SAYE - Chapitre 110 - Retourne toi !

 

Après le déjeuner, tous les deux passèrent un peu de temps à l'extérieur du campus, en guise de promenade digestive. Gu Fei déclara à Jiang Cheng qu'il devrait se familiariser avec les environs, mais Jiang Cheng ne pensait pas que c'était nécessaire.

Selon son état d'esprit actuel, il n'avait même pas envie de se promener à l'intérieur du campus, encore moins de sortir explorer le quartier. Il pouvait déjà imaginer sa routine quotidienne prévisible pour l'avenir: aller en cours ; manger ; et dormir.

Et penser à Gu Fei.

Ils passaient chaque jour et chaque nuit ensemble, se voyant dès qu'ils ouvraient les yeux le matin, mais bientôt ils ne pourraient plus ni se voir ni se toucher. La distance entre eux serait bien plus grande qu'un simple trajet en train de quelques heures, et bien plus que les vingt jours environ jusqu'au 1er octobre.

Ils sont rentrés à l'hôtel après la promenade. En chemin, Jiang Cheng s'est trompé trois fois.

"Je pense qu'il vaut mieux que tu ne sortes pas du campus sauf si c'est nécessaire", déclara Gu Fei, allongé sur le lit en jouant sur son téléphone. "Ou tu risquerais de te perdre."

"Je ne peux pas simplement demander mon chemin à quelqu'un ?" Jiang Cheng s'affala à côté de Gu Fei. "De toute façon, je n'ai pas vraiment envie de sortir."

"Ce sera mieux une fois que tu t'adapteras. Tu t'y habitueras avec le temps. Beaucoup de gens pleurent de nostalgie quand ils vont à l'université, mais ne s'en sortent-ils pas tous bien à la fin ?" Gu Fei releva un peu le T shirt de Jiang Cheng et caressa son dos. "Ça ira mieux quand tu te rapprocheras de tes camarades de classe."

"Tu penses que je suis le genre de personne qui se rapprochera facilement des autres ?"l’interrogea Jiang Cheng.

"Eh bien, tu te rapprocheras au moins des gens de ta chambre." Gu Fei sourit. "Tu as peut-être un tempérament de feu, mais tu es très raisonnable dans des circonstances normales."

"Espérons-le." Jiang Cheng ferma les yeux. "Masse mon bas du dos, mon petit ami."

"Non," refusa Gu Fei. "Je risque de ressentir quelque chose si je le fais, mais je n'ai pas vraiment envie de rouler dans le lit pour le moment. Et si le stress psychosomatique finit par affecter mes performances sexuelles..."

"Qu'est-ce que tu racontes, ferme-la." Jiang Cheng se redressa dans le lit et lança un regard furieux à Gu Fei. "Si je te traite de sans-gêne maintenant, est-ce que ça te pose problème ?"

"Je n'ai jamais eu de problème avec ça," rit Gu Fei. "Je dis juste que tu es tout aussi sans-gêne."

"Oh, va te faire voir." Jiang Cheng s'affala à nouveau sur l'oreiller. "Moi, un jeune homme pur et innocent."

"Dis, as-tu déjà vu ce dessin animé, je ne me souviens pas de son nom, mais je me souviens de la chanson", dit Gu Fei.

"Chante-le pour moi, je pourrais le connaître," proposa Jiang Cheng.

Gu Fei éclaircit sa gorge et commença : "Petite souris petite souris porte une chemise bleue, couic couic couic..."

"Gros chat avec un grand visage et de longues moustaches, miaou miaou miaou miaou miaou miaou..." continua Jiang Cheng immédiatement avec la ligne suivante. "Comment peux-tu ne pas connaître ça - c'est la Souris bleue et le Chat à grande face." (NT : d’après la série animée chinoise  蓝皮鼠大脸猫; The Blue Mouse and the Big Faced Cat)

"L'une a une queue longue et fine, couic couic couic couic couic ; l'autre a un visage plus grand que nature, miaou miaou miaou miaou miaou."

Gu Fei regarda Jiang Cheng. "Est-ce que c'est Chat à la grande face? Ce n'est vraiment pas appelé Jiang Chengcheng et la Souris Bleue ?"

"Putain... merde !" Jiang Cheng fit enfin le lien et en fut bouleversé. "Gu Fei, je dois vraiment t'admirer ! Aller jusqu’à de telles longueurs pour une insulte. Pourquoi n'irais-tu pas faire un tour autour du soleil avant de revenir ici ?"

"Le soleil ne brille pas en ce moment," remarqua Gu Fei.

Jiang Cheng ne put s'empêcher de rire, puis s'effondra en riant sur son oreiller. "Merde."

Alors que Gu Fei n'était pas d'humeur à faire des galipettes, Jiang Cheng avait l'impression d'être pareil, malgré son envie toujours présente de tenir Gu Fei ; de l'embrasser, le mordre, le lécher et le pétrir... Mais plus que de céder à ce genre de débordement sauvage, il voulait qu'ils se couchent paisiblement l'un à côté de l'autre, et parlent, ou simplement qu’ils restent silencieux.

Même si rester conscient signifiait qu'il pouvait clairement ressentir la douleur qui précédait une séparation, la conscience lui permettait également de savourer davantage les détails minuscules du temps qu'il passait avec Gu Fei. Certaines choses étaient déjà profondément ancrées dans sa mémoire, mais il ne pouvait s'empêcher d'essayer de les retenir encore plus fermement, craignant qu'elles ne soient oubliées en un instant dès qu'il se retournerait. Et oublier ne serait-ce qu'une infime fraction d'un moment serait certainement insupportable.

Aucun d'eux n'a vraiment dormi cette nuit-là. Cette fois-ci, Jiang Cheng n'a pas essayé de faire semblant de dormir. Dès que Gu Fei bougeait, il bougeait aussi : quand Gu Fei se tournait vers la droite, il se tournait également vers sa droite et le serrait ; quand Gu Fei se tournait vers la gauche, il se tournait rapidement vers sa gauche, puis tirait les bras de Gu Fei par derrière pour les enrouler autour de lui.

"Cheng-ge," murmura Gu Fei en riant doucement, "je pourrai dormir un peu dans le train demain, mais pourras-tu dormir dans ta chambre ? Avec des gens qui entrent et sortent tout le temps ?"

"Je n'ai pas besoin de dormir," déclara Jiang Cheng. "Je dormais seulement quatre à cinq heures par jour pendant que j'étudiais pour les examens, et je ne suis pas mort à ce moment-là. Ne t'inquiète pas pour moi."

"Je changerai mon forfait téléphonique quand je rentrerai pour en avoir un avec plus de données," réfléchit Gu Fei.

"Oui, je prendrai aussi un autre forfait," renchérit Jiang Cheng. "C'est tout sur quoi nous devrons compter à l'avenir... Oh, au fait, peux-tu discuter de ça avec Gu Miao ? Change ta photo de profil sur WeChat pour que je puisse voir ton visage à chaque fois que tu envoies un message."

"D'accord," dit Gu Fei.

"Oh oui." Après une autre seconde de réflexion, Jiang Cheng sortit son propre téléphone.

"Hé," dit Gu Fei en levant une main pour bloquer la lumière de l'écran soudainement allumé. "Voilà, tu as réussi à chasser le dernier vestige de mon sommeil."

"Est-ce que ce bon monsieur ne va pas dormir dans le train demain ?" Jiang Cheng ouvrit WeChat. "Je vais changer l'arrière-plan de ma discussion. Tiens, peux-tu choisir une photo pour moi ?"

La bannière de Jiang Cheng sur ses Moments WeChat était déjà une photo d'eux deux. Gu Fei choisit le selfie qu'il avait pris ce jour-là sur le toit et l'a mis comme arrière-plan de discussion pour Jiang Cheng.

"Super chaud," dit Jiang Cheng. "Change aussi le tien."

"D'accord." Gu Fei attrapa son propre téléphone. "Il ne me reste plus qu'à changer mon icône."

"Hein ?" Jiang Cheng se tourna vers lui. "Quand as-tu fait le reste ?"

"L'autre jour quand j'étais avec Gu Miao. Je n'avais rien d'autre à faire alors j'ai changé toutes mes photos de profil. J'ai plus de photos ici que toi de toute façon," dit Gu Fei. "Et je prends de meilleures photos."

"Merde." Jiang Cheng rit. "Je ne me suis jamais plaint de ton apparence."

Après avoir changé les photos, ils avaient tous les deux perdu toute envie de dormir complètement et ils continuèrent à discuter de temps en temps, tout en se tenant jusqu'à ce que le soleil se lève.

Il n'était pas tout à fait exact de dire que Jiang Cheng n'était pas fatigué. Il devait être un peu confus, car après s'être levé du lit, s'être lavé et avoir pris son petit déjeuner, Jiang Cheng a une fois de plus ressenti les émotions qu'il avait gardées à distance toute la nuit dernière. Maintenant qu'il était totalement éveillé, le désir insupportable commençait enfin à le submerger lentement comme une marée montante. Puisque le train de Gu Fei partait tôt le matin, cela pourrait perturber les autres si Jiang Cheng allait déposer ses bagages dans le dortoir à cette heure-ci, alors il les laissa à la réception de l'hôtel pour les récupérer une fois qu'il serait revenu.

"Allons-y. À la gare." Après avoir remercié la réception, Jiang Cheng prit le sac de Gu Fei et sortit de l'hôtel.

Gu Fei n'avait apporté qu'un seul change de vêtements, alors son sac était très léger, tout comme les pas de Jiang Cheng à ce moment-là, aériens et déconnectés du sol.

Gu Fei le rattrapa. "Je vais le porter."

"Non." Jiang Cheng accrocha le sac sur son épaule.

Gu Fei ne poussa pas plus loin le sujet.

Aucun des deux ne parla alors qu'ils entraient et sortaient du métro.

Il y avait encore tellement de choses à se dire, mais rien ne fut dit pendant tout le trajet.

Ils ne sont pas arrivés à la gare trop tôt. Après avoir trouvé la bonne porte de départ, ils n'ont pas eu à rester là très longtemps avant que l'annonce ne soit faite pour demander aux passagers de monter dans le train.

"Vas-y." Jiang Cheng tendit le sac à Gu Fei.

"Je peux attendre un peu plus longtemps." Gu Fei vérifia l'heure. "J'irai après que ce groupe soit entré, pour ne pas devoir me serrer avec eux."

Jiang Cheng hocha la tête. "D'accord."

"Je devrai aussi m'enregistrer quand je reviendrai là-bas, et voir ce que l'école a prévu. S'il n'y a rien d'autre, alors je choisirai un week-end pour venir te voir," dit Gu Fei.

"D'accord," répondit encore Jiang Cheng.

"Honnêtement, ce n'est pas tellement embêtant de venir ici," dit Gu Fei. "Je pars tôt le matin et je suis là juste après midi. Ensuite, je peux repartir dans la soirée du lendemain."

"Oui." Jiang Cheng se frotta le nez.

"Le mec d'hier s'appelle Zhao Ke," fit Gu Fei.

"Oui," Jiang Cheng se mit à rire, "je n'ai pas oublié. Il est aussi plutôt beau, non ?"

"Oui," acquiesça Gu Fei. "Très beau."

Jiang Cheng fit la moue et remarqua : "Je vais vite retourner à la chambre pour jeter un œil."

"Quel est l'urgence ?" Gu Fei. fit la moue aussi "Tu pourras le regarder pendant des années à venir, et peut-être même obtenir une version nue."

"Espèce de crétin." Jiang Cheng éclata de rire.

Il y avait beaucoup moins de monde passant par la porte à ce moment-là ; l'annonce répétait encore les informations de départ.

"Tu devrais y aller," lacha Jiang Cheng.

"Oui." Gu Fei se tourna et regarda dans la direction de la porte, mais ne bougea pas.

"Tu devrais y aller," répéta Jiang Cheng.

"Ne me presse pas, putain," rétorqua Gu Fei.

"Je suis sur le point de craquer," dit Jiang Cheng.

Gu Fei soupira doucement. "J'y vais alors. Je te message dès que le train commence à bouger."

"Message-moi dès que tu t'assois," demanda Jiang Cheng.

"D'accord," répondit Gu Fei.

"Ne te retourne pas quand tu partiras," ajouta Jiang Cheng.

"Compris." Gu Fei hocha la tête.

Ils ne se dirent plus rien. Gu Fei marqua une pause pendant quelques secondes, puis se retourna et se dirigea vers la porte de départ.

Jiang Cheng fixa la silhouette s'éloignant de Gu Fei, le regardant faire un pas après l'autre.

Regarde en arrière.

Je n'arrive pas à croire que tu ne te retournes pas.

Ahhh regarde en arrière. Je suis toujours là, bordel ?

Ne te retourne pas.

En public comme ça, et si je fondais en larmes une fois que tu te retournes... Ce serait bien trop gênant.

Retourne toi !

La silhouette de Gu Fei portant son sac à dos disparut de son champ de vision. Jiang Cheng marcha hâtivement quelques pas sur le côté et parvint juste à temps pour apercevoir le sac que Gu Fei portait au moment où il tourna au coin de la rue.

Gu Fei n'avait jamais regardé en arrière, ne lui avait même pas offert un profil latéral, et avait marché très rapidement. Jiang Cheng eut l'impression d'avoir cligné des yeux trois fois seulement avant de ne plus le voir du tout.

Tellement obéissant.

Il n'a vraiment pas regardé en arrière. Mais je ne lui ai pas dit de marcher si vite. Pourquoi a-t-il dû marcher si vite ?

Jiang Cheng laissa échapper un soupir discret et se tourna pour s'éloigner. Il y avait une bonne distance entre la porte de départ et l'entrée de la station de métro. Jiang Cheng ne l'avait pas remarqué en venant, mais en sortant maintenant, il réalisa qu'il avait beau essayer comme il pouvait, il ne parvenait toujours pas à trouver son chemin. En regardant les flèches de direction... Il était allé dans la direction opposée.

Jiang Cheng fit immédiatement demi-tour, mais après avoir marché pendant ce qui semblait être quatre kilomètres, il ne parvint toujours pas à trouver le bon endroit.

Son téléphone vibra une fois – un message de Gu Fei.

-Je viens de m'asseoir, il y a un oncle très gros à côté de moi, j'ai l'impression que sa chair déborde sur mon siège.

Jiang Cheng rit longtemps devant son écran. Associé au profil latéral éclairé de Gu Fei sur son fond de discussion, il pouvait presque voir la façon dont Gu Fei avait l'air en disant cela.

Gu Fei lui envoya un autre message. -Es-tu dans le métro déjà ?

-Je n'ai pas trouvé la sortie.

Une seconde plus tard, l'appel de Gu Fei arriva : "On dirait que le sens de l'orientation et la mémoire géographique à court terme n'ont vraiment rien à voir avec l'intellect, hein ?"

"Je suis revenu jusqu'à la porte de départ," dit Jiang Cheng en riant.

"Regarde en bas," dit Gu Fei. "Y a-t-il des flèches sur le sol ?"

"Ouais," répondit Jiang Cheng en regardant en bas.

"Alors suis les flèches, jeune homme," suggéra Gu Fei.

L'appel de Gu Fei rendit l'humeur maussade de Jiang Cheng bien plus légère. Dans le passé, chaque fois que Gu Fei ne passait pas la nuit chez Jiang Cheng, ils s'appelaient aussi tout le temps, et pendant un bon moment. Jiang Cheng ressentit soudain une sensation de familiarité, comme si Gu Fei était toujours à ses côtés.

Il pencha la tête en arrière et prit plusieurs grandes respirations, puis secoua les bras.

Retour sur le campus.

Il était temps que sa nouvelle vie commence.

*

"Quand arriveras-tu ?" demanda Li Yan.

"Probablement vers une heure et demie," répondit Gu Fei. "Tu prends la voiture de Liu Fan?"

"Oui," répondit Li Yan. "Il voulait aussi venir, donc il conduit."

"Ne sera-ce pas trop inconfortable de s'entasser à quatre dans cette voiture pourrie ?" soupira Gu Fei.

"Er-Miao ne prend pas de place," dit Li Yan. "Nous allons directement au restaurant après t'avoir récupéré. J'ai tout organisé à l'avance."

"Ne peut-on pas le faire demain ?" Gu Fei jeta un coup d'œil par la fenêtre. Le quai était déjà vide, à l'exception d'un seul contrôleur de train encore debout.

"Impossible," dit Li Yan. "Je crains que sans une sorte d'intervention, tu ne survivras pas à cette nuit."

"Tu penses que je suis comme toi ?" dit Gu Fei.

"Je te connais bien trop," rétorqua Li Yan. "N'est-ce pas toi qui gardes tout à l'intérieur, laisses la pression monter jusqu'à ce que tu en meures."

"… Je t'appellerai quand j’en serai presque là," fit Gu Fei.

"D'accord," répondit Li Yan.

Gu Fei venait de raccrocher et de remettre son téléphone dans sa poche lorsque le train commença à avancer lentement. Il fut un peu surpris et se demanda si l'annonceur n'avait pas mentionné que le train partait, ou s'il ne l'avait tout simplement pas entendu. Ce ne pouvait être que la dernière option. Un appel téléphonique avec Li Yan n'était pas suffisant pour le distraire à un tel point qu'il n'entendrait pas l'annonce.

C'était son esprit embrouillé qui était la seule raison.

‘Ne te retourne pas quand tu partiras’, avait dit Jiang Cheng.

Même si Jiang Cheng n'avait pas mentionné cela, Gu Fei n'aurait pas non plus regardé en arrière. Il avait peur que si c'était le cas, son petit ami aux glandes lacrymales hyperactives se mette à pleurer à la porte de départ. Alors, il pourrait lui aussi ne pas réussir à se retenir. Imaginez deux grands mecs, chacun situé de part et d'autre d'une porte de départ, en train de pleurer l'un sur l'autre… Ce serait certainement une scène captivante. Il ne voulait pas que les gens voient ça.

Depuis le moment où il était monté dans le train, jusqu'à l'appel à Jiang Cheng, en passant par celui de Li Yan, jusqu'à ce que le train commence à bouger juste maintenant, Gu Fei resta dans un état de semi-engourdissement.

Étouffant.

Aucune idée de ce à quoi il pensait même.

Il ne savait pas si ce qu'il ressentait en ce moment était du désir, de l'angoisse, ou si c'était autre chose.

Étouffant. Jusqu'au vide.

Sur le chemin ici, il avait Jiang Cheng à sa gauche. Maintenant, quand il tournait la tête vers la gauche, il ne voyait que le grand oncle et sa joue qui éclipsait presque complètement son nez.

Gu Fei ne pouvait que garder sa tête tournée vers la droite pour regarder par la fenêtre. Le paysage extérieur commençait à reculer à une vitesse croissante. Il se sentit un peu étourdi après avoir regardé la vue de près pendant trop longtemps. Après avoir tiré le rideau pour le mettre sous sa tête, Gu Fei s'appuya contre la fenêtre et ferma les yeux.

Le train fonçait à grande vitesse, et la distance entre lui et Jiang Cheng s'élargissait peu à peu.

Aller et retour. Deux directions opposées.

Il avait accompagné Jiang Cheng là où il voulait aller, puis s'était retourné pour revenir à la petite ville où il avait vécu pendant 19 ans. Et où il continuerait de vivre.

Il ne pouvait pas précisément décrire ce sentiment. En réalité, ça ne ressemblait à rien du tout. Il n'y avait pas non plus d'émotions. Toutes ses émotions : bonheur ; colère ; tristesse ; joie ; abattement ; solitude ; tout cela avait disparu au moment où il s'était retourné et était entré dans la porte de départ.

Je marche sur un fil, j'ai l'impression de voler.

Vers le haut, c'est l'inconnu, je regarde en bas et t'entends me dire que c'est un monde vide.

Il plongea la main dans son sac et fouilla longtemps avant de trouver un bonbon au lait dans une poche latérale, qu'il déballa et mit dans sa bouche. Puis il sortit son téléphone et envoya un message à Jiang Cheng.

-Le train est en mouvement, petit ami

-fais attention à ton sac si tu dors un peu

La réponse de Jiang Cheng arriva très rapidement. Il devait probablement avoir son téléphone à portée de main tout le temps.

-d'accord

-dis-moi quand tu arrives

-mm, Li Yan et Liu Fan viennent me chercher avec Er-Miao, je vais déjeuner avec eux

-je vais au réfectoire de l'école pour déjeuner, voir ce qu'il y a à manger

-d'accord, je vais faire une sieste un peu alors

-d'accord

Jiang Cheng garda son téléphone à portée de main tout le trajet, au cas où Gu Fei lui enverrait un message et qu'il ne l'entendrait pas. Il remit son téléphone dans sa poche seulement après leur petite conversation. Ce n'est qu'alors qu'il eut la présence d'esprit de regarder autour de lui.

Il avait l'impression que cela faisait longtemps qu'il n'avait pas vu autant de monde. Les gratte-ciel ; les routes animées avec des files de voitures ; les foules de gens qui le bousculaient de tous côtés - cela faisait longtemps depuis qu'il s'était éloigné de cette prospérité et de cette agitation.

Jiang Cheng avait passé tout son temps autour du quartier des Acieries pendant l'année et demi écoulée. Ce n'était pas aussi évident pendant la journée, mais après le dîner, les gens et les voitures dans la rue disparaissaient progressivement à un rythme visible. Ensuite, les seules choses enveloppant cet endroit apparemment oublié par le temps étaient le calme et la désolation.

Mais maintenant, replongé au milieu de tout ce bruit comme s'il revoyait soudainement le soleil pour la première fois, il avait du mal à s'adapter. Il y avait trop de sons dans ses oreilles, et trop de choses à voir.

C'étaient des moments comme celui-ci où il s'inquiétait inconsciemment qu'il se retourne et ne voie plus Gu Fei. ... Bien que ce soit en effet le cas maintenant.

Après avoir récupéré ses affaires à l'hôtel, Jiang Cheng se dirigea lentement vers le dortoir, comme s'il traînait une valise pleine de tristesse.

Il semblait que tous ses colocataires soient déjà arrivés. A l’exception de son bureau et son lit superposé, il y avait des affaires sur tous les autres lits et bureaux. Cependant, il ne vit personne d'autre que Zhao Ke, qui était sur son ordinateur.

Après l'avoir salué, Jiang Cheng jeta un coup d'œil à l'écran de l'ordinateur et fut surpris de constater que Zhao Ke jouait à une version de bureau de Lian Lian Kan (NT : jeu de match de tuiles).

"Tu…" À ce moment-là, le cerveau de Jiang Cheng était si lent qu'il avait l'impression qu'il était rempli de colle. Il avait à peine réussi à s'empêcher de dire le mot "idiot". "Tu aimes jouer à ça ?"

"Mhm," répondit Zhao Ke, probablement trop concentré pour dire grand-chose d'autre. Sa main cliquait rapidement sur la souris, comme s'il participait à une compétition internationale d'e-sport.

Après avoir rangé ses affaires, Jiang Cheng ne sut pas quoi faire ensuite. Gu Fei devait probablement rattraper son sommeil à ce moment-là, alors il ne voulait pas lui envoyer de message et le réveiller...

Après avoir passé un long moment à rêvasser devant son bureau, Jiang Cheng ouvrit à nouveau sa valise et sortit son ordinateur portable. Il pouvait organiser toutes les photos prises par Gu Fei. Après avoir posé l'ordinateur portable sur son bureau et s'être assis, il remarqua qu'il y avait quelque chose coincé entre l'écran et le clavier. Il fut stupéfait quand il ouvrit le couvercle et vit ce que c'était.

Une enveloppe rouge ? Qu'est-ce que c'est que ça ?

Gu Fei a laissé l'argent porte-bonheur que je lui avais donné ici ?

Quand Gu Fei a-t-il trouvé l'enveloppe rouge ?

Comment est-ce possible !

Jiang Cheng saisit précipitamment l'enveloppe rouge. Une fois qu'il l'eut entre les mains, il réalisa que ce n'était pas celle qu'il avait laissée à Gu Fei. Cette dernière portait les mots "Meilleurs vœux de bonheur et de fortune" écrits dessus, tandis que l'écriture sur celle qu’il tenait disait... "Je te souhaite une longue vie".

Gu Fei avait laissé cela pour lui.

Ses doigts tremblaient fort lorsqu'il ouvrit l'enveloppe, bien qu'il ne sache pas pourquoi il tremblait. Il y avait un tas de billets à l'intérieur. Il les compta - un total de 8000 yuans, exactement comme ce qu'il avait laissé à Gu Fei. (NT : le 8 est un chiffre porte bonheur, du fait de sa sonorité – bā proche avec   qui signifie Richesse)

Quelle synchronisation, petit ami.

Il ne pouvait presque pas décrire ce qu'il ressentait à ce moment-là : une envie de rire, mais après avoir regardé le tas de billets pendant pas plus de trois secondes, ce sont les larmes qui ont coulé à la place.

À proximité, Zhao Ke se tourna pour lui jeter un coup d'œil, mais ne dit rien et se retournan vers son jeu.

 Jiang Cheng remit l'argent dans l'enveloppe, et sans se soucier de son apparence, il attrapa un mouchoir et le pressa sur ses yeux. Après avoir fortement retenu les larmes, il s'en servit aussi pour se moucher. Zhao Ke tendit rapidement une jambe et approcha une petite corbeille.

Jiang Cheng jeta le mouchoir à l'intérieur, puis, une fois qu'il était remis, il se sentit enfin un peu embarrassé. À en juger par sa réaction juste maintenant, Zhao Ke pensait probablement qu'il était devenu fou par manque d'argent.

« Un coup de chance ? » demanda Zhao Ke.

« Mhm », répondit Jiang Cheng. C'était certainement inattendu.

« Ça doit être une somme assez importante », ajouta Zhao Ke en se tournant vers lui, « pour être ému aux larmes comme ça ».

Disparais.

Jiang Cheng se tourna également vers lui.

« Tu n'as pas été ému aux larmes ? » demanda Zhao Ke.

Jiang Cheng ne dit rien.

« Avant que je vienne, ma grande sœur m'a fourré 2000 yuans dans les mains », continua Zhao Ke en jouant au stupid Lian Lian Kan, « et elle s'est mise à pleurer ».

Jiang Cheng n'avait pas vraiment l'intention de dire quoi que ce soit de plus, mais il ne put s'empêcher de rire.

Zhao Ke commença une nouvelle série de clac, clac, et ne poursuivit pas la conversation.

Jiang Cheng sortit son téléphone, prit une photo de l'enveloppe rouge, et l'envoya à Gu Fei.

-merci petit ami

Il ne voulait pas demander à Gu Fei pourquoi il lui avait donné de l'argent, ni être aussi prétentieux que de dire quelque chose comme « je n'ai pas besoin d'argent, pourquoi ne le gardes-tu pas pour toi ».

Peu importe la raison pour laquelle Gu Fei le lui avait donné, et peu importe s'il en avait réellement besoin, l'argent semblait être un petit fourneau chaleureux placé dans son cœur.

Gu Fei devait probablement dormir. Quelques minutes plus tard seulement, il lui envoya une réponse.

-ne te retiens pas quand tu as envie de dévorer un grand morceau de poitrine de porc

-mhm, tu te rattrapes en dormant ?

-pas trop, je dérive, il y a un enfant derrière moi qui pleure sans cesse

-pauvre bébé

-es-tu au dortoir ?

-ouais, juste moi et Zhao Ke, les deux autres ne sont pas là

-ooooooh

-ooooooh ton cul

-tu l'as bien regardé ?

-J'aurais oublié si tu n'avais pas mentionné, je vais vérifier plus tard

Ils ont discuté comme ça pendant plus d'une heure. Au moment où l'enfant qui pleurait du côté de Gu Fei s'est endormi, Jiang Cheng posa finalement son téléphone et laissa Gu Fei retourner à sa sieste.

Il se pencha en arrière sur sa chaise et étira son dos.

C'était sa vie désormais, volant des moments libres ou non pour envoyer des messages. Et s'il ne pouvait vraiment plus le supporter, ils pourraient faire un appel vidéo...

"Tu veux faire un tour?" finit par dire Zhao Ke après avoir terminé son combat avec le stupide Lian Lian Kan et s'être levé.

"Où?" demanda Jiang Cheng.

Ce n'est qu'alors qu'il vit à quoi ressemblait Zhao Ke. Pas mal. Pas aussi beau que Gu Fei ne cessait de le dire, mais assez pour être qualifié de bel homme qu'on pourrait repérer dans une foule en deux ou trois regards.

Certainement pas comparable à Gu Fei.

"Autour du campus," proposa Zhao Ke. "Voir des endroits comme la cafétéria, le magasin général, le café et la bibliothèque; voir à quoi ils ressemblent tous."

Franchement, Jiang Cheng n'avait pas vraiment envie de sortir se promener. Selon son humeur actuelle, il n'était intéressé par aucune de ces choses. De plus, il ne connaissait pas très bien Zhao Ke et n'avait rien du tout à lui dire. Deux étrangers silencieux se promenant ensemble sur le campus semblaient tout sauf naturels pour lui.

"Allons-y." Zhao Ke rangea son ordinateur portable dans le tiroir et sortit rapidement de leur chambre.

"Eh!" Jiang Cheng l'appela une fois, mais n'obtint aucune réponse.

Finalement, il dut se lever, ranger ses affaires et sortir aussi.

"Allons d'abord à la cafétéria," décida Zhao Ke en regardant son téléphone. "Nous pouvons y déjeuner."

"Mhm." Jiang Cheng n'avait pas beaucoup d'appétit. Son humeur du moment ne lui permettait pas de faire des associations positives à la simple mention de la cafétéria. Néanmoins, c'était un endroit très important, et il n'y avait aucun mal à y jeter un coup d'œil.

"Il y a plusieurs cafétérias," expliqua Zhao Ke. "Laisse-moi chercher le meilleur moyen d'accéder à toutes."

"Tu..." Jiang Cheng jeta un coup d'œil à son téléphone. Le gars avait enregistré une énorme carte de l'école, sur laquelle étaient indiqués tous les bâtiments. "Tu avais tout ça prêt?"

"Ouais, et toutes sortes de descriptions et de guides. C'est pratique pour explorer de nouveaux territoires," répondit Zhao Ke.

Jiang Cheng rit doucement. Un gars qui jouait à Lian Lian Kan, que savait-il de l'exploration de nouveaux territoires.

"Ajoutons-nous mutuellement," dit Zhao Ke en agitant son téléphone. "Ainsi, nous pourrons facilement nous contacter."

"Oh." Jiang Cheng sortit son téléphone.

Il arrive parfois que les gens rencontrent des situations complètement inattendues.

L'écran de verrouillage et l'écran d'accueil de Jiang Cheng étaient des photos de Gu Fei. Ils venaient d'être changés la veille au soir. À l'époque, il n'y avait pas vraiment réfléchi, il avait simplement tout changé. Ce n'est que maintenant, devant Zhao Ke, alors que le visage de Gu Fei apparaissait à plusieurs reprises sur son téléphone, qu'il réalisa qu'il n'avait jamais pensé à comment il gérerait cette situation embarrassante si elle se produisait un jour.

Il jeta un coup d'œil à Zhao Ke, qui le regardait également.

 

Traducteur: Darkia1030