MISVIL - Chapitre 68 - Disparition de plantes médicinales

 

Yue Wuhuan n'était pourtant pas un homme volage, alors pourquoi prenait-il ce genre de médicament en cachette ?



Rong Ye resta caché dans sa chambre pendant un jour et une nuit. Ses yeux étaient rouges et gonflés, il n’avait plus de larmes à verser. Il était allongé sur le lit, l’esprit vide, avec le sentiment que sa vie était finie, que l’avenir n’était plus que ténèbres.

C’était le sort qu’un imbécile comme lui méritait…

Ming Hong et He Qingyun étaient venus frapper à la porte, mais Rong Ye, submergé de honte, n’osait pas affronter ses amis. Il ne leur avait pas répondu. Les deux, impuissants, lui avaient laissé ses gâteaux préférés devant la porte, puis étaient restés à attendre, de peur qu’il ne fasse une bêtise. Rong Ye s’était discrètement approché de la fenêtre, et à travers une fente, il avait aperçu leurs silhouettes. Une vague de tristesse l’avait envahi de nouveau. Avec une vie aussi misérable, il ne méritait certainement pas d’avoir des amis aussi bons.

Il n’était qu’un moineau paré de plumes de coq, qui faisait semblant d’être un phénix. Il ne pouvait pas laisser les gens connaître son passé.

Il disait que sa mère était une demoiselle douce et vertueuse, et que son père était un lettré érudit, que tout le monde l’aimait, qu’il avait grandi choyé, dans le sucre et le miel.

Ce tissu de mensonges, il l’avait répété tant de fois qu’il avait fini par y croire lui-même.

Mais ce qui est faux reste faux. Ce n’était que le rêve le plus doux qu’il avait inventé dans la souillure du lupanar, un fantasme qu’il se racontait chaque jour.

Il ne pouvait plus continuer à se mentir à lui-même…

Rong Ye ouvrit la porte et s’avança vers ses deux amis. La tête basse, sanglotant, il leur confia toute la vérité : ses véritables origines, l’identité réelle de sa mère, sa jalousie envers Ming Hong, les taquineries qu’il faisait subir à He Qingyun, les choses stupides qu’il avait faites à l’égard du Seigneur, et la punition qu’il avait reçue… Pour finir, il pleura en disant :
« Je n’ai eu que ce que je méritais. Vous n’avez pas à me plaindre. Mère avait raison, quelqu’un comme moi est né avec une vie misérable. »

L’adolescent autrefois souriant et bavard se tenait désormais dans l’ombre, tremblant de peur de tout son corps.

« Frérot, au moins toi, tu as une mère, » déclara Ming Hong en lui donnant une bonne tape sur l’épaule et en le grondant. « Moi, j’étais un mendiant dès l’enfance. Je sais même pas ce que c’est, une mère. Je me battais avec les chiens errants pour bouffer, et quand je trouvais un vieux pain rassis, j’étais heureux pendant des heures. Si ta vie, où tu es nourri, habillé et aimé d’une mère, c’est une vie misérable, alors la mienne, c’est quoi ? tu es en train de cracher sur ma vie ou quoi ? »

« C’est vrai, » ajouta He Qingyun en souriant de son air bonhomme. « A’Ye aime bien blaguer, mais en vrai, tu es quelqu’un de très gentil. Quand quelqu’un va mal, tu es toujours le premier à t’en rendre compte et à essayer de lui remonter le moral. On t’aime non pas à cause de ton statut, mais parce que ta présence rend tout le monde plus heureux… »

Ming Hong s’exclama, le cœur lourd : « Le Pavillon Tiangong a fait une super affaire avec nous. »

He Qingyun tendit un mouchoir et le consola : « Ne pleure plus, A’Ye. Tes yeux sont très beaux, mais ils sont encore plus jolis quand tu souris. »

Rong Ye prit le mouchoir et, sans savoir pourquoi, se remit à pleurer de plus belle.

Des pas légers se firent entendre derrière eux.

Ming Hong, alerte, se retourna et lança : « Sœur Qing Luan. »

Qing Luan s’avança en souriant, un petit coffret en bois dans les mains. Elle affirma à Rong Ye :
« Tu n’as pas une vie misérable. »

Rong Ye resta figé.

« Les femmes disent souvent le contraire de ce qu’elles pensent. Il ne faut pas écouter ce que ta mère dit, mais regarder ce qu’elle fait. » Qing Luan lui ébouriffa les cheveux avec tendresse. « Tu devrais réfléchir : pourquoi t’a-t-elle toujours appelé “vie misérable” ? Pourquoi a-t-elle préféré être séparée de toi à jamais plutôt que te garder auprès d’elle dans le monde ordinaire ? Est-ce qu’elle a voulu que tu établisses ta fondation spirituelle et deviennes un vrai cultivateur ? Qu’un jour tu reviennes la chercher, la couvres de gloire ? »

Rong Ye murmura : « Je ne connais pas mon père… Je n’ai pas d’ancêtres… »

Qing Luan répondit : « Alors pourquoi, même dans sa solitude et sa vieillesse, n’a-t-elle jamais voulu que tu reviennes ? Pourquoi t’a-t-elle éloigné de cet endroit souillé ? »

Rong Ye répéta à voix basse : « Parce que… parce que j’ai une vie misérable, elle n’aurait jamais dû me mettre au monde… »

Mais l’obsession en lui s’estompait, des choses qu’il n’avait jamais comprises devenaient soudain claires. Il se souvint que lorsqu’il était malade, fiévreux, sa mère restait à son chevet en pleurant. Elle disait qu’elle regrettait d’avoir mis au monde cet enfant, qu’elle ne voulait pas le perdre…

Ne voulait pas le perdre… quoi ?

L’illusion créée par Yue Wuhuan lui avait fait comprendre à quel point servir des hommes était terrifiant.

Sa mère le savait. Mais elle n’avait pas les moyens de le faire échapper à ce destin. Elle le voyait grandir, jour après jour, approcher lentement de cet enfer sans issue. Elle était désespérée, impuissante, résignée.

Xie Que, malgré ses défauts, représentait une nouvelle opportunité.

Quand on vient des enfers, quel autre enfer peut encore faire peur ? Quelle destinée pourrait être pire ? Elle avait tout misé, comme une joueuse folle, sacrifiant tout pour une chance infime de salut.

Et elle avait gagné…

Qing Luan tendit le coffret de bois à Rong Ye : « Ton destin a déjà changé. »

Depuis leur arrivée dans le monde de la cultivation, Ming Hong n’était plus un mendiant, He Qingyun n’était plus un paysan, et Rong Ye n’était plus un garçon de plaisir.

Depuis leur fuite de la secte Yanshan, ils avaient aussi échappé à leur destin d’esclaves et pouvaient enfin vivre pour eux-mêmes.

Rong Ye ouvrit le coffret en bois. À l’intérieur se trouvaient deux petits flacons aux teintes douces. Il en versa le contenu dans sa main : des pilules et des poudres. Il reconnut des pilules d’introduction du souffle et de la poudre d’élargissement des méridiens de la plus haute qualité. L’une des pilules contenait une aura d’eau et de terre : elle avait été spécialement concoctée selon sa constitution pour purifier ses méridiens et l’aider à établir sa fondation spirituelle.

Qing Luan sourit : « C’est le cadeau d’adieu du Maître, pour que tu étudies bien et cultives avec sérieux. »

Rong Ye ne put s’empêcher de pleurer de nouveau. Quelle bêtise avait-il fait ?

He Qingyun et Ming Hong s’empressèrent de le réconforter, lui disant une montagne de paroles aimables. Mais en pensant à leur séparation prochaine, ils ne purent s’empêcher d’être tristes à leur tour.

« Ne sois pas triste, cultive bien, » dit Qing Luan en souriant. « L’Ancien Liao est basé à Lecheng, et la Vallée de la Médecine y envoie souvent des gens pour acheter des provisions. Vous pourrez vous écrire régulièrement. Et quand vous aurezétabli ta fondation, je vous enverrai à Lecheng pour des missions. Se revoir ne sera pas si difficile. »

Ming Hong retrouva sa joie : « A’Ye ! Je pourrai établir ma fondation dans deux ans ! Attends-moi ! »

Rong Ye sourit à travers ses larmes : « Tu te vantes de ta meilleure aptitude, c’est ça ? »

He Qingyun, qui avait les pires aptitudes, en était si anxieux qu’il se gratta la tête, jurant qu’il allait s’entraîner dur.

Les trois amis se mirent à rire et à plaisanter, dissipant peu à peu la tristesse du départ.

Dans le pays sous les cieux, il n’y a pas de fête qui ne se termine.

*

Portant ses bagages, Rong Ye arriva à l’atelier du Pavillon de la Technique céleste. En entendant les cris des apprentis et les bruits métalliques des marteaux, il fut pris de panique. Il se cacha nerveusement devant la porte, rassemblant tout son courage avant d’oser franchir le seuil et d’affronter son nouveau destin.

Derrière la porte s’ouvrait un vaste terrain d’entraînement.

Deux gigantesques automates mécaniques s’affrontaient au centre, entourés d’hommes et de femmes en liesse qui acclamaient bruyamment. Un singe de métal faisait des roulades, un lapin en porcelaine bondissait joyeusement, et deux jeunes filles réparaient un disque qui projeta soudain une image d’immortelles dansant gracieusement.

Parmi la foule se tenait une cultivatrice grande et pleine d’allure. Elle portait une robe grise de disciple, un peu négligée, couverte de taches d’huile et de copeaux de bois. Dans ses mains, elle tenait un magnifique aigle de bois sculpté. Sous les acclamations, elle le lança dans les airs.

L’aigle fendit le ciel, perçant les nuages, s’élevant de plus en plus haut.

Qu’il existait donc de telles merveilles mécaniques ? C’était ça, les artisans du monde de la cultivation ? Et lui… pourrait-il, un jour, créer de telles choses ?

Les yeux de Rong Ye ne pouvaient plus quitter l’aigle dans le ciel. Son cœur battait si fort…

La cultivatrice l’aperçut, lui fit un grand signe de la main et lança en riant : « Hé, petit gars ! Ça te plaît ? »

Il adorait cela. Il l’adorait tant…

Trop ému pour parler, Rong Ye courut vers elle — courut vers son avenir.

Mère, j’ai trouvé le plus beau des destins.

*

Song Qingshi mit en route plusieurs fourneaux d’alchimie pour concocter des pilules, préparant une grande quantité de médicaments destinés aux cultivateurs de bas niveau. Certains étaient pour ses apprentis, d’autres pour Yue Wuhuan et lui-même. Il prévoyait aussi de prendre du temps pour fabriquer quelques remèdes courants, comme les pilules de calme intérieur, de paix mentale ou de purification, afin de ne pas être pris au dépourvu plus tard quand il serait trop absorbé par sa cultivation pour préparer des médicaments.

Prévoir à l’avance est une bonne habitude.

Song Qingshi, pleinement satisfait après avoir fini de raffiner plusieurs dizaines de fourneaux de pilules, se sentait un peu fatigué. Il décida donc de faire une tournée dans l’entrepôt de plantes médicinales pour se détendre. C’était son petit rituel secret pour relâcher la pression — un peu comme un dragon surveillant son trésor d’or et de pierres précieuses. Après chaque grosse production de médicaments, il aimait secrètement recompter les stocks, vérifier que tout était bien conservé, constater qu’il en restait encore beaucoup… Cela lui procurait un profond sentiment de satisfaction et de sécurité.

« Il reste soixante-douze jins de graine de clarté céleste, trois cent vingt-quatre jins de fleurs de soleil flamboyant, trois tonneaux de requins-yan, seulement vingt-deux jins de pierre lune… On en a beaucoup utilisé récemment. Je demanderai à Wuhuan d’en recommander. » Song Qingshi vérifia soigneusement les réserves de chaque plante. Il y avait quelques écarts, mais rien d’alarmant.

Il ouvrit le tiroir contenant le bambou du cœur céleste, puis s’arrêta net.

Il en manquait une grande quantité…

Song Qingshi se sentit un peu perdu. Le bambou du cœur céleste servait à chasser les démons intérieurs et à recentrer l’esprit, mais son effet secondaire était de refroidir les désirs. À l’époque, il ne comprenait pas grand-chose à l’éthique, et avait pris un coureur de jupons pour cobaye. Après ingestion massive de ce médicament, ce dernier s’était transformé en parfait gentleman, avait réformé sa conduite, puis avait été illuminé par un grand maître bouddhiste… pour finalement devenir moine et faire le bien.

Dans le monde de la cultivation, les mœurs étaient relativement libres. Les victimes ne s’effondraient pas pour ce genre de choses. Une cultivatrice dupée ou prise au piège n’allait jamais pleurer ou crier. En général, elle sortait son épée et réglait le problème avec franchise.

Ce coureur de jupons, lui, était doué en belles paroles, il savait embobiner tout le monde. Personne ne comprenait vraiment comment il avait pu s’en sortir.

Song Qingshi, replongé dans ses souvenirs, fit un peu d’introspection. Il se considérait comme un homme loyal, fidèle, jamais volage. Et pourtant, ce type arrivait à faire tourner la tête de plusieurs beautés alors que lui, Song Qingshi, n’arrivait même pas à courtiser correctement celui qu’il aimait… Pas très glorieux.

Le tyran érudit ressentit un petit sentiment d’injustice.

Mais il se ressaisit vite, chassant ses pensées parasites, et se mit à réfléchir à la disparition du bambou du cœur céleste.

Cette plante n’était utilisée que dans très peu de concoctions. Ses effets de recentrage pouvaient être remplacés par d’autres herbes, et bien que très efficace contre les démons intérieurs, ses effets secondaires en faisaient un choix très risqué. Peu de cultivateurs osaient l’employer. Parfois, on l’utilisait pour corriger des libertins, mais rarement dans une préparation normale.

Song Qingshi n’en avait jamais beaucoup. Il la conservait principalement pour ses recherches, dans l’espoir de supprimer ses effets indésirables et de découvrir de nouvelles applications. Jusqu’à présent, sans succès.

À présent, la moitié de sa réserve avait disparu.

Les apprentis n’étaient pas autorisés à utiliser cette plante. Il ne restait donc plus que…

Song Qingshi se souvint soudain du parfum médicinal qu’il avait récemment senti sur Yue Wuhuan.

Cela faisait des siècles qu’il n’avait pas utilisé cette plante, et il en avait oublié l’odeur. Mais maintenant qu’il y repensait, cela semblait très proche… Un mélange de bambou du cœur céleste, de mica, et de fleur noire ? Ensemble, ces ingrédients produisaient un remède pour… réprimer le désir masculin.

Yue Wuhuan n’était pas un coureur de jupons, alors pourquoi prendrait-il cela en secret ?

Même s’il semblait contrôler le dosage, une prise prolongée pouvait nuire à la santé, avec des conséquences imprévisibles.

Song Qingshi était un peu abasourdi…

Il voulut se précipiter pour interroger Yue Wuhuan, mais se ravisa aussitôt. Yue Wuhuan ne lui répondait jamais franchement quand il essayait d’éclaircir quelque chose. Il finissait toujours par se faire embrouiller, tourner autour du pot, puis abandonnait sans comprendre ce qui s’était passé.

Song Qingshi réfléchit un instant, puis prit une décision : agir d’abord, expliquer ensuite. Il allait retirer tout le bambou du cœur céleste.

Cette plante poussait uniquement au-delà des mers. Comme personne ne la récoltait, elle était très rare sur le marché. Une fois épuisée, il serait très difficile d’en retrouver.

Il voulait comprendre ce que tramait Yue Wuhuan.

 

Traduction: Darkia1030