Strong winds - Chapitre 3 - Lorsqu'il souriait, son apparence était remarquable.

 

Zhuang Zhou rêva autrefois qu'il était un papillon, se mouvant joyeusement sans savoir qu'il était Zhuang Zhou.

(NT : Zhuang Zhou, un taoïste célèbre, rêva qu’il était un papillon, voletant librement, inconscient de lui-même en tant qu’humain. Lorsqu’il se réveilla, il ne savait plus s’il était Zhuang Zhou ayant rêvé d’être un papillon, ou un papillon rêvant d’être Zhuang Zhou. Ce paradoxe philosophique a plusieurs interprétations : la subjectivité de la réalité, l’unicité entre nature et humanité, le non attachement à un unique point de vue)

Le jeune maître Liu rêva lui aussi . Il rêva qu'il s'élevait dans les cieux, flottant librement dans le vaste vide, flottant au-dessus de toutes choses.

En fait, il n'était pas vraiment un dormeur profond, surtout pendant la journée. Bien qu'il garde les yeux fermés, il était toujours capable d'entendre presque tous les bruits autour de lui. Alors, pourquoi son serviteur n'arrivait-il jamais à le réveiller ? La raison en était surtout que le jeune maître Liu ne voulait tout simplement pas se réveiller. Le monde qu'il imaginait était tellement vaste, avec des paysages de lumière du soleil et de lune magnifiques et colorés, qu'il arrivait souvent à se perdre dans un royaume éthéré. C'était donc normal qu'il ignore les appels de son serviteur.

En cours de route, le chariot se mit à tanguer légèrement. Liu Xian'an garda les yeux fermés et changea de position. Ses vêtements n'étaient pas aussi luxueux et raffinés que ceux de Liang Shu. Puisqu’il partait en voyage, il choisit de porter quelque chose de plus confortable : une vieille robe ample et légère, le col légèrement ouvert. Ce qui pourrait sembler inapproprié sur quelqu'un d'autre, lui donnait en revanche une certaine aura céleste, flottant comme un nuage au-dessus des pousses de bambou verdoyantes.

Liang Shu était assis en face de lui, ses yeux glissant des sourcils de son vis-à-vis jusqu'à un petit grain de beauté au bas de sa gorge. Il savait que sa deuxième sœur aimait collectionner les belles choses. Au palais impérial, tout était choisi avec soin, des tasses aux servantes, jusqu'aux mauvaises herbes dans le jardin. Étant une personne qui recherchait la beauté absolue, il n'était pas surprenant qu'elle ait insisté pour épouser ce jeune maître qui semblait être un immortel endormi.

Le rideau du chariot bloquait la lumière, rendant l'intérieur encore plus clos. Le parfum de bois de santal que portait Liang Shu était d'abord à peine perceptible, mais il se renforça peu à peu. Cette odeur étrange fit bouger légèrement le nez de Liu Xian'an, qui commença à se rendre compte que son rêve d'aujourd'hui semblait un peu étrange.

Ses cils frémirent légèrement, et on aurait dit qu'il luttait pour se réveiller, mais au moment où il était sur le point de le faire, le chariot fit un bond soudain. La perte d'équilibre fit rouler Liu Xian'an en avant. Il poussa un petit cri et ouvrit les yeux. Au moment critique, Liang Shu tourna son épée d'une main et la plaça entre les épaules de Liu Xian'an, le poussant doucement pour le remettre en place sur le siège.

Liu Xian'an, encore sous le choc, n'arrivait pas à se remettre de ce rêve perturbé. Pendant un moment, il resta sans réagir, son cœur battant fort dans sa poitrine. Mais ce qui l'étonna encore plus, c'est qu'après que le rêve se soit dissipé, il réalisa qu'une épée était posée juste à côté de son cou.

Une épée longue, au pommeau noir et rouge, et au fourreau tacheté.

Son regard se tourna alors vers la personne qui tenait l'épée.

La lumière vacillante à l'intérieur du chariot rendait la scène encore plus irréelle. Liang Shu avait la majeure partie du visage dans l'ombre. Ses pupilles étaient plus claires que celles de la plupart des gens, comme celles d'une bête sauvage du désert. Bien qu'il portait des vêtements somptueux, Liu Xian'an sentit immédiatement une aura meurtrière émanant de lui, une aura forgée par des années de combats sur les champs de bataille, imprégnée du vent et du sable du nord-ouest. Même le parfum de bois de santal ne pouvait pas étouffer cette senteur de sang.

"……Votre Altesse Royale."

Liu Xian'an détourna le regard et tenta de se lever pour saluer, mais au moment où il bougeait, le chariot les secoua de nouveau. Liang Shu utilisa de nouveau la garde de son épée pour le pousser de façon à le maintenir assis : "Reste assis."

"Merci, Prince." Liu Xian'an saisit le bras du siège. Il ne comprenait pas pourquoi personne ne l'avait prévenu avant le départ. Et pourquoi ce prince n'avait-il pas prévu une autre voiture ? Pourquoi étaient-ils entassés ici ? Et où était son serviteur ?

Le monde de Liang Shu n’existait pas dans les trois mille voies du jeune maître Liu, et il se sentit soudainement un peu perdu. Les deux hommes restèrent assis face à face dans le chariot en mouvement, chacun plongé dans le silence, ce qui rappela à Liu Xian'an un dîner de famille de l'année passée, où son oncle et sa tante avaient semblé être en parfaite harmonie mais prévoyaient de se séparer après le partage de la propriété familiale.

Mais Liang Shu ne semblait pas pressé. Le trajet de la ville de Baihe à la montagne Fuhu prendrait encore une dizaine de jours, ils avaient donc tout le temps de discuter à leur rythme.

Car même si le comportement de ce prince, qui avait arraché quelqu'un de sa maison après quelques bavardages dans une maison de thé, était inapproprié, les mauvais comportements du Prince Xiao Wang étaient bien connus. Même les vieux conseillers à la cour en parlaient avec une tristesse teintée de résignation, leur désespoir ancré dans des années d'humiliation. Une telle affaire insignifiante n'était pas un problème majeur.

Le chariot continuait son chemin, tanguant d'un côté à l'autre et grinçant, dans une ambiance presque hypnotique.

Dans cette atmosphère, les paupières de Liu Xian'an commencèrent à se fermer à nouveau. Parfois, sa tête penchait en avant, et son corps se balançait dans le chariot. Liang Shu jeta un regard furtif par la fenêtre et remarqua que les autres véhicules s’étaient déjà arrêtés près d'une petite cabane à thé au bord de la route. Il se leva alors pour quitter le chariot.

Le cocher, voyant cela, tira sur les rênes : "Hé !"

Les chevaux s'arrêtèrent immédiatement, mais le chariot continua d'avancer un petit peu par inertie. Liang Shu entendit un bruit sourd venant du chariot,, comme prévu. Puis, il entendit un profond soupir de surprise.

"Ah, jeune maître !" Le cocher entra en hâte pour l'aider à se relever. "Tout va bien ?"

"Ça va." Liu Xian'an avait le front meurtri, sans comprendre comment il avait pu se retrouver dans une position aussi embarrassante. Le cocher l'aida à sortir du chariot. "Jeune maître, pourquoi ne pas prendre une tasse de thé ici et vous reposer un moment ?"

Liang Shu était déjà entré dans le pavillon de thé. Dès que le serviteur vit le prince s’éloigner, il se précipita et demanda, étonné : "Jeune maître, qu'est-il arrivé à votre tête ?"

"Je me suis accidentellement cogné." Liu Xian'an balaya les alentours du regard et, voyant qu'il n'y avait que trois chariots stationnés sur le chemin de montagne et peu de soldats autour, il demanda : "Il n'y a que ces gens-là ?"

"Quand nous avons quitté la ville, il y en avait beaucoup plus, mais ensuite, ils ont pris différents chemins." répondit le serviteur. "Le vice-général Gao a dit que le prince ne voulait pas attirer trop d'attention, alors il a décidé de voyager en formation simple."

Liu Xian'an posa une autre question : "Tu as été avec le vice-général Gao tout au long du trajet. Qu'a-t-il dit d'autre ?"

"Rien de plus." répondit le serviteur honnêtement. "Après avoir parlé de voyager discrètement, le vice-général Gao m'a demandé comment je m'appelais. Je lui ai dit 'A Ning', et il m'a demandé quel Ning (NT : , qui peut signifier paix, tranquillité, ou consentement). Je lui ai répondu que c'était 'Wu Bu' (NT : 无不 ‘rien ne…’, double négation), comme dans 'rien qui ne fuit, rien qui ne soit accueilli, rien qui ne soit détruit, rien qui ne se réalise', ce Ning (NT : jeu sur la construction de phrases opposées pour suggérer que le caractère transcende les oppositions simples). C'est le jeune maître qui m'a personnellement donné ce nom. Puis, le vice-général Gao n'a plus rien dit."

Liu Xian'an tapota sa tête : "La prochaine fois quelqu'un te demande, dis-lui que c'est le Ning de 'An Ning' (NT : 安宁, paix et tranquillité) . Allez, allons nous reposer un peu."

Tous deux prirent des chaises propres et s'assirent. La table était déjà garnie de thé et de nourriture. Dans la campagne, évidemment, les choses n'étaient pas raffinées : un pot de thé très simple et des et des gâteaux aux graines de sésame durs comme des pierres. Lors des campagnes dans le nord-ouest, ce genre de nourriture faisait partie de l'alimentation de base des soldats. Gao Lin y était habitué depuis longtemps, mais il pensait qu'un jeune maître comme Liu Xian'an, qui avait l'air si délicat, ne pourrait sûrement pas manger ça. Alors, il jeta un regard furtif vers la table voisine.

Liu Xian'an avait effectivement du mal à mordre dans le pain, mais il ne le laissa pas de côté. Il en coupa un morceau et le trempa dans le thé pour le manger lentement. Le serviteur fit de même, mangeant avec délicatesse. Le maître et son serviteur, assis sous l'ombre tachetée du soleil à travers les arbres, terminèrent les deux pains.

Le vice-général Gao les observa, stupéfait, et commença à douter de la qualité de la nourriture à la montagne Baihe. Comment ces gens pouvaient-ils manger cela sans protester ?

Liang Shu, sans exprimer d'émotion, détourna son regard. Il avait amené ses hommes pour se divertir, mais comme le divertissement était terminé, il chercha à créer des ennuis : "Est-ce que ce prince a dit qu'on devait se reposer ici ?"

Gao Lin se sentit injustement accusé. Au départ, il avait juste prévu une pause pour boire du thé, mais c'était quelqu'un d'autre qui avait insisté pour manger, obligeant le marchand à apporter des pains de la veille. Et maintenant, il voyait le Second Jeune Maître Liu Xian'an manger avec plaisir.

Pour éviter que le prince ne trouve d'autres raisons de se fâcher, Gao Lin chercha à changer de sujet : "Nous allons passer la nuit au village Xiaomian (NT : ‘repos temporaire’) ce soir ? J'enverrai quelqu'un pour faire les préparatifs à l'avance."

"Pas besoin." Liang Shu posa son thé sur la table. ""Il est essentiel que nous nous dépêchions, nous pouvons rester n'importe où."

Gao Lin : "..."

Que voulait dire 'nous pouvons rester n'importe où' ? À part le village Xiaomian , il n'y avait que des forêts profondes et des montagnes. Il était presque impossible de trouver une plaine, alors manger du pain dur et dormir dans la forêt... Ce genre de traitement lui rappelait celui du petit fils de Zhao au palais. Après avoir été battu par une fille, il s'est retenu pendant trois jours puis lui a arraché les cheveux. Ce genre de méthode était digne de ce prince.

Liang Shu le regarda : " À quoi penses-tu ?"

Gao Lin secoua la tête : "A rien, non, , je ne pense à rien."

Liu Xian'an termina son pain aux graines de sésame et fut emmené à l'extérieur par son serviteur pour se promener et digérer. Tous deux se tinrent debout, tournant en cercle et massant leur ventre. Comme Gao Lin n'avait jamais vu de méthode aussi étrange de gestion de la santé, il suivit le mouvement, bien que de manière maladroite. Cela donna une scène plutôt comique. A Ning ne put s'empêcher de rire et Liu Xian'an sourit aussi. Dès qu'il sourit, l'atmosphère changea instantanément, son apparence était remarquable. Gao Lin murmura : "Ah, je comprends pourquoi la princesse veut l'épouser."

Liang Shu ne fit aucun commentaire. Il quitta le pavillon de thé d'un pas décidé et monta à cheval : "Nous partons !"

A Ning aida Liu Xian'an à monter dans le chariot, pensant à l'avenir et à la nécessité de se lier davantage avec le vice-général Gao. Peut-être pourrait-il obtenir un petit cheval pour son jeune maître, afin qu'il puisse se dégourdir un peu, plutôt que de toujours manger et dormir.

Il réfléchissait ainsi, mais lorsqu'il se tourna, Liu Xian'an était déjà dans une autre position confortable, prêt à faire une sieste.

Pour Liu Xian'an, peu importait que ce soit le prince ou A Ning qui se trouvaient dans le chariot. Cela ne faisait pas de différence. Peu importe qui, personne ne l'empêchait de rêver qu'il était un oiseau volant ou un poisson nageant, flottant ici dans les cieux, là dans les profondeurs, libre et détendu.

Ils resta détendu ainsi, jusqu'à ce que la lumière du soir commence à décliner.

Le chariot s'arrêta au cœur de la forêt, et plusieurs foyers furent allumés, dégageant une lumière vacillante. Le repas était bien meilleur que celui du midi. Les gardes avaient chassé des faisans dans la forêt, et en un rien de temps, ils furent rôtis, parfumant l’air avec une odeur alléchante et huileuse. Il y avait aussi un grand sac de fruits sauvages, à la fois acides et sucrés.

Gao Lin apporta de la nourriture à A Ning. En le voyant tout joyeux, scrutant sans cesse les alentours, il demanda : "Que regardes-tu ?"

A Ning répondit : "Je regarde la forêt."

Gao Lin, ayant appris de l'expérience de l'après-midi, ne posa pas davantage de questions sur ce qu'il y avait à voir dans la forêt. Il hocha simplement la tête, faisant preuve de politesse et s'efforça de ne pas nuire à l'image de la famille royale.

Liu Xian'an regardait aussi la forêt. C'était la première fois qu'il campait à l'extérieur, et les grands arbres centenaires et les forêts denses offraient une brise fraîche, le paysage étant vaste et ouvert comme une peinture.

Les sages, à travers la beauté de la terre et du ciel, parvenaient à comprendre la vérité de toutes choses. Il en était probablement ainsi dans ce cadre et cette situation.

Il s’enroula négligemment dans sa couverture, soupira de contentement et se sentit incroyablement bien.

Gao Lin eut l'impression que les plans de son prince allaient encore échouer.

Car, contrairement à d'autres jeunes maîtres qui auraient pu se montrer mécontents de dormir en forêt, Liu Xian'an, lui, semblait plutôt à l'aise.

À qui pourrait-il en parler ?

Liang Shu dit : "Si tu continues à secouer la tête, je vais la dévisser.."

Gao Lin se raidir immédiatement, sans bouger.

Liang Shu ferma à nouveau les yeux : "Quelqu'un arrive."

Gao Lin cessa de plaisanter, prit un long couteau des mains d'un des gardes et se tourna vers l'autre côté.

Un instant plus tard, on entendit effectivement des bruits de pas furtifs et des gémissements intermittents, un cri après l'autre, pitoyable et douloureux, ce qui, dans cette forêt noire au milieu de la nuit, donnait des frissons, presque comme si la forêt était hantée.

A Ning demanda discrètement : "Jeune maître, est-ce que quelqu'un est blessé d'après ces bruits ?"

Liu Xian'an hocha la tête : "Oui."

Un groupe de personnes émergea de la forêt, habillées de manière uniforme en noir, probablement des membres d'une agence de protection ou des combattants itinérants. Quatre d'entre eux portaient un blessé sur une civière, et un autre, qui semblait être leur chef, s'approcha respectueusement de Gao Lin et lui dit : "Monsieur, est-ce possible de nous permettre de passer la nuit ici ? Nous n'avons trouvé nulle part d'endroit propre pour nous installer."

"Il y a encore de la place à côté. Faites comme bon vous semble, mais ne dérangez pas notre maître." Gao Lin remarqua qu'il restait encore un peu de gibier rôti sur le feu, alors il demanda aux gardes de leur en donner. Les membres de l'escorte les remercièrent à plusieurs reprises, s'éloignèrent pour allumer un feu, puis déchirèrent la viande rôtie et la mélangèrent avec du pain et de l'eau, préparant une sorte de bouillie de viande qu'ils donnèrent au blessé.

A Ning tendit le cou pour mieux voir : "Il est gravement blessé."

Il était couvert de sang, les yeux vides, et son torse émettait des sons qui ressemblaient à ceux d'un soufflet. Après avoir nourri le blessé, les membres de l'équipe de protection sortirent de leur sac des médicaments pour les blessures, débouchèrent une bouteille et se préparèrent à changer ses bandages.

Un vent frais souffla, et une légère odeur douce-amère se fit sentir dans l'air.

Liu Xian'an dit soudainement : "C'est du poison."

Sa voix n'était ni trop forte, ni trop faible.

Tout autour se fit soudainement silencieux, les membres de l'équipe de protection s'arrêtèrent dans leurs gestes, surpris, et se tournèrent vers lui.

Liang Shu haussa légèrement un sourcil : "Du poison ?"

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

 

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