MISVIL - Chapitre 41 - Frères chassant le tigre
(NT : L’expression vient d’un ancien dicton chinois : « Pour chasser un tigre, il faut des frères de sang ; pour aller à la guerre, il faut un père et son fils. »(打虎还得亲兄弟,上阵须教父子兵). Autrefois, affronter un tigre était une tâche périlleuse, nécessitant confiance et coopération, d’où l’idée que seuls des frères de sang pouvaient apporter un soutien sûr dans de telles circonstances. Aujourd’hui cela fait référence à des compagnons inséparables qui s’entraident face aux difficultés.)
« Que peut-on faire au lit, à part dormir et lire ? »
L’auteur de ‘Les Trois Frères Chasseurs de Tigres’ était Xunfang Zhenren. jusqu’alors, trois tomes avaient été publiés, et l’histoire était toujours en cours.
L’intrigue racontait l’histoire d’un jeune cultivateur des talismans, bienveillant et adorable, qui, à ses débuts, rencontrait dans un royaume secret un cultivateur d’épée froid et calculateur, ainsi qu’un cultivateur démoniaque séducteur et libertin. Après avoir traversé la vie et la mort ensemble et avoir abattu un tigre démon à neuf vies, ces trois individus, d’abord opposés et ne supportant pas la simple vue l'un de l'autre, devinrent de véritables frères d’armes. Par la suite, ils parcourent le monde, défendant la justice et bravant l’inconnu.
La plume de Xunfang Zhenren était exceptionnelle : il transformait cette aventure simple en une épopée palpitante, parsemée de beautés enchanteresses, de trésors inestimables et de créatures mystiques. Chaque scène respirait une élégance propre à l’univers masculin, et chaque personnage était si vivant qu’il semblait pouvoir bondir hors des pages. Les moments où les trois héros enterraient leurs rancunes, levaient leurs coupes et riaient à cœur ouvert étaient décrits avec une grandeur inégalée.
Song Qingshi, blotti sous sa couverture, lisait à la lueur d’une perle lumineuse, ignorant totalement les vrilles de vigne qui, à plusieurs reprises, lui serrèrent les chevilles pour lui rappeler d’aller dormir. Il ne pouvait tout simplement pas s’arrêter.
Il comprenait enfin le plaisir de lire des romans populaires.
Dans l’histoire, alors que le cultivateur des talismans était grièvement blessé par le tigre démon, le maître de l’épée, couvert de sang, s’élançait à son secours. Au sommet du mont Changfeng, des milliers d’épées se déchaînaient, offrant un combat déchirant…
Song Qingshi, totalement absorbé, sentit soudainement quelque chose de froid et humide glisser le long de son pied. Il souleva la couverture et découvrit que Hao Long s’était faufilé jusqu’à lui, tentant de mordre et d’arracher la vigne sanglante qui entravait ses jambes pour reprendre son territoire.
Ses crocs acérés firent plusieurs entailles profondes dans la plante.
« Arrête de faire l’idiot », s’empressa de dire Song Qingshi en séparant les crocs du serpent et la vigne avant de soulever Hao Long pour le réprimander. « Ce n’est pas une corde, tu ne peux pas la mordre comme ça. »
Hao Long s’enroula aussitôt autour de sa taille, se torsadant plusieurs fois avant de se lover contre sa poitrine, refusant de s’en aller.
« Tu es bien plus lourd qu’avant », soupira Song Qingshi, mi-amusé, mi-exaspéré. « Bon, d’accord, tu peux rester cette nuit. » Puis il secoua légèrement le pied et ordonna : « Wuhuan, ne serre pas autant, je vais bien. »
La vigne sanglante se relâcha doucement, continuant simplement à entourer sa cheville.
Song Qingshi ne comprenait pas pourquoi Yue Wuhuan insistait pour l’enrouler autour de lui au lieu de simplement la laisser près du lit. Il avait posé la question plus tôt dans la journée, mais Yue Wuhuan avait affiché une expression troublée, comme s’il voulait parler sans oser le faire. Il en conclut que, après avoir veillé sur lui pendant ses dix années de coma, Yue Wuhuan s’était habitué à rester près de lui et se sentait désormais anxieux à l’idée d’être séparé. La vigne était peut-être une manière de chercher du réconfort.
Mon petit ange a beau avoir quelques bizarreries, il mérite d’être choyé.
Qu’était-ce qu’une simple vigne ? Même s’il voulait enrouler sept ou huit d’entre elles autour de lui, Song Qingshi n’y verrait aucun problème !
Après avoir tapoté la tête de Hao Long, il reprit sa lecture. Pris dans l’histoire, il finit même par descendre du lit pour attraper un cahier et du charbon de bois, traçant des annotations et partageant ses pensées avec Hao Long : « Ce roman est incroyablement bien écrit, les personnages sont très réalistes. Je pense que Yue Wuhuan correspond au cultivateur des talismans bienveillant et adorable, An Long au cultivateur démoniaque libertin, et moi au cultivateur de l’épée froid et rusé ! On commence par être en désaccord, puis on se bat, et enfin, on devient frères d’armes… »
Écoutant discrètement à travers la vigne sanglante, Yue Wuhuan : "???"
Écoutant discrètement à travers Hao Long, An Long : "???"
Song Qingshi avait déjà tout planifié : il emmènerait les deux en voyage, profitant des aventures sur la route pour renforcer leur lien fraternel. Il se souvenait que la ville de Nanhai, non loin de la vallée de la Médecine, était en pleine fête des fleurs. Bien que modeste, cette ville regorgeait de beautés et de bons alcools, ce qui conviendrait parfaitement à An Long. On y trouvait aussi des marchands marins vendant des pierres précieuses rares, ce qui plairait à Yue Wuhuan. De plus, c’était la saison de floraison des Ashokas, ce qui s’avérait parfait pour récolter quelques herbes médicinales.
(NT : Ashoka ou arbre sans souci, Saraca asoca, arbre de la famille des fabaceae. Selon la tradition, c'est sous cet arbre que naquit le Bouddha) (1)
Un tel endroit serait idéal pour un voyage ! Même si son plan échouait, ils passeraient tout de même un bon moment. Mais avant de partir, il voulait leur faire lire ce roman pour qu’ils comprennent la profondeur de l’amitié fraternelle et saisissent ses bonnes intentions.
Le lendemain, Yue Wuhuan, obéissant et docile, prit le livre avec un sourire : « Si le Maître dit que c’est bien, alors ce doit être bien. »
« Ce livre, je l’ai déjà lu », déclara An Long, troublé par ce qu’il avait entendu la veille. Il y avait réfléchi toute la nuit, sans parvenir à comprendre, et finit par demander : « Que je sois le cultivateur démoniaque, passe encore, mais pourquoi est-il le cultivateur des talismans, et toi le cultivateur de l’épée ?! » Ce satané monstre, où était-il bienveillant et adorable ? Et en quoi Song Qingshi était-il froid et calculateur ?
Song Qingshi répondit avec aplomb : « Parce que le cultivateur de l’épée est l’aîné, il est responsable et joue le rôle du grand frère ; le cultivateur des talismans est le plus jeune, il a besoin de protection et joue le rôle du petit frère. Parmi nous trois, je suis le plus âgé, toi le second, et Wuhuan le plus jeune. N’est ce pas logique ? »
Son raisonnement était logique, parfaitement argumenté.
An Long ne trouva rien à redire…
« Comment tu sais tout ça ? » demanda soudainement Song Qingshi, réalisant une incohérence. Il comprit alors que cette phrase faisait référence à ce qu’il avait dit la veille, alors qu’il était seul. Son regard s’aiguisa. Il attrapa Hao Long, l’examina attentivement et extirpa un minuscule insecte espion caché sous ses écailles.
Furieux, il fit apparaître une flamme du lotus rouge et la jeta violemment sur An Long : «Encore en train d’espionner mes paroles dans mon sommeil ?! »
Il l’avait déjà fait par le passé. Non seulement il l’observait dormir, mais il se moquait aussi de lui parce qu’il serrait sa couette en dormant ! Et qu’il récitait des textes médicaux dans son sommeil ! Il lui avait même dit qu’il ferait mieux de tenir quelque chose de chaud… comme les bras d’un homme !
Il n’était pas une fille, pourquoi enlacerait-il un homme ?
C’était évident, An Long se moquait de lui en insinuant qu’il était aussi délicat qu’une femme !
Le regard de Song Qingshi devenait de plus en plus suspicieux, et une flamme de lotus rouge apparaissait et disparaissait au creux de sa main. De toute façon, il restait encore quelques jours avant leur départ. Cela ne le dérangeait pas de laisser le Malamute d'Alaska l'accompagner pour se remettre de ses blessures !
An Long, se faisant brûler, se protégea la tête avec ses bras et détala comme un rat en fuite. Il se retourna et a vit Yue Wuhuan debout sur le côté, agissant comme une partie indifférente.
An Long, en fuite, hurla : « Il a écouté aussi ! Pourquoi je suis le seul à me faire brûler ?! »
Yue Wuhuan, feuilletant tranquillement le roman, répondit avec un sourire : « J’ai déjà informé le Maître de ma vigne il y a longtemps. »
« Tu oses même entraîner les autres dans tes combines ! » Voyant qu’An Long ne montrait aucun signe de remords, Song Qingshi s’énerva encore plus et rétorqua : « En ce moment, j’ai du mal à me déplacer. Wuhuan a laissé la vigne sanglante ici pour pouvoir mieux prendre soin de moi. Et toi, quelle excuse as-tu pour envoyer Xiao Bai m’espionner ? »
An Long, se sentant lésé, protesta : « J’ai entendu dire qu’avant ton accident, ce type dormait avec toi tous les soirs… »
« Comme si ce n’était pas aussi ton cas ! » Song Qingshi trouvait sa plainte totalement absurde. « Avant, quand tu étais gravement blessé et en convalescence dans la Vallée de la Médecine, tu pouvais à peine bouger. Est-ce que je ne suis pas resté à tes côtés pour m’occuper de toi ? Mais à cause de ta mauvaise posture de sommeil, dès que tu as commencé à aller un peu mieux, tu n’as cessé de gigoter et de toucher tes blessures. J’ai donc dû mettre deux lits séparés. »
S’occuper d’un patient gravement blessé en partageant la même chambre, n’était-ce pas une évidence ?
La réplique de Song Qingshi laissa An Long sans voix, étouffant les arguments qu’il avait préparés. Il ne pouvait que regretter son passé de jeunesse insouciante et les situations embarrassantes qu’il avait accumulées. Maintenant, impossible de retourner la situation à son avantage.
Mais soudain, Song Qingshi redevint méfiant. « Comment savais-tu que j'accompagnais Wuhuan pour dormir ? »
An Long avait autrefois placé des informateurs dans la Vallée de la Médecine, mais ces dernières années, Yue Wuhuan les avait tous éliminés un à un. Désormais, il ne recevait plus aucune information sur ce qui s’y passait. Cependant, il était absolument hors de question que Song Qingshi l’apprenne. Sinon, s’il se mettait à poser des questions et à creuser l’affaire, An Long serait incapable de fournir une explication satisfaisante. Il risquait même de finir sur une liste noire et d’être expulsé de la vallée.
« Wuhuan veille sur moi pour m’aider ! » répliqua froidement Song Qingshi. « Mais toi, pourquoi as-tu envoyé ton serpent pour m’espionner ?! »
Le regard de Song Qingshi se fit encore plus suspicieux. Le feu alchimique commença à prendre une forme indistincte dans sa main.
An Long prit une décision immédiate : il attrapa Yue Wuhuan, qui faisait semblant d’être docile à côté de lui, et le tira brusquement en avant. « C’est lui qui me l’a dit ! »
Yue Wuhuan lui jeta un coup d’œil et sourit.
« Après avoir mis nos différends de côté, nous avons longuement discuté et sympathisé. Ce sujet a été évoqué par hasard », assura An Long avec un air sincère. Pourtant, la pression de ses doigts sur l’épaule de Yue Wuhuan était si forte qu’elle menaçait presque de lui briser l’omoplate, une menace claire derrière ses paroles. Mais au lieu d’un ordre, il supplia : «J’ai mal compris votre relation et cru que vous faisiez quelque chose d’intéressant derrière mon dos. C’est pour ça que j’ai envoyé Xiao Bai écouter en cachette, pas vrai, petit frère Wuhuan ? N'en avons-nous pas déjà discuté ? »
Song Qingshi était un maître de premier ordre lorsqu'il s'agissait de réaliser des autopsies. Il n’y avait presque aucune cause de décès qu’il ne pouvait identifier.
Il excellait en arts liés aux insectes venimeux, Yue Wuhuan était expert en poisons. Tous deux avaient des méthodes de meurtre si insidieuses qu’il était presque impossible de les détecter.
Aucun des deux ne voulait provoquer Song Qingshi ni laisser derrière lui le moindre faux pas…
Les cultivateurs avaient une longue espérance de vie. Il n’était pas nécessaire de tout précipiter. Même s’ils avaient envie de s’entretuer, ils devaient choisir le moment opportun pour frapper. Car tuer un ennemi sans précaution et laisser des traces, c’était rendre ce meurtre inutile. Pire encore, si Song Qingshi se mettait à fouiller, il risquait de découvrir d’autres secrets bien plus compromettants.
Et des secrets, ils en avaient beaucoup…
An Long savait que Yue Wuhuan pensait de la même manière. C’était précisément pour cette raison qu’il avait choisi de faire un pas vers la réconciliation et de tolérer sa présence.
En réalité, Yue Wuhuan était encore plus prudent que lui. Il ne laisserait jamais la moindre faille apparaître, jamais la queue du serpent venimeux dépasser.
« L’Immortel An a raison », déclara Yue Wuhuan avec calme. Il comprenait parfaitement la situation et ne prêta même pas attention à la douleur lancinante dans son épaule. Au lieu de cela, il choisit d’accompagner le mensonge et de le couvrir :
« Nous avons dû en parler par inadvertance lors de nos conversations. C’est admirable que l’Immortel An s’en souvienne encore. Maintenant que ma santé s’est considérablement améliorée, je n’ai plus besoin que le Seigneur me veille la nuit, et encore moins de faire quoi que ce soit d’"intéressant" avec lui dans son lit. J’espère donc que l’Immortel An ne répétera plus ce genre d’actes. »
Song Qingshi, perplexe, demanda : « À part dormir et lire, qu’est-ce qu’on peut bien faire dans un lit? »
Yue Wuhuan lui répondit avec indulgence : « Ce que dit le Seigneur est tout à fait juste. »
An Long regarda ces yeux limpides et, étrangement, toute sa colère s’évanouit. Même son ressentiment envers Yue Wuhuan s’atténua considérablement.
Pourquoi est-ce que je place encore des espoirs en cet idiot qui cultive la Voie de l'Absence d'émotions ?
Même avec une beauté inégalée comme Yue Wuhuan dans son lit, Song Qingshi ne ressentait toujours aucune pulsion. Il était définitivement irrécupérable…
S’il voulait lui faire comprendre ce genre de choses, il faudrait recourir aux mêmes méthodes qu’il avait vues dans ses illusions sous l’effet du poison hallucinogène : la force, la contrainte, le contrôle…
Utiliser tous les moyens possibles pour lui inculquer ces désirs, le forcer à expérimenter, à goûter à la tentation…
Ce n’est qu’ainsi qu’un bouton de rose encore innocent pourrait lentement éclore en une fleur éclatante.
Il songea à ces visions et, pendant un instant, il faillit laisser paraître ses crocs, l’envie de déchirer cette personne pure et intacte le consumant presque.
Mais…
Il ne devait surtout pas faire ça. Il risquait de le blesser…
Il ne devait pas commettre d’erreur…
An Long ferma doucement les yeux, réprimant les sombres pensées qui montaient en lui. Il ne pouvait pas détruire ce qu’il avait eu tant de mal à obtenir.
« Immortel An », l’appela Yue Wuhuan d’une voix douce, le tirant de ses pensées. « Allez-vous accompagner le Seigneur dans son voyage à Nanhai ? »
An Long ouvrit les yeux et croisa le regard rempli d’anticipation de Song Qingshi. Il sourit, laissant apparaître un bout de croc à ses lèvres. « Si tu y vas, bien sûr que j’y vais aussi. »
Song Qingshi cultivait depuis près d’un millénaire et, sur ces mille ans, il avait dû passer neuf cents ans reclus chez lui. Les rares moments où il quittait son domaine étaient pour explorer des montagnes reculées ou des royaumes secrets à la recherche d’herbes médicinales.
Les occasions où il partait en voyage pour le plaisir se comptaient sur les doigts d’une main. C’était la première fois qu’il invitait quelqu’un à l’accompagner. Une opportunité pareille ne devait surtout pas être laissée à ce démon séduisant !
An Long posa un bras sur l’épaule de Yue Wuhuan et déclara joyeusement : « Petit frère Wuhuan, nous sommes proches, non ? Arrête de m’appeler Immortel An, appelle-moi grand frère. »
Yue Wuhuan hocha légèrement la tête, un sourire au coin des lèvres.
« Grand frère An. »
Song Qingshi, ravi, pensa que leur relation n’était finalement pas aussi tendue qu’il l’avait cru. Il y avait de l’espoir !
Il devait bien planifier leur voyage, demander à Ye Lin des recommandations sur les meilleurs plats, boissons et paysages de Nanhai, organiser des activités amusantes et leur offrir l’occasion de discuter davantage.
Avec un peu de chance, au retour, ils découvriraient les qualités de l’autre et dissiperaient définitivement leurs rancœurs.
Nous sommes tous des érudits, pourquoi perdre du temps à se battre ?
Ne serait-il pas plus agréable d’étudier ensemble ?
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Note de l’auteur :
Song Qingshi utilisera son pouvoir pour ramener l’histoire vers un roman de pure amitié fraternelle.
Du BL ? Quelle blague ! Être frères, c’est bien plus agréable, non ?
Song Qingshi : « Venez, chantons tous ensemble Pengyou (NT : amis) de Zhou Huajian ~ »
(NT : chanson très populaire de 1997 parlant de l'importance de l'amitié et de la loyauté)
PS :
Auteur, sarcastique : Qingshi… avec sept ou huit lianes de sang du Roi des Plantes enroulées autour de toi, tu vas sûrement pleurer jusqu'à crier comme un chat..
Song Qingshi : « ??? »
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Note du traducteur
(1) Inflorescence de l’arbre sans souci (Saraca asoca)

Source: Wikipedia
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