MISVIL - Chapitre 27 – Au chevet du patient

 

Il semblait que son chemin de cultivation nécessiterait des mises à l’épreuve supplémentaires de sa volonté.

 

Yue Wuhuan s'entraînait à l'épée régulièrement, et sa maîtrise devenait de plus en plus raffinée.

Pour lui, la cultivation n’avait jamais été une difficulté. Les techniques et ouvrages célestes lui étaient immédiatement compréhensibles, et la circulation de l’énergie spirituelle dans son corps était aussi naturelle que sa respiration. Il était un cultivateur né, mais il était limité par les méridiens et le dantian fragiles des mortels, l’empêchant de briser ces barrières par des méthodes conventionnelles. C’est ainsi qu’il s’était tourné vers la voie de l’épée pour atteindre le sommet.

Les événements du monde illusoire étaient encore frais dans sa mémoire.

En retrouvant son calme, il réalisa soudain que les techniques d’épée de ce monde illusoire semblaient désormais faire partie intégrante de son corps, comme si elles avaient été répétées des milliers de fois. Il observa le coup d’épée qu’il venait de porter en diagonale : cette technique simple pouvait briser trois types d’artefacts défensifs couramment utilisés dans les cieux. En inclinant légèrement la trajectoire de son épée, elle pouvait ensuite transpercer un cœur. Pourtant, il n’avait jamais tué personne avec une épée. Pourquoi alors comprenait-il tout cela, comme s’il l’avait vécu lui-même ?

L’illusion créée par le gu d’illusion ne pouvait pas produire de tels effets. Si cela avait été le cas, cet insecte aurait été considéré comme le plus extraordinaire des artefacts vivants au lieu d’un simple jouet.

Yue Wuhuan fixa sa main tenant l’épée avec stupeur. Il voulait continuer à réfléchir, mais sa tête devint douloureuse. Une force obscure semblait exercer une pression sur son esprit, des chaînes invisibles refusaient de révéler les réponses qu’il cherchait. Elles bannissaient ces pensées de son esprit, les remplaçant de force et modifiant sa perception. Finalement, une explication bancale et logique s’imposa à lui :

Le monde céleste regorgeait de rencontres extraordinaires. Peut-être que le gu d’illusion était sa chance unique.

Au détour du corridor, Song Qingshi se montra, la tête légèrement penchée comme s’il observait depuis un moment.

Yue Wuhuan rengaina rapidement son épée lorsqu’il vit Song Qingshi s’approcher, un carnet et un fusain à la main. Il lui fit signe de s’asseoir sur un banc de pierre. Après une longue hésitation, Song Qingshi ouvrit finalement son carnet, révélant une page blanche où étaient écrits en gros caractères : « Tableau des goûts et intérêts ».

Yue Wuhuan, perplexe, demanda : « Qu’est-ce que c’est ? »

Song Qingshi fit de son mieux pour dissimuler sa gêne. Il ne voulait pas vraiment agir comme une adolescente collectionnant des informations sur son idole, mais Yue Wuhuan était trop doué pour dissimuler ses émotions. Avec son faible sens des relations humaines, Song Qingshi était incapable de deviner ce que Yue Wuhuan avait en tête.

Puisqu’il n’était pas du genre à garder ses pensées pour lui, après mûre réflexion, il avait décidé de dresser une liste et de poser directement des questions. Il remplirait le tableau méthodiquement, comme un dossier médical, afin d’éviter toute erreur.

« Tu ne peux pas mentir. Tu dois répondre honnêtement », dit Song Qingshi, essayant de montrer un peu de l’autorité d’un médecin. Il prit son fusain avec sérieux et commença :
« Wuhuan, qu’aimes-tu manger ? »

Yue Wuhuan retint un sourire et répondit en plaisantant : « J’adore les sucreries. »

Song Qingshi le regarda avec exaspération et murmura une plainte : « Sois sérieux, et ne dis pas ce que j’aime manger. » Lorsqu’ils étaient à Lecheng, il avait cru que Yue Wuhuan aimait les gâteaux au lait, mais il s’était aperçu que Yue les lui achetait pour lui faire plaisir. La même chose s’était produite avec les glaces.

« Je n’ai pas de préférences particulières », répondit Yue Wuhuan sérieusement après réflexion. « Avant… il y avait beaucoup de choses que je ne pouvais pas manger, et cela a abîmé mon estomac. Maintenant, je n’arrive pas à manger grand-chose. J’aime les pilules de jeûne, elles font gagner du temps. »

Song Qingshi nota simplement « Médicaments pour l’estomac » dans la colonne correspondante, puis continua : « Qu’est-ce que tu aimes ? »

Yue Wuhuan resta silencieux un moment, avant que ses yeux ne se remplissent d’une lueur amusée. Il répondit : « J’aime le Maître. Le Maître est le plus gentil avec moi. »

Song Qingshi rougit légèrement sous le compliment, visiblement mal à l’aise. « Je parle d’objets », précisa-t-il.

Yue Wuhuan sourit : « Je n’ai rien de particulier que je désire, parce que le Maître m’a déjà tout donné. »
Les joyaux scintillants qu’il possédait autrefois n’existaient plus, mais il n’en avait plus besoin. Le Maître avait déjà dépensé beaucoup pour lui ; il n’était pas nécessaire de lui causer davantage de soucis.

« Couleur préférée ? »
« Le blanc. »
« Activités préférées ? »
« Pratiquer l’épée, préparer des remèdes, lire, apprendre. »

Yue Wuhuan répondait avec fluidité, sans aucune faille dans ses réponses.

Enfin, Song Qingshi demanda : « Et ta date de naissance ? »

Yue Wuhuan répondit : « Le 14 février. »

En entendant cette date particulière, le crayon de Song Qingshi s’arrêta brusquement.

Yue Wuhuan, intrigué, demanda : « Cette date a-t-elle quelque chose d’étrange ? »

Song Qingshi réprima un sourire et secoua la tête. Dans ce monde, il n’y avait pas de Saint-Valentin. Pourtant, il se souvenait que, dans son monde précédent, chaque année à cette date, il devait remplacer ses frères et sœurs aînés pour les gardes de nuit pendant leurs rendez-vous amoureux, réceptionner les roses et cadeaux des admirateurs de sa sœur, et réserver des dîners aux chandelles et des places à l’opéra pour ses parents. Lui, en revanche, finissait seul au laboratoire, mangeant des nouilles instantanées avec des souris blanches comme seule compagnie. Tout le monde plaisantait en disant que son futur partenaire serait sûrement une souris spirituelle, ce qu’il trouvait très drôle.

Voyant le sourire de Song Qingshi, Yue Wuhuan fut encore plus perplexe, ne comprenant pas ce qui pouvait tant réjouir le Maître.

Song Qingshi referma joyeusement son carnet. Il avait collecté de nombreuses informations. Le mois prochain ce serait l’anniversaire de Yue Wuhuan, et il avait déjà envoyé plus d’une dizaine de lettres au Pavillon Y eyu pour accélérer la livraison. L’élixir Essence de toutes choses était également arrivé, et il avait enfin une piste sur Xie Que. Tout cela serait parfait pour organiser une grande surprise, qui pourrait peut-être remonter le moral de Yue Wuhuan et lui faire oublier les troubles liés à l’illusion problématique.

Bien sûr, à condition de s’assurer que Yue Wuhuan ne retombe pas malade.

Les blessures sur le visage de Yue Wuhuan avaient déjà en grande partie guéri, mais un phénomène étrange était apparu : une larme de beauté, pourtant complètement retirée, avait repoussé exactement au même endroit. Song Qingshi, suspectant qu’il n’avait pas complètement enlevé la marque, s’était inquiété que Yue Wuhuan, agacé, tente de se blesser à nouveau. Il avait donc lui-même procédé à une nouvelle intervention pour retirer cette larme de beauté. Pourtant, en changeant le pansement ce matin, il constata que la larme était revenue, encore plus éclatante, rougeoyante et magnifique qu’avant.

Song Qingshi, perplexe, ne trouvait pas d’explication à cette situation. Il passa beaucoup de temps à étudier cette larme de beauté, sans détecter aucune caractéristique particulière.

Il se rappela que beaucoup de phénomènes dans le monde céleste défiaient la science. Peut-être s’agissait-il d’une marque innée impossible à effacer ?

Voyant sa préoccupation, Yue Wuhuan insista pour qu’il abandonne l’idée de traiter cette larme de beauté, garantissant qu’avec le verrouillage émotionnel, il ne risquait pas de perdre le contrôle. Mais Song Qingshi restait sceptique : bien que les sens spirituels des cultivateurs au stade de l’Âme naissante soient puissants, ils ne pouvaient être utilisés en permanence et sur de longues distances. Song Qingshi, de surcroît, était le genre de personne qui ne pouvait pas accomplir deux tâches à la fois. Il oublierait de sonder mentalement lorsqu’il se plongeait dans ses réflexions.

Ainsi, ces derniers jours, il ne quittait Yue Wuhuan d’une semelle, incapable même de dormir sur ses deux oreilles. Il avait donc installé un lit de fortune au sol pour veiller à ses côtés. Cela lui semblait embarrassant, mais toujours préférable à dormir profondément dans ses propres quartiers et découvrir trop tard un problème grave.

En se réveillant en pleine nuit, Yue Wuhuan fut abasourdi de voir Song Qingshi allongé par terre.

Jamais dans ses rêves il n’aurait imaginé que son Maître ferait une chose aussi insensée pour lui ! Il réfléchit sérieusement à l’idée de feindre l’ignorance ou de réveiller le Maître. Mais ces deux options semblaient terriblement gênantes.

Après mûre réflexion, il se força à réveiller Song Qingshi et tenta de lui fournir une excuse :
« Maître, vous étiez trop fatigué et vous êtes endormi ici. Faites attention, le sol est froid. »

Mais Song Qingshi refusa catégoriquement de se lever et s’obstina : « Non, je reste ici. »

Yue Wuhuan, se sentant responsable, soupira avec résignation : « Dans ce cas… Maître, dormez sur le lit. » Il avait initialement prévu de proposer de prendre lui-même la place au sol.

Jamais Yue Wuhuan n’aurait imaginé que, à peine avait-il proposé que Song Qingshi dorme sur le lit, ce dernier, les yeux brillants, grimpe avec enthousiasme. Ayant toujours été habitué au confort, Song Qingshi avait trouvé insupportable de dormir plusieurs nuits sur le sol. Maintenant que son « petit ange » l'invitait à partager le lit, il était ravi ! Pour lui, cela signifiait que Yue Wuhuan lui faisait entièrement confiance. Et après tout, un contact physique modéré pouvait favoriser une guérison psychologique.

En toute bonne conscience, il se considérait comme un homme droit, et Yue Wuhuan étant le protagoniste de l’histoire, il n’y avait aucun problème à ce qu’ils dorment ensemble.

Dans le monde des immortels, les lits étaient souvent immenses, assez spacieux pour deux ou trois personnes sans le moindre inconfort.

Song Qingshi, profondément ému, monta sur le lit avec sa couverture, l’étala soigneusement, et s’installa à l’une des extrémités, bien éloigné de Yue Wuhuan. Il déclara avec sérieux : « Ne t’inquiète pas. Je dors très calmement. Je me réveille exactement dans la même position dans laquelle je m’endors le soir,. Je ne te dérangerai absolument pas. »

Yue Wuhuan ne savait même pas quoi répondre…

Après plusieurs nuits sans sommeil réparateur, Song Qingshi était épuisé. Il s’enroula rapidement dans sa couverture et s’endormit profondément, sans aucune méfiance. Ses cheveux en désordre s’étalaient sur l’oreiller, sa chemise de nuit en soie glacée s’était légèrement retroussée, dévoilant une taille fine et un ventre blanc immaculé.

Yue Wuhuan dut activer plusieurs fois son gu de « verrouillage des émotions » pour contenir ses pulsions. Il tira la couverture sur Song Qingshi pour le couvrir correctement et s’allongea à son tour, mais il ne parvint pas à trouver le sommeil. Il était trop conscient de ses propres démons intérieurs. Avec son passé obscur et son visage faussement innocent, personne ne devinerait à quel point il portait en lui une agressivité innée.

En vérité, s’il aimait les hommes, ce n’était pas pour se soumettre, mais pour dominer, contrôler, s’approprier entièrement l’autre, marquer de son empreinte chaque parcelle de leur corps. Ce n’est qu’ainsi qu’il trouvait une véritable satisfaction.

Mais Song Qingshi avait un esprit pur et simple. Il ne comprenait rien à ces pensées chaotiques. Tout ce qu’il faisait, c’était par pure confiance et par sollicitude.

Ces pensées sombres ne devaient pas exister.

Dormir signifiait simplement dormir. Rien de plus. Pas de mauvaises pensées. Pas de mauvais gestes.

Allongé aux côtés de celui qu’il aimait, Yue Wuhuan endurait une torture insoutenable.

Son corps, déjà plus chaud que la moyenne, devint brûlant sous l’effet de ses désirs réprimés.

Song Qingshi, quant à lui, pratiquait une technique appelée Froid de Jade pour contenir deux types de flammes internes. De ce fait, sa température corporelle était souvent basse. Dans son sommeil, il perçut inconsciemment une source de chaleur à côté de lui et, comme un somnambule, il se rapprocha pour s’y blottir.

Il glissa une main dans la couverture de Yue Wuhuan et l’enlaça comme une source de chaleur vivante, frottant son visage contre lui d’un air satisfait avant de s’installer confortablement.

Le corps de Yue Wuhuan exhalait un parfum d’herbes médicinales. Une respiration chaude effleurait son cou, et des lèvres légèrement rosées semblaient inviter à être goûtées.

Les bras de Song Qingshi s’étaient enroulés autour de sa poitrine et de sa taille, le serrant fermement. Puis ses jambes vinrent aussi s’entrelacer autour de lui, comme un poulpe s’accrochant à sa proie préférée, refusant de relâcher son emprise.

Le vêtement en soie glacée, déjà ample, glissait de plus en plus sous ces mouvements, révélant un col ouvert, une clavicule exposée, et des fragments d’une silhouette fascinante. Hormis une cicatrice laissée par une morsure de chien féroce sur le cou, tout le reste ressemblait à un festin tentant et irrésistible.

Devant cette scène, Yue Wuhuan revoyait les moments de banquet dans l’illusion précédente. Incapable de contrôler ses pensées sordides, il se retrouva dans une situation inconfortable. Il tenta de s’éloigner, mais les jambes de Song Qingshi appuyèrent par mégarde sur lui, le maintenant en place.

« Maître, ne touchez pas… c’est sale… »

Craignant que Song Qingshi ne se réveille et ne découvre son état, Yue Wuhuan n’osa pas le repousser violemment. Il ne put que murmurer une prière désespérée, tourmenté au point de presque craquer. Incapable de trouver un exutoire, il ferma les yeux et compta uniquement sur son gu de « verrouillage des émotions » pour résister…

À force de lutter, il parvint enfin à tenir jusqu’au lever du jour.

Quand l’aube arriva, il observa Song Qingshi retirer lentement ses bras et jambes, rouler tranquillement de l’autre côté, et se rendormir dans sa propre couverture, exactement dans la même position qu’au début de la nuit, immobile comme une statue.

Yue Wuhuan, les coins des yeux tressaillant, comprit avec une grande clarté d’où venait la confiance inébranlable de Song Qingshi en sa soi-disant « immobilité parfaite pendant le sommeil ». C’était tout simplement parce qu’il n’en avait aucun souvenir !

Environ une demi-heure plus tard, le jour se leva complètement.

Song Qingshi ouvrit les yeux et, après avoir confirmé qu'il était toujours à la même place qu'au début de la nuit, s'exclama joyeusement : « Tu vois, je t’avais dit que je dormais très calmement, non ? »

Yue Wuhuan, épuisé, le regarda longuement. Il inspira profondément, serra les dents et répondit : « Oui ! »

Le Maître doit toujours avoir raison. Même si le Maître a tort, il faut transformer ce tort en raison !

Song Qingshi, ravi, poursuivit avec enthousiasme : « Demain, je peux encore dormir ici, d’accord ? »

Il pensait que puisque Yue Wuhuan semblait l’accepter, il pouvait continuer à essayer, afin de l’aider à surmonter sa peur du contact physique. Il voulait lui montrer qu’il était possible de dormir à côté d’un homme sans danger, car dans ce monde, il existait encore des hommes bons, sans pensées malsaines, comme lui !

Yue Wuhuan prit une nouvelle grande inspiration, serra encore plus fort les dents et répondit : « D’accord. »

Il semblait que son chemin de cultivation nécessiterait des mises à l’épreuve supplémentaires de sa volonté.

Mais d’abord, direction la salle de bain pour une douche froide.

 

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L’auteur a quelque chose à dire:

Yue Wuhuan : À l’aide ! Que faire si le Maître grimpe dans mon lit tous les soirs ?



 

Traduction: Darkia1030

 

 

 

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