chen Xing tenta plusieurs fois d'activer sa lampe du cœur, mais il ne ressentit pas la présence de Xiang Shu. Peut-être était-il trop loin... ou peut-être que la réalité était plus cruelle : Xiang Shu ne viendrait pas.
Ainsi, Chen Xing ne pouvait que planifier sa propre résistance. Tout au long du voyage, il échafauda des plans d'évasion, pensant à la façon de fuir lorsque Sima Wei baisserait sa garde. Mais ce dernier semblait infatigable. Il ne mangeait ni ne dormait. Chaque pause n'était destinée qu'à laisser Chen Xing se reposer avant de repartir. Il ne lui laissait aucune chance de fuir.
Chen Xing tenta de lui soutirer des informations, mais Sima Wei restait obstinément muet. Ainsi, ils avancèrent à toute allure pendant six jours.
Un matin, Sima Wei le réveilla brusquement : « Lève-toi, on bouge. »
Chen Xing grommela : « Où veux-tu m'emmener ?! »
Sima Wei ne répondit pas. Chen Xing insista : « Je veux faire une sieste. J'ai les jambes arquées à force de monter à cheval, et mes pieds me font mal. »
Agacé, Sima Wei lui permit de rester sur place un moment, tandis qu'il partait inspecter les environs.
Profitant de cette occasion, Chen Xing regarda autour de lui, se retourna, puis se mit à courir à toutes jambes.
« Croa ! Croa ! » Les corbeaux s'envolèrent, brisant le silence. Sima Wei bondit à sa poursuite. Une scène de chasse s’ensuivit, mais avant qu'un bâton d'encens ne puisse se consumer entièrement, Sima Wei le rattrapa dans une grotte de montagne. Chen Xing se retrouva emmailloté comme une boulette et jeté sur le cheval. Ils continuèrent leur route vers l'est.
Leur voyage s’accéléra et dura près de dix jours. Sima Wei suivait toujours la ligne de la Grande Muraille, évitant soigneusement les cols et les villages. A chaque halte, leur camp était entouré de corbeaux qui semblaient les suivre.
Un soir, alors qu’il se débattait sur le cheval, Chen Xing s'exclama : « Tu ne peux pas m'emmener quelque part où il y a des gens ? »
Sima Wei ignora ses plaintes et poursuivit son chemin. Finalement, ils quittèrent la Grande Muraille, se dirigeant vers le nord avant d’entrer dans le Youzhou.
En cours de route, Chen Xing aperçut plusieurs fois de loin l'armée Qin. Mais Sima Wei, doté d’une maîtrise exceptionnelle pour éviter les détections, contourna les troupes et poursuivit sa route vers le sud-est.
Au moment où il aperçut la plaque "Zhuojun", Chen Xing comprit qu'ils arriveraient sur le territoire de Goguryeo s'ils continuaient vers le sud-est. Après avoir quitté les plaines centrales, Sima Wei relâcha enfin sa surveillance sur Chen Xing.
(NT : Goguryeo (고구려, 高句麗) était un ancien royaume coréen qui a existé de 37 av. J.-C. à 668 apr. J.-C. C'était l'un des Trois Royaumes de Corée, aux côtés de Baekje et Silla.)
"Je ne m'échapperai vraiment plus !" dit Chen Xing. « Nous sommes presque à Silla maintenant ; je ne pourrais même pas retrouver mon chemin si je m'échappais. Détache-moi, Sima Wei ! »
Sima Wei répondit : « Les tentatives ne doivent pas dépasser trois. »
Chen Xing obtint ce qu'il souhaitait et fut enfin libéré. Tous deux pénétrèrent dans l'une des plus grandes villes de Goguryeo, Pyongyang. La plupart des habitants étaient des Buyeo, et beaucoup d'entre eux comprenaient la langue Xianbei. Sima Wei changea pour des vêtements ordinaires qu'il avait trouvés et conserva son armure dans son bagage à main. Il portait également un chapeau conique en bambou qui couvrait la moitié de son visage.
Quand les habitants de Buyeo les virent passer, ils les regardèrent avec curiosité. Certains leur posèrent même des questions, et Chen Xing leur répondit dans la langue Xianbei.
« Pourquoi êtes-vous ici tous les deux ? » demanda un Buyeo. « Venez-vous du pays Jin ? »
Sima Wei se tourna vers Chen Xing. « Qu'ont-ils dit ? »
Chen Xing savait que Sima Wei ne comprenait pas, alors il en profita pour manipuler la situation.
« Ils demandent où nous allons », répondit-il.
Sima Wei lui demanda : « Demande-leur où nous pouvons trouver un bateau. »
Alors Chen Xing répondit aux habitants en Xianbei : « J'ai été kidnappé par cette personne ! Je viens de Chi Le Chuan ! »
Les habitants commencèrent à discuter vivement, et beaucoup d'entre eux se rapprochèrent. Tous étaient vêtus de robes de lettrés et de chapeaux de bambou, habillés comme des érudits confucéens.
Depuis que Sosurim de Goguryeo était monté sur le trône, le Collège impérial de l'apprentissage suprême avait été fondé à Pyongyang pour former des érudits. Depuis la dynastie Han jusqu'à la dynastie Cao Wei, en passant par la dynastie Jin, les doctrines confucéennes des plaines centrales étaient largement admirées dans de nombreux États vassaux. Tous les groupes ethniques s'efforçaient d'apprendre la langue han et de lire les livres han. Ce groupe d'érudits venait de terminer ses cours au Collège impérial. Fidèles à la vertu chevaleresque de défendre les opprimés, ils barrèrent tour à tour la route de Sima Wei et Chen Xing, observant avec curiosité ce duo étrange.
L'un des érudits demanda : « Comment pouvons-nous vous sauver ? Pouvons-nous être d'une quelconque aide ? »
Sima Wei se tourna vers Chen Xing. « Qu'ont-ils dit ? »
Chen Xing fit un geste de la main. Comparé aux autres rois démoniaques, Sima Wei paraissait beaucoup plus doux, mais Chen Xing ne savait pas s'il deviendrait soudainement fou. S'il se lançait dans une tuerie dans la ville, cela ne ferait que causer des souffrances inutiles aux innocents. Alors, il ne demanda pas d'aide immédiatement et expliqua : « Ce type est fou, il a tué beaucoup de gens sur notre chemin. Tout le monde, s'il vous plaît, ne faites rien de précipité. »
Sima Wei leva un sourcil. « ? »
Tout le monde demanda : « Alors, que faire ? »
Après avoir parlé, Chen Xing transmit à Sima Wei : « Ils ont dit que les bateaux ne partiraient pas de sitôt et nous ont conseillé de nous reposer dans la ville. Il faudra vérifier dans quelques jours. »
Sima Wei scruta les expressions des habitants, puis se tourna vers Chen Xing. « Ne me mens pas. »
Chen Xing répondit : « Je ne mens pas ! »
Sima Wei répliqua : « Ils n'ont dit que quatre mots tout à l'heure. Comment cela a-t-il pu devenir de si longues phrases après traduction ? »
Chen Xing haussant les épaules répondit : « C'est comme ça la langue Xianbei ! Vous ne connaissez pas ? Si vous pensez que je suis trop bavard, alors parlez-leur vous-même. Je n'en ai plus rien à faire.»
Sima Wei grogna : « Nous allons à l'embarcadère pour chercher un bateau. »
Chen Xing paniqua : « Attendez, attendez, attendez... »
Il réfléchit un instant, puis sourit calmement à la foule, les mains jointes. « Geges, s'il vous plaît, aidez-moi à prévenir les gardes de la ville. Je vais le piéger pour qu'il se repose d'abord dans une auberge. Si quelqu'un me demande, faites-le savoir. »
Sima Wei, agacé, demanda : « Qu'as-tu dit cette fois ? »
Chen Xing répondit : « Je leur ai demandé quand les bateaux partiraient. »
Sima Wei, dubitatif, répliqua : « Votre ton était clairement descriptif, pas curieux. »
Chen Xing demanda en Xianbei : « Où se trouvent les auberges dans la ville ? »
Un habitant pointa une direction au loin. Chen Xing fit un signe à Sima Wei comme pour dire : « Tu vois, je demande. »
L'un des érudits prit la parole : « Je vais maintenant aller voir les gardes du roi pour leur rapporter la situation. Faites attention. »
Chen Xing acquiesça vivement de la tête.
Sima Wei : "?"
Chen Xing déclara : « Ils ont dit que nous devions attendre au moins trois à cinq jours. Allons-y, ba. »
Ainsi, sous les regards médusés de tous, Chen Xing passa du statut d'invité à celui d'hôte et prit ses distances avec Sima Wei. Les deux traversèrent un marché. Chen Xing, secrètement ravi, savait que Sima Wei devait être rempli de doutes en ce moment. Il lui fallait trouver un moyen de détourner son attention. Pointant du doigt les marchandises sur les étals, il demanda : « Tu veux acheter du rouge?»
Sima Wei : "???"
Chen Xing poursuivit : « Ils semblent un peu se méfier de toi… Ton visage est bleu. »
Sima Wei : "..."
« Mets du rouge », insista Chen Xing. « Couvre-le un peu. Tu as de l’argent ? Allez, prends de quoi dépenser. »
En même temps, il se disait que si des gardes arrivaient plus tard pour sauver Sima Wei, il pourrait toujours prétendre qu’il n’y était pour rien. Après tout, il suffirait de dire que la foule avait trouvé le teint de Sima Wei trop cadavérique et l’avait signalé aux autorités. Tout irait bien.
Mais Sima Wei n’avait pas prévu de dépenser de l’argent ici et se retrouvait totalement démuni. Chen Xing eut une idée. « Ton armure peut être mise en gage. Ce casque doit valoir une belle somme. »
Sima Wei, méfiant : « Tu veux mettre mon armure en gage ? »
Chen Xing, imperturbable : « Et sinon ? On a besoin d’argent pour prendre un bateau, non ? Et puis, il faut aussi manger et acheter des vêtements. Toi, peut-être pas, mais moi, si. »
C’est ainsi que Sima Wei, dupé par Chen Xing, accepta de mettre son casque en gage. Grâce à cet argent, ils purent se trouver un logement.
En arrivant devant l’auberge, Chen Xing remarqua quelques corbeaux s’envoler de l’entrée du bâtiment. Une étrange sensation s’empara de lui : il était persuadé d’avoir déjà croisé ces mêmes corbeaux en chemin.
Mais après tout, tous les corbeaux du monde étaient noirs et se ressemblaient. Peut-être se trompait-il.
Un éclair déchira soudain le ciel, suivi d’un grondement de tonnerre. Une averse s’abattit brusquement sur la ville. Les passants coururent se mettre à l’abri pour ne pas être trempés.
À peine entré dans l’auberge, Chen Xing cessa de se soucier de Sima Wei et demanda au serveur de préparer de l’eau chaude pour un bain. Après s’être lavé et changé, il se sentit bien mieux.
« Je vais t’aider à masquer un peu ça, ba. »
Chen Xing observa Sima Wei avant de commencer à lui appliquer du rouge pour estomper son teint blafard.
Pendant ce temps, Sima Wei ferma les quatre fenêtres de la pièce. Chen Xing mélangea la poudre, mais alors qu’il s’apprêtait à l’appliquer, Sima Wei lui saisit soudainement le poignet.
D’une voix presque inaudible, il murmura : « Exorciste… sauve-moi. »
Chen Xing : "!!!"
En entendant ces mots, Chen Xing manqua de faire tomber la poudre rouge. Soudain, un détail lui sauta aux yeux. Il leva la tête vers la poutre massive du plafond et perçut, au loin, le crépitement de la pluie frappant les tuiles.
Sima Wei chuchota : « Shi Hai a envoyé des choucas pour nous surveiller tout au long du chemin. Je dois t’emmener au Palais Huanmo. Je n’ai pas le choix. »
Chen Xing, stupéfait : « Tu… tu… Sima Wei ? »
Sima Wei poursuivit : « Pour faire court, peux-tu utiliser la Lampe du Cœur pour briser le contrôle que Shi Hai exerce sur moi ? »
Chen Xing murmura : « Je ne sais pas. Tu étais bien le prince Yin de Chu de ton vivant, non ? Mais… Attends, tu es mort depuis près d’un siècle. Pourquoi n’es-tu jamais entré dans le cycle du samsara?»
Un autre coup de tonnerre éclata, illuminant brièvement la pièce de lueurs blanches filtrant par la fenêtre.
Sima Wei se leva et se mit à faire les cent pas, la perplexité transparaissant dans sa voix.
« Je ne sais plus qui je suis », murmura-t-il. « Je ne me souviens que de fragments épars de ma vie passée. J’ai les souvenirs de nombreuses personnes… La plupart proviennent de Sima Wei, mais je… je… Je sais que je suis différent d’eux. »
Chen Xing fronça les sourcils. « Eux ? Combien des Huit Princes ont été ressuscités ? »
Il y avait eu Sima Lun, aperçu à Chang’an, Sima Yue dans le Nord, et maintenant Sima Wei… Ce qui faisait déjà trois rois-démons.
« Six », révéla Sima Wei. « Shi Hai veut te capturer et utiliser le ressentiment accumulé pour raffiner l’artefact magique de la Lampe du Cœur. Il compte la transformer en l’Œil de l’Ordre des Dix Mille Esprits et l’offrir en sacrifice au Dieu-Diable. »
Chen Xing s’exclama aussitôt : « L’Ordre des Dix Mille Esprits ? Qu’est ce que c’est que ça ? »
Sima Wei expliqua : « Il existe sept matrices de Dix Mille Esprits. Je n’ai entendu qu’une partie de leurs plans… Toutes sont alimentées par des artefacts magiques qui absorbent le ressentiment. Lorsque les sept matrices seront activées en même temps, le Dieu-Diable renaîtra. Shi Hai nous a ressuscités, nous, les Huit Princes, pour garder ces matrices en son nom. »
Chen Xing garda le silence.
Sima Wei poursuivit : « Le Miroir Yin-Yang, le Tambour Zheng… Shi Hai les a créés. Deux sont déjà tombés entre tes mains. Quant à l’Ordre des Dix Mille Esprits, je sais seulement qu’une partie se trouve à Chang’an. »
Chen Xing enchaîna aussitôt : « Et les autres artefacts magiques ? »
Sima Wei secoua la tête. De toute évidence, même lui n’en savait pas beaucoup plus.
Chen Xing insista : « Où se cache Shi Hai ? »
Nouveau silence. Sima Wei baissa lentement la tête.
Chen Xing changea d’angle : « Que puis-je faire pour toi ? »
Sima Wei, le regard fixe, répondit simplement : « Peux-tu le tuer ? Tant qu’il mourra, je serai enfin libre. »
Chen Xing tressaillit. Il ne savait même pas quelle était la véritable nature de Shi Hai… Alors savoir où il se cachait, encore moins le tuer, relevait d’un tout autre niveau.
« Shi Hai t’a ordonné de me ramener dans les Plaines Centrales. Il n’a pas prévu un point de rencontre ? » interrogea Chen Xing une nouvelle fois.
Sima Wei leva les yeux vers le toit et répondit : « Les choucas surveillent mes mouvements à tout moment. Une fois entrés dans les plaines centrales, il enverra naturellement des gens à notre rencontre. »
Chen Xing leva la main, demandant à Sima Wei de lui accorder un peu de temps pour réfléchir. L’ordre des dix mille esprits, Shi Hai, le Dieu démon… les artefacts magiques. Sima Wei poursuivit : «À présent, nous sommes encore loin de Shi Hai, et son contrôle sur moi s’est affaibli avec la distance. Tu dois trouver un moyen de me libérer. »
« Et ensuite ? » demanda Chen Xing. « Une fois libre, que comptes-tu faire ? »
Sima Wei murmura : « Je l’ignore. En tout cas, je refuse de rester asservi par lui de la sorte. »
Chen Xing répondit : « Je… je peux essayer, mais je crains de ne pas y parvenir. Sans le soutien du Qi spirituel des cieux et de la terre, les pouvoirs de la lampe du cœur sont limités. »
Les révélations de Sima Wei bouleversaient tout ce que Chen Xing tenait pour vrai jusqu’alors. En un instant, tout lui parut clair. Peu après, il entendit à nouveau les croassements des corbeaux sur le toit.
« Il commence à douter », déclara Sima Wei en se levant pour ouvrir les fenêtres. Une pluie torrentielle s’abattait sans relâche, inondant le rebord de la fenêtre et les contraignant tous deux au silence. La pluie redoubla d’intensité. Des rideaux d’eau étincelants s’étendaient à perte de vue. Chen Xing s’approcha du rebord de la fenêtre pour jeter un coup d’œil, mais Sima Wei lui fit signe depuis un coin obscur. Les corbeaux, perchés sous le bord des tuiles, les observaient fixement.
« Laisse-moi partir », demanda Chen Xing à Sima Wei.
Sima Wei ne répondit pas. Il jeta un regard à Chen Xing, ses yeux troubles. Chen Xing ne parvint pas à discerner ses pensées, mais, dans le crépitement de la pluie, un léger cliquetis d’armes se fit entendre.
Il ferma les yeux, cherchant à démêler les liens entre tous ces éléments. Soudain, la lampe du cœur clignota dans l’obscurité.
Sima Wei observa Chen Xing en silence. Une pensée traversa l’esprit de ce dernier : Et si j’essayais maintenant ? Il n’avait jamais tenté d’injecter le pouvoir de la lampe du cœur dans un roi démon de la sécheresse, ni même dans un cadavre vivant. Parviendrait-il à dissiper le ressentiment en eux ? Et, une fois dissipé, cela briserait-il le contrôle de Shi Hai sur eux ? Ou réduirait-il leurs corps en cendres?
Une douce boule de lumière apparut dans la main de Chen Xing. Il la souleva. Sima Wei se tourna vers lui, saisit son arme et sembla, malgré lui, craindre cette lumière, bien qu’il s’efforçât de ne pas attaquer Chen Xing.
Ce dernier prit une profonde inspiration. Mais à cet instant précis—
Un bruit retentissant éclata : Xiang Shu, épée en main, fracassa le mur de briques et fit irruption dans la pièce !
« Baisse-toi ! » cria-t-il. « La lampe du cœur ! »
Les choucas, à l’extérieur, se mirent à croasser frénétiquement. Sima Wei dégaina son épée !
Chen Xing retira sa lampe du cœur. Alors qu’il inclinait la tête, l’épée de Xiang Shu balaya l’air derrière lui, visant directement Sima Wei. Ce dernier, sans armure, reçut le coup en pleine poitrine. Ses côtes craquèrent sous l’impact, et il fut projeté par la fenêtre comme un cerf-volant dont la corde aurait été sectionnée. Un autre « bang » retentit lorsqu’il percuta le toit d’une maison voisine, qui s’effondra dans un grondement sourd.
Chen Xing leva les yeux, croisant le regard de Xiang Shu. Vêtu d’une tenue de chasse, ce dernier semblait sorti d’un monde sauvage. Trempé de la tête aux pieds, les yeux injectés de sang, il était évident qu’il n’avait guère dormi pendant les dix jours de poursuite. Xiang Shu ne jeta même pas un regard par la fenêtre. Il enroula son bras gauche autour de Chen Xing, recula d’un pas, s’accroupit et bondit, défonçant le toit pour s’envoler !
Une pluie tumultueuse tombait, comme si le ciel s’était déchiré. Chen Xing, trempé, glissa alors qu’il était entraîné par Xiang Shu. Les choucas déployèrent leurs ailes, mais leur vol semblait ralenti par l’averse. Des bruits d’arbalètes résonnèrent : les guerriers de Goguryeo couvraient la fuite de Xiang Shu et Chen Xing.
« Quand es-tu arrivé ? » cria Chen Xing.
« À l’instant ! » lui répondit Xiang Shu. Chen Xing tourna la tête et aperçut une silhouette grise s’élever d’un bond, brandissant un long sabre. C’était Sima Wei, vêtu d’une robe grise. Là où passait son Qi, les tuiles volaient en éclats.
Xiang Shu maintint Chen Xing et pivota, puis tous deux glissèrent du bord du toit. Des flèches pleuvaient, obscurcissant le ciel en un instant et bloquant la route à Sima Wei.
« Attention aux corbeaux… »
« Peux-tu courir ? ! » hurla Xiang Shu.
« Oui ! Oui ! » répondit Chen Xing.
Tous deux, trempés jusqu’aux os, avançaient à toute allure. Une joie immense submergea Chen Xing : Tu es enfin venu ! Je savais que tu viendrais ! En saisissant la main de Xiang Shu, tous ses soucis s’évanouirent, et il courut à ses côtés sous la pluie battante.
Xiang Shu jeta un regard en arrière vers Sima Wei, qui les poursuivait. Les archers ordinaires ne pourraient l’arrêter ; il fallait l’attirer dans un endroit désert.
« Je ne peux plus courir ! » haleta Chen Xing, à bout de souffle. « Porte-moi ! »
Xiang Shu : « … »
Sima Wei poussa un grand cri. Avec les deux mains brandissant son épée, il soudain descendit d’en haut, prenant un raccourci en glissant sur un toit dans la ruelle. Juste après, un autre guerrier de Goguryeo se précipita et bloqua l’entrée de la ruelle en criant : « Partez vite ! »
Chen Xing ne put s’empêcher de se sentir ému. Xiang Shu avait déjà sauvé la personne qu’il voulait sauver, alors il ne prit pas la peine de continuer le combat. Il se rua hors de la petite ruelle, traînant Chen Xing derrière lui, mais un grand nombre de cavaliers apparurent devant eux. Au moment où Chen Xing se remettait de sa surprise, pensant qu’il y avait plus d’ennemis à affronter, la personne en armure qui se tenait à l’avant pointa du doigt vers la gauche, leur indiquant de courir dans cette direction. Ensuite, la cavalerie brandit ses armes, prête à charger dans l’allée.
« Comment as-tu su que j’étais capturé ? Je pensais que tu ne viendrais pas ! »
« Tu vas être ma mort ! » Xiang Shu essuya l’eau sur son visage et rugit de colère contre Chen Xing.
Le tonnerre gronda en même temps qu’un fort « boum ». Chen Xing n’entendit pas ce qu’il venait de dire et sourit en demandant : « Quoi ? Qu’est-ce que tu as dit ? »
Xiang Shu répondit : « J’ai mal à la gorge ! Je ne te parle pas ! »
Tous deux se précipitèrent dans la longue rue, affrontant l’averse torrentielle. Soudain, tout se dégagea, révélant une jetée plane d’un rayon de plusieurs kilomètres. Un navire remontait actuellement son ancre et déployait ses voiles pour quitter le port, tentant de prendre le large malgré l’orage.
Xiang Shu regarda en arrière. Chen Xing demanda à nouveau : « Qui était-ce tout à l’heure ? Tu le connais ? »
« Le roi de Goguryeo », répondit Xiang Shu avec désinvolture. Il plaça son épée sur son dos et porta Chen Xing dans un style nuptial...
Sima Wei, sa robe trempée traînant derrière lui, sauta plusieurs fois dans l’allée à l’extérieur de la jetée. Comme une bombe à eau, des éclaboussures brillantes jaillirent à chacun de ses pas. Chaque fois qu’il marchait sur un mur de briques, celui-ci se brisait en morceaux avec un grondement sourd. Il accéléra plusieurs fois, provoquant à chaque fois une forte rafale de vent, puis balança son long sabre en visant Xiang Shu et Chen Xing.
Xiang Shu fit quelques pas rapides et, avec Chen Xing dans ses bras, marcha sur une boîte en bois sur la jetée, la réduisant en morceaux. D’un bond, il s’élança vers le navire distant de trois zhang !
Dès que Xiang Shu et Chen Xing quittèrent le sol, Sima Wei balança sa lame avec une force capable d’ébranler les cieux. L’air derrière lui explosa, et lorsqu’il frappa le sol, les carreaux se réduisirent en poudre ! Pendant ce temps, Chen Xing, transporté par Xiang Shu, vola de la jetée au navire immense sur la mer, au milieu de ce chaos terrifiant.
Sima Wei manqua son coup. Xiang Shu et Chen Xing exécutèrent un saut périlleux dans les airs et atterrirent sur le pont, glissant sur près d’un zhang. Les bateliers reculèrent avec un « whoosh », les regardant tous deux avec étonnement.
Chen Xing vit des étoiles à cause de l’impact violent. Il lutta pour se lever. Xiang Shu, s’appuyant sur son épée, réussit à peine à s’asseoir et continua à haleter. Des gouttelettes d’eau coulaient le long de tout son corps.
Sima Wei sauta sur le toit le plus haut devant la jetée et les regarda s’éloigner sur le bateau.
Chen Xing, essoufflé, murmura : « Hu... hu... »
Xiang Shu se leva lentement. Chen Xing glissa sur le pont et se dirigea vers le bord du navire pour observer Sima Wei, son cœur empli d’émotions complexes.
« Il a finalement arrêté de nous poursuivre », haleta Chen Xing.
Les guerriers de Goguryeo avaient déjà encerclé la maison dans une manœuvre serrée. Sima Wei se tenait sur le toit, inflexible. Sa main gauche verrouillée sur la poignée de son épée, son poignet droit incliné horizontalement, une tempête grandissante déferla autour de son corps. Un pilier de ressentiment s’éleva dans le ciel !
Xiang Shu resta silencieux.
À ce moment, le navire se trouvait à près de 50 pas de Sima Wei. Les bateliers commencèrent à tourner leurs arbalètes et pointèrent au loin, mais Sima Wei ne fut pas déconcerté. Le ressentiment sur son épée convergea en un arc noir en forme de croissant, et en dessinant un cercle avec son arme, il rassembla une force extrêmement puissante et terrifiante. Dès qu’il balancerait son arme, le coup partirait avec un « whoosh » et couperait l’énorme navire en deux !
Un autre éclair éclata, sa lumière éblouissante illuminant les expressions horrifiées de tous, à l’intérieur comme à l’extérieur de la jetée.
Xiang Shu leva son épée et dit d’une voix grave : « Donne-moi tout ton mana. »
« Non, non, non ! » refusa Chen Xing immédiatement. « Nous allons mourir ! Ne plaisante pas comme ça ! Ce navire sera écrasé ! »
Même si Sima Wei balançait son épée, que Xiang Shu puisse ou non y résister était une chose – mais même si le navire n’était pas écrasé, il serait renversé par les vagues ! Chen Xing cria dans la panique : « N’agis pas de façon imprudente ! Tout fera l’affaire, Jupiter ! Sauve-moi— »
Sima Wei leva son long sabre, et juste au moment où il s’apprêtait à lancer une frappe capable de briser les cieux, une traînée de foudre éclata dans le ciel.
« Boum ! » Le tonnerre suivit l’éclair, frappant, attiré par le long sabre de Sima Wei qui se tenait en hauteur. En un instant, toute la maison fut réduite en pièces par la foudre. Le corps de Sima Wei fut brûlé, et il tomba en arrière. Le ressentiment accumulé explosa sur place et s’évanouit sans laisser de trace.
Chen Xing murmura : « Ah, c’est arrivé juste à temps, c’est super. Ne t’ai-je pas demandé de ne pas agir imprudemment ? Maintenant, tu vois, tu viens d’être frappé par la foudre. »
Puis il perdit toutes ses forces, glissa du bord du navire et s’assit sur le pont.
Traducteur: Darkia1030
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