Lord Seventh - Chapitre  76 - La Bataille Finale (Fin)

 

À l'aube, l'ultime confrontation arriva.
Jeshe Urme en était arrivé là. S’il se retirait maintenant, quelle justification pourrait-il donner aux membres de son clan ? Et surtout, quelle justification pourrait-il se donner à lui-même ? Il n’avait tout simplement pas prévu que les gens du Grand Qing parviendraient à capturer des loups blancs… ou qu’ils disposeraient d’une personne aux connaissances si étendues, capable de raviver le plus grand tabou de leur clan.
Une manœuvre ignoble, mais qui avait réussi.

Avant d’attaquer la ville, Jeshe émit un ordre : il alloua un petit escadron de ses cavaliers les plus aguerris pour remonter le long de la rivière Mochizuki. Ils finiraient bien par retrouver le fauteur de troubles.

La boue couvrit la peau des combattants tandis que les Cieux pleuraient des larmes amères.
Un sabre de cavalerie menaçant sa tête, Jing’an se coucha horizontalement sur le dos de son cheval, tout en opposant une résistance inflexible avec sa lance de fer. Son sabre, depuis longtemps tombé au sol, gisait quelque part derrière elle. Ses bras, naturellement moins robustes que ceux d’un homme, peinaient sous la pression de son adversaire. Le sang sur sa lame, lavé par la pluie, ruissela jusqu’à son menton. Elle serra les dents, les mains crispées sur son arme, tremblantes jusqu’à en perdre toute couleur.

Soudain, quelqu’un sembla tomber du ciel. Brandissant l’épée qu’elle avait perdue dans des recoins inconnus, il se retourna pour trancher net celui qui menaçait Jing’an. La pression retomba d’un coup.
Elle soupira de soulagement, inclina sa lance, puis ramassa le sabre de cavalerie désarmé. Ce fut juste à temps pour fracasser le crâne d’un médecin de Vakurah comme si c’était une pastèque, et sa tête éclata avec un craquement avant qu’il ne parte au paradis occidental.

Elle cracha grossièrement une gorgée de sang. Toutes les manières de princesse que les nourrices du palais lui avaient inculquées pendant des années avaient été balayées en quelques jours.
Relevant la tête, elle adressa un signe de reconnaissance au jeune homme aux sourcils épais et aux grands yeux, assez habile pour lui sauver la vie.

Liang Jiuxiao rit sèchement. « Votre Altesse, nous comptons tous sur vous. Même si vous vous battez comme si votre vie en dépendait, tâchez de prendre soin de vous. »

Jing’an ne parla pas fort. Même au cœur d’une armée innombrable, elle usait toujours de cette voix douce et étouffée, sans se soucier de savoir si on l’entendait. Quelqu’un transmettrait le message, de toute façon.
Elle déclara doucement : « L’Empereur a ordonné que, si le général en chef mourait, le général adjoint prît la tête. Si l’adjoint tombait aussi, alors ce serait au colonel, puis au lieutenant, et au pire, au centurion… S’il n’en reste qu’un, tant mieux, il s’en chargera. Tuez-en un, ce n’est pas une perte. Tuez-en deux, c’est un … bénéfice »

Elle s’interrompit deux fois durant sa déclaration, car sa lance s’élança comme vivante, s’enfonçant successivement dans les ventres de deux Vakurah sans qu’elle cligne des yeux.
Liang Jiuxiao se contenta de sourire. « Si vous retournez au palais après avoir combattu hors des murs de la ville, quel homme osera encore vous demander en mariage ? »

Jing’an sourit doucement, et tous deux chevauchèrent côte à côte, comme si dix mille hommes n’auraient su les arrêter. « Si je meurs ici, retournez dire à ce joli petit Jing Beiyuan au visage pâle que cette princesse ne l’aime toujours pas. »

Liang Jiuxiao s’arrêta un instant, puis éclata de rire. « Vous ne le connaissez pas. Le prince n’est pas pâle… Votre Altesse, si je devais mourir ici aussi, je vous demanderais de transmettre un message à mon frère de secte. Dites-lui simplement… que Jiuxiao fut digne en cette vie. »

Elle lui lança un regard fugace, quelque peu confus.

« Ce jour-là, chez le prince, je rêvai de montagnes couvertes de fleurs de pêcher », poursuivit-il. « Il me dit qu’il m’emmènerait parcourir le jianghu à ses côtés. Alors je crois que même si je devais mourir, je serais satisfait. Même si ce n’était qu’un rêve… Et puis, si je tombe ici, je n’aurai pas failli à Seigneur Jiang, et je n’aurai pas honte de revoir Xiao Xue aux Sources Jaunes. »

« Frère de secte ? » Jing’an fronça légèrement les sourcils, arracha la lance du cadavre avec force et en secoua le sang. « Même au seuil de la mort, vous ne cessez de radoter. Vous n’êtes peut-être pas pâle, mais vous êtes naturellement un peu blafard tout de même. »

Il rit sans un bruit.

*

Helian Yi s’inquiéta pour Jing Qi toute la nuit, puis, après le début de la bataille, son cœur se calma enfin. Son soulagement ne venait pas de la certitude que Jing Qi était désormais en sécurité, mais plutôt du fait qu’il allait partager la même situation que lui — un péril sans fin.
Il essuya la pluie et la boue de son visage. Zhou Zishu se tenait à ses côtés, brandissant une épée extrêmement fine et souple, arrêtant une à une les flèches qui volaient dans un rayon de trois chi autour de Helian Yi. C’était la première fois qu’il dégainait son arme en présence d’autres personnes ; contre toute attente, celui que l’on croyait à la fois terrifiant et dévergondé maniait une lame avec une efficacité redoutable.
« Zishu, es-tu toujours inquiet pour ton cadet ? » demanda soudain Helian Yi.
« Nous allons tout donner, alors il ne sert à rien de s’inquiéter pour qui que ce soit. Si tel est le destin, mourir ensemble ne serait pas si terrible. »
Helian Yi demeura silencieux un court instant, puis secoua la tête. « Mourir ? Nous le pouvons, mais la capitale ne le doit pas. Le Grand Qing ne le doit pas. » Il éleva rapidement la voix. « Flancs gauche et droit, faites une percée oblique dans les rangs ennemis ! Armée centrale, dispersez-vous ! Archers, préparez-vous, avec les catapultes derrière ! Une fois que les barbares seront entrés suffisamment profondément, réduisez-les en bouillie ! »
Zhou Zishu fronça les sourcils. « Avec l’armée centrale dispersée, Votre Majesté, retournez en ville pour votre sécurité… »
« Nous avons dit auparavant que les portes devaient être fermées au début de la bataille, » interrompit Helian Yi, « et qu’aucun homme en armes ne serait autorisé à battre en retraite.»
« Mais… »
Helian Yi gloussa. « Si nous n’étions pas là, pour quelle raison l’ennemi s’aventurerait-il aussi profondément ? »
Les stratégies qu’il avait étudiées dans les livres dans son enfance se concrétisaient enfin, même à contretemps.  Peut-être était-il un commandant né, ou peut-être avait-il trop longtemps tout enduré en silence, attendant cette opportunité pour se libérer.
Zhou Zishu cessa rapidement de froncer les sourcils. « Alors, ce subordonné est profondément honoré d’avoir une telle opportunité : rester à vos côtés dans la loyauté envers ce pays jusqu’à la fin. »
La pluie s’était arrêtée à un moment donné, ne laissant derrière elle que quelques roulements de tonnerre étouffé. Le ciel s’éclaircissait mais restait couvert, sans trace du soleil. Dans le froid de la fin de l’automne, la bataille féroce durait déjà depuis une demi-nuit, et elle se poursuivait, interminable… comme si, tant que chaque homme des forces ennemies ne serait pas tombé, personne ne pourrait s’arrêter.
Les flèches fusèrent, puis les pierres vinrent, roulant et engloutissant pas moins de vingt à trente mille élites Vakurah. Helian Yi rugit de toutes ses forces, n’étant plus le prince héritier prudent et réservé de la Cour. « Renvoyez ces barbares chez eux ! »
Des acclamations répondirent de partout ; les corps s’entassaient, rétrécissant de plus en plus la marge de manœuvre des commandants. Les abords entiers de la capitale s’étaient transformés en champ de bataille à ciel ouvert, théâtre d’un massacre.
Soudain, un tumulte lointain s’éleva. Le sourire sur le visage d’Helian Yi se figea. Essuyant grossièrement la pluie de son front, il plissa les yeux pour regarder. Il semblait que quelque chose surgissait derrière les Vakurah, et toute leur cavalerie se mit en déroute. Son esprit engourdi par la fatigue se réveilla aussitôt.
Un agent de Tian Chuang fendit les lignes ennemies et se jeta au pied du cheval d’Helian Yi. « Votre… Votre Majesté, il y a des renforts ! »
Helian Yi demeura interdit, incapable de réagir sur le moment. « Qu’as-tu dit ? »
« C’est l’armée frontalière de Nanjiang, Votre Majesté. J’ai entendu dire que certaines troupes sont menées par le grand chaman de Nanjiang lui-même, et ils ont bloqué la voie de retraite des barbares Vakurah ! »
À cet instant, Helian Yi sut que le dilemme de la capitale venait d’être résolu.
Pourtant, il ne ressentit aucune extase dans son cœur, seulement une certaine incrédulité, comme si tout cela n’était pas réel. Il s’était résolu à mourir, pour qu’on lui annonce soudain qu’il n’en était plus besoin — cette chance lui paraissait irréelle. Abasourdi, le coin de sa bouche se releva lentement et il murmura pour lui-même : « Nous ne nous attendions pas… à ce qu’ils arrivent ici si vite. »

Après des années de guerre acharnée, les deux parties étaient depuis longtemps insupportablement fatiguées. L’arrivée des renforts devint cependant une poussée d’adrénaline dans le cœur des défenseurs du Grand Qing, et les Vakurah ne purent finalement plus contenir leur propre déclin.
Helian Yi observa ce cheval de guerre noir, et l’homme, quelque peu familier mais inconnu, juché dessus. Il réalisa brusquement qu’il ne le reconnaissait plus.
Lorsque Wu Xi croisa son cheval sans s’arrêter, Helian Yi lâcha : « Le cours amont de la rivière Mochizuki. »
L’autre comprit aussitôt, éperonna sa monture et s’élança comme un fou sans se retourner.

*

Jing Qi avait le torse traversé d’une entaille qui laissait entrevoir ses côtes, la chair à nu. Ses vêtements noirs pendaient en lambeaux sur son corps couvert de sang. Comme s’il ne ressentait aucune douleur, il s’appuya contre le tronc d’un arbre mort, son arc déjà bandé dans ses mains. Il ne quittait pas des yeux sa cible avançant avec prudence dans les bois.


Il ajusta lentement la pointe de la flèche, puis la relâcha. Il visait sous un angle extrêmement délicat, et un homme bascula silencieusement en avant. Le Vakurah se mit rapidement à crier dans une langue inintelligible. Jing Qi sut qu’il devait changer de cachette, aussi fit-il un signe aux environs.
Plusieurs silhouettes tout aussi misérables le suivirent prestement dans sa retraite. Il ne restait plus que quelques agents de Tian Chuang, chacun plus tragique que les autres, mais encore bien disciplinés .

Jing Qi ne savait pas combien de sang il avait perdu. La plaie, lavée par la pluie, refusait de se refermer, et à chaque mouvement, le sang continuait de couler. Il avait la sensation qu’il en manquerait bientôt. Ses lèvres, blêmes, tremblaient, son champ de vision s’assombrissait.  Il serra les dents et ordonna d’une voix basse : « Reculez, changez de place.»
Dans cette zone montagneuse minuscule, densément boisée, une autre bagarre faisait rage — plus cruelle, mais aussi plus silencieuse. Les deux camps n’avaient qu’un but : éradiquer l’ennemi jusqu’au dernier. Les agents de Tian Chuang étaient des professionnels de l’assassinat, mais la cavalerie Vakurah, endurcie par une vie dans les prairies sauvages, était plus vive et plus nombreuse.

Ce soir-là, chacun avait une dizaine de vies à son actif. Et ils savaient que pour survivre, il faudrait continuer.
Jing Qi chancela un peu, ressentant soudain — ce que personne d’autre ne pouvait percevoir — le frisson caractéristique de celui dont la lampe vacille, prête à s’éteindre. Un agent tendit la main pour le soutenir. « Prince. »
Jing Qi s’appuya sur son bras, ne le repoussant qu’après avoir rassemblé un peu de force. Redressant la tête, il scruta longuement les environs, jusqu’à distinguer nettement la silhouette devant lui. Il se mordait la lèvre, mais la douleur était déjà engourdie, incapable de stimuler davantage sa psyché.
« Prince, n’en faites pas trop », dit l’agent qui l’aidait. « Si vous ne pouvez pas marcher, alors nous non plus. Nous avons assez fait payer ces chiens. Mourons en leur en prenant encore ! »
… Il ne lui restait plus qu’un bras.

Jing Qi ferma les yeux et sourit doucement. « C’est vrai… tu as raison. Nous en avons assez fait. »

Qu’y avait-il de si terrible dans la mort ? Il était « mort » depuis trois cents ans et considérait depuis longtemps le Pont de Naihe comme sa propre cour. Aussi, il sourit. «Quand nous arriverons au Pont de Naihe, je vous amènerai tous pour voir à quoi ressemble le Rocher des Trois Vies. Meng Po et moi sommes amis. Peut-être qu’elle me donnera encore un peu de visage et vous offrira à tous une boisson qui réchauffera vos corps… »

Les agents crurent qu’il plaisantait, et ils sourirent tous en conséquence.

Le son des jurons et des sabots Vakurah se rapprochèrent. Jing Qi sortit sa dernière flèche et l’enfila. Sa main tremblait si fort qu’elle en glissa presque, et il pensa : la mort n’est rien de terrible, mais je ne reverrai plus jamais cette petite toxine dans cette vie… alors comment pourrai-je jamais le rembourser ?

Il semblait insouciant, s’attardant parmi les fleurs, mais en réalité, il n’était pas habitué à exprimer ses sentiments de quelque manière que ce soit. À l’époque où il aimait Helian Yi, il accomplissait en silence d’innombrables actions et endossait beaucoup de blâme à sa place, tout en conservant en apparence sa réserve habituelle. À voir, on aurait cru que c’était Helian Yi qui faisait davantage pour maintenir leur lien. Tout au plus, cela se résumait à «t’avoir dans mon cœur » de son vivant, et « t’attendre au Pont » après sa mort.

Peut-être que Wu Xi croyait qu’il gardait ses distances. Si ce n’était que cela, pourquoi ne retourna-t-il jamais dans ce bordel après ce que l’autre avait dit ? Pourquoi décida-t-il de l’expulser de la ville au moment opportun ? Pourquoi, en le faisant quitter la ville, avait-il envisagé de se soumettre à lui, ne serait-ce que pour garder une chance de retour ?

Seulement, ce peu de marge qu’il s’était laissé s’avérait inutile… Jing Qi sourit amèrement. S’il l’avait su plus tôt, il l’aurait simplement pris de force ce jour-là, afin de n’avoir aucun regret lorsqu’il descendrait seul la route des Sources Jaunes.

Les pas des Vakurah se rapprochaient de plus en plus. Il se dit qu’en tout cas, il fréquentait le Pont depuis si longtemps. Attendre quelqu’un d’autre cette fois-ci… ce serait toujours de l’attente, n’est-ce pas ? Ce ne serait pas plus de soixante ou soixante-dix ans…

Il leva la main, les yeux braqués sur un point, et décocha sa dernière flèche. Le Vakurah visé fut pris au dépourvu et tomba de son coursier. Le cheval de guerre poursuivit sa charge furieuse, alors que lui-même n’avait même plus la force d’esquiver d’un pas de côté.

Un souffle de bruit parvint à ses oreilles, mais il le perçut comme lointain. Même les paroles de l’agent à ses côtés lui semblèrent indistinctes et floues. L’arc long qu’il tenait tomba au sol, et un léger sourire se dessina sur ses lèvres…

En un éclair, une main se tendit et souleva tout son corps. À l’instant où il chancela, un sabre s’abattit. Le cheval de guerre continuant à galoper s’effondra brusquement au sol, sa tête décapitée projetée sur le côté. Jing Qi crut halluciner, mais la chaleur de la main tremblante dans la sienne était bien réelle.

Il pressa un bras contre la poitrine de Wu Xi, leva un doigt avec difficulté et lui toucha le menton en souriant. Ses lèvres bougèrent faiblement, aucun son ne sortit, mais il eut la sensation de murmurer quelque chose comme : « Ah, c’est toi… »

Peu après, son champ de vision devint entièrement noir, et l’agitation du monde des mortels s’éloigna progressivement de lui.

*

La bataille finale de la défense s’acheva pleinement grâce à l’arrivée des renforts de Nanjiang ; les Vakurah furent enfin vaincus. Jeshe Urme reçut une blessure à la poitrine par une flèche perdue ; nul ne savait s’il était mort ou vivant, mais cela n’importait plus aux yeux de la majorité. La façon dont la paix serait négociée, les traités conclus, serait désormais laissée aux fonctionnaires civils et à l’empereur — pièce par pièce, plus tard.

Tous les survivants étaient occupés à traiter les cadavres et soigner les blessés. Ensuite, dans une joie engourdie, il ne resta plus qu’un vide dans leur tête.

Sans se soucier de son propre état lamentable ni de ses blessures, Zhou Zishu demanda un cheval, puis se dirigea droit vers la Porte de la Tortue Noire. Le cœur battant de plus en plus fort, il faillit faire irruption tête baissée dans la tente de la princesse Jing’an. Heureusement, il s’arrêta net, retint ses émotions avec force, puis parla depuis l’extérieur : « Votre Altesse la princesse, ce subordonné Zhou Zishu… »

Avant qu’il ne puisse terminer, une voix féminine, douce et agréable, lui répondit depuis l’intérieur. « Vous pouvez entrer. »

Il hésita un instant, puis entra. La princesse Jing'an, Feng Xiaoshu, avait déjà retiré son armure. Bien que les vêtements qu'elle portât fussent en ordre, des bandages dépassaient au creux de son décolleté, son teint était légèrement pâle, et ses cheveux détachés retombaient sur ses épaules. Plusieurs femmes, semblables à des servantes du palais, l’essuyaient lentement à l’aide de mouchoirs. Avec son visage naturel révélé, peu importait le regard qu’on portait sur elle : elle était simplement une jeune femme belle et douce.

Elle leva les yeux vers lui. « Es-tu venu chercher un petit frère nommé Liang Jiuxiao ? Tu es son frère de secte, n’est-ce pas ? »

« Oui, » répondit-il aussitôt. « S’il vous plaît, Votre Altesse, dites-moi... »

« Vous n’avez pas besoin de le chercher, » le coupa-t-elle. « Il m’a confié quelques mots pour vous. Il a dit que ce jour-là, dans le domaine du Prince, il rêva d’une montagne remplie de fleurs de pêchers, et que vous lui disiez que vous l’emmèneriez parcourir le jianghu ensemble. Alors, il se sentait satisfait, même dans la mort. À présent qu’il a péri sur le champ de bataille, il estime ne pas avoir failli à Seigneur Jiang, et pense pouvoir rencontrer honorablement Xiao Xue aux Sources Jaunes, ce qui en vaut la peine. »

Il la dévisagea en silence. À cet instant, alors qu’elle contemplait cet homme — le masque de peau humaine qu’il portait était trempé par endroits sous la pluie, le rendant à la fois effrayant et pathétique — elle détourna les yeux et ne regarda que ses prunelles, sachant que son visage était faux. Elle se dit qu’il était vraiment mort.

Malgré l’indifférence qui paraissait sur son visage, elle baissa les yeux malgré elle, ne désirant plus croiser son regard.

Fleurs de pêchers…
Jiuxiao… Liang Jiuxiao…

(NT : jeu de symboles entre fleurs de pêchers, symbole du monde immortel, et Jiuxiao (‘neuf cieux’, lieu mythique inatteignable))

*

Helian Yi fut renvoyé de force au palais par quelqu’un, puis encerclé par une troupe de médecins impériaux. Après un désordre de remèdes et de bandages, il demeura agité et finit par s’impatienter. Il chassa tout le monde et ne laissa qu’un seul ordre : si quelqu’un du côté du Grand Chaman de Nanjiang s’approchait, qu’on le lui signale immédiatement.

Il attendit depuis l’après-midi jusqu’à la tombée de la nuit, mais celui qu’il attendait ne vint pas. Helian Yi refusa de dormir, peu importait les efforts de persuasion de Yu Kui. Il resta debout toute la nuit. Lorsque l’aube se leva, il fut complètement incapable de tenir debout et se coucha de côté, à moitié conscient. Longtemps, il ne connut que des rêves confus, avant d’être tiré de son sommeil par quelque chose d’inconnu, le cœur battant à tout rompre.

Tout ce qu’il vit, ce fut Yu Kui entrer précipitamment, franchissant trois pas en deux. «Votre Majesté, le Grand Chaman est revenu ! »

« Invite-le, vite ! »

Helian Yi se redressa automatiquement lorsque Wu Xi entra, les yeux fixés dans les siens. Wu Xi s’arrêta. Sans un mot, il glissa lentement la main dans son vêtement. Le regard d’Helian Yi se posa sur sa main, et sa respiration se suspendit un instant.

L’autre sortit un petit morceau de tissu éclaboussé de sang et le déposa devant lui.

Helian Yi resta hébété un moment, et ce ne fut qu’après un instant que son âme lui revint. Lentement, il tendit la main et prit le tissu, le serrant dans sa paume. « Où est-il ? » demanda-t-il, d’une voix rauque.

Wu Xi secoua silencieusement la tête.

« Nous… voulons le voir s’il est vivant, son cadavre s’il est mort ! Quelqu’un ! Venez ici ! »

Sentant qu’il n’avait plus rien à lui dire, Wu Xi se retourna et quitta la pièce, au milieu du chaos des médecins impériaux et des préposés.

*

Trois mois plus tard, les négociations entre Nanjiang et le Grand Qing prirent fin. Le premier fut formellement déchu de son statut de vassal du second. Wu Xi conduisit ses guerriers hors de la capitale ; lorsqu’il arriva, il était à cheval, mais lorsqu’il repartit, il prit une voiture.
Cette voiture venait d’être achetée à la capitale. Son intérieur était véritablement somptueux, avec des coussins moelleux tout autour, et un grand espace. Au milieu, se trouvait une petite table sur laquelle reposaient tout le nécessaire : un brûle-parfum, du thé et des fruits.
Pourtant, la cabine ne contenait que deux personnes.
Wu Xi tenait un livre, demeurant parfaitement silencieux. Sans le mouvement occasionnel des pages tournées, on aurait pu le prendre pour une statue. L’autre personne, au teint encore pâle, devait la plupart du temps rester allongée. À cet instant, il parvenait à peine à s’asseoir, ce qui l’agaçait profondément. Après s’être agité de long en large, il s’ennuyait toujours ; aussi imagina-t-il mille façons de taquiner Wu Xi par ses paroles.
« Où as-tu trouvé un cadavre capable de tromper l’Empereur en lui faisant croire que c’était le mien ? » demanda-t-il.
Les paupières de Wu Xi ne se levèrent pas, comme si ses paroles étaient de l’air.
Une fois encore, sa tentative d’engager la conversation échoua ; Jing Qi se sentit un peu frustré. Il savait que la petite toxine nourrissait de la rancune, mais il ne souhaitait pas qu’il se vengeât ainsi. Trois mois s’étaient écoulés — trois mois complets — durant lesquels il avait guéri ses blessures et pris soin de ses besoins quotidiens, sans jamais lui adresser un mot.
Il voulut alors se lever. Le mouvement tira sur sa blessure, la douleur le fit froncer les sourcils. Cela n’avait pas été un grand problème au début, mais soudain ses yeux roulèrent vers l’arrière, il couvrit sa poitrine de manière théâtrale et ses épaules se voûtèrent, comme s’il souffrait terriblement.
Cette fois, Wu Xi réagit un peu. Retirant sa main, il examina la zone blessée et ne trouva rien d’anormal, se rasseyant ensuite.

Jing Qi attrapa rapidement son poignet. « Je te le dis, petite toxine, as-tu fini ou quoi ? Et si tu me disais ce que je puis faire pour te calmer ? Tu dois ouvrir un chemin pour que je puisse descendre. »
Wu Xi retira patiemment ses doigts un par un, puis se rassit tranquillement, sans même lui jeter un coup d’œil.
Le pari de simuler la souffrance pour tromper l’ennemi… était complètement raté.
Jing Qi se rallongea avec un plouf, roula encore des yeux et se creusa la cervelle pour un nouveau plan.
À un endroit qu’il ne pouvait voir, le coin de la bouche de Wu Xi se releva légèrement — cela ne faisait que trois mois. Pourquoi être si anxieux ?
Prince, tu as une dette à payer. Tu as promis de toute façon… une vie entière.

 

Fin de l’histoire principale.



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Note de l’auteur :
Oh mon dieu, c’est tellement irréel… Ce roman, commencé en juin par à-coups, vraiment écrit à partir de juillet, et terminé dès septembre… 😵 Salut à tous ! Demain, un épilogue, et puis congé pour le 1er octobre !!!



 

Traducteur: Darkia1030

 

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