Lord Seventh - Chapitre 40 - Le printemps arrive dans la cité impériale

 

Le printemps souffla doucement sur la ville impériale, apportant un air encore mordant, mais qui reculait peu à peu. Le temps printanier alternait brusquement entre chaleur et froid, comme s’il dansait dans un mouvement d’avance et de retrait.

Jing Qi sortit de la salle du trône, le visage impassible, et monta dans son palanquin pour rentrer directement à son domaine.

Il calcula intérieurement qu’il en avait peut-être un peu trop fait. Il était resté discret toutes ces années, si bien que la majorité des justiciables ne voyait en lui qu’un riche oisif. Pourtant, depuis que Jiang Zheng avait causé des troubles, ses actions, qu’elles soient ouvertes ou cachées, avaient été loin d’être insignifiantes. Avec l’incident des Guang, ceux qui observaient attentivement avaient d’autant plus vu clair en lui.

(NT : Jian Sheng est le Censeur en chef qui avait nié les problèmes dans la région Guan, voir chapitre 21)

On disait que le roi Zhuang de Chu (NT : un roi de la dynastie Zhou) avait prononcé ces mots: « Lorsqu’il voulut enfin chanter, sa première chanson étonna le monde. » S’ils s’appliquaient à lui, cela serait loin d’être un compliment.

Le torrent finirait par se retirer un jour. Jing Qi renvoya ses serviteurs et s’assit seul dans son bureau un long moment, jouant inconsciemment avec l’anneau de jadéite suspendu à son cou, cadeau de Wu Xi. Il se demanda si, d’après les paroles d’Helian Pei, le moment n’était pas venu de se retirer. Ce royaume appartenait, après tout, à la famille Helian. Certaines choses pouvaient servir à attiser les flammes, mais se mêler au spectacle n’était pas nécessaire.

« Où est Ping An ? Ping An ! » s’écria-t-il soudainement.

Une voix lui répondit depuis l’extérieur, et Ping An entra précipitamment. « Maître. »

Jing Qi réfléchit un instant. « Lorsque le prince héritier s’est marié, je n’étais pas dans la capitale et je n’ai pas pu assister à la cérémonie. J’ai pourtant toujours été proche de lui, et il a pris soin de nous ces dernières années. Maintenant que j’y repense, ne pas m’être rendu auprès de lui me semble finalement peu approprié. »

Ping An, surpris, comprit aussitôt le sens caché de ses paroles. Son visage se décomposa. «Maître, même si vous étiez absent de la capitale, cela ne signifie pas que nous, vos serviteurs, avons négligé cet événement. Les cadeaux de mariage de Son Altesse ont été envoyés il y a longtemps, et lorsque nous les avons préparés, je vous ai demandé de les vérifier… De plus, vous pourriez toujours vous rendre en personne au Palais de l’Est pour lui présenter vos excuses avec sincérité. »

Jing Qi, amusé, le taquina volontairement. « Y aller en personne ? Si mes mains sont vides, ne dira-t-on pas encore que ce prince manque de sincérité ? »

« Comment pourriez-vous manquer de sincérité ? » répliqua Ping An aussitôt. « Aucun présent ne saurait être plus précieux que votre visite en personne, Maître. »

« J’ai une conscience assez claire de ma valeur pour savoir que je ne suis pas si important », répondit Jing Qi sur un ton léger.

Voyant Ping An froncer les sourcils, il se crispa intérieurement, mais tendit tout de même la main pour lui appuyer fermement entre les sourcils. « Notre domaine manquerait-il d’argent ? Ce n’est qu’un cadeau supplémentaire pour le prince héritier, une courtoisie en plus que personne ne trouvera excessive. On dirait que tu es sur le point de mettre en gage des planches de cercueil. Arrête de dire des bêtises et fais ce que tu as à faire », le gronda-t-il.

Le domaine ne comptait pas beaucoup de monde. Jing Qi était né dans une famille noble, et tant que ses dépenses n’étaient pas extravagantes, il n’avait pas besoin de les justifier. Bien qu’il aimât s’amuser et savait en profiter, il le faisait toujours avec modération et dans des cadres définis. La majorité des fonds du domaine était consacrée à l’entretien des relations et aux pots-de-vin.

Ping An était en proie à une détresse intérieure. Celui qui n’avait pas besoin de gagner d’argent était aussi celui qui ne savait pas comment le dépenser à bon escient. Pourtant, il ne pouvait rien y faire. Il marmonna donc pour lui-même en s’éloignant.

Sans perdre de temps, Jing Qi se dirigea vers le Palais de l’Est.

*

Normalement, ceux qui venaient de se marier arboraient un visage rayonnant. Pour une raison quelconque, cependant, Son Altesse le prince héritier paraissait hagard, plus épuisé encore que Jing Qi, qui venait tout juste de rentrer dans la capitale et courait déjà partout sans même avoir eu le temps de boire une gorgée d’eau. Ce ne fut que lorsque Helian Yi le vit arriver qu’une lueur éclaira enfin son visage. Il l’attira à lui pour l’observer de près, avant de soupirer longuement.

« Tu as maigri. »

Sans attendre que Jing Qi ne réponde, il s’adressa aux serviteurs présents. « Allez voir si le repas médicinal est prêt et demandez à ce qu’on en serve un bol pour le Prince. »

Jing Qi agita vivement la main. « Ne fais pas ça, non. Je ne supporte pas ce goût. »

Helian Yi ignora totalement sa protestation et poursuivit, sans se soucier de lui. « Ton voyage s’est-il bien passé ? J’ai entendu dire que de fortes chutes de neige étaient tombées cette année-là. As-tu eu froid ? »

Son regard était brûlant, et il oublia même de lâcher le poignet de Jing Qi. Était-ce par oubli, ou bien parce qu’il était ému ?

D’un léger toussotement, Jing Qi recula d’un demi-pas et retira sa main, feignant l’insouciance.

« Qu’est-ce que tout cela signifie ? Liao Zhendong m’a traité comme un prince, me fournissant bonne nourriture et excellentes boissons. Craignant que je ne gèle, il est même allé jusqu’à faire ériger un auvent de plusieurs li de long pour m’attendre. Ma vie y était bien plus confortable qu’elle ne l’a jamais été dans la capitale. »

Pendant un bref instant, il crut déceler quelque chose de caché dans l’expression d’Helian Yi, mais il refusa de s’y attarder davantage.

Une fois qu’on avait été mordu par un serpent, on craignait les cordes pendant dix ans. (NT : proverbe chinois qui signifie que, après avoir vécu une expérience traumatisante ou négative, on développe une peur ou une méfiance excessive envers des situations similaires, même si elles ne présentent plus de danger réel. )

Parfois, la douleur était insidieuse et la peur restait tapie sous la surface. Plus il y réfléchissait, plus il se sentait effrayé et n’aspirait qu’à s’éloigner d’au moins huit zhang.

On disait que, dans un pays lointain, il existait une espèce d’animal appelée éléphant—immense, doté d’une longue trompe et possédant la force de trente mille chats. S’il était enchaîné à un simple pieu de bois dès son plus jeune âge, alors, même des années plus tard, une fois devenu assez puissant pour déraciner un arbre, il serait toujours incapable de se libérer de ce minuscule piquet.

Jing Qi savait mieux que quiconque qu’on ne pouvait aller contre son instinct, et Helian Yi était parfois son pieu.

Le teint du prince héritier s’assombrit imperceptiblement. Il lâcha enfin son poignet, puis s’assit et sirota son thé comme si de rien n’était.

« J’ai entendu dire que tu venais à peine de rentrer et que tu avais déjà fait ton rapport au Père Empereur. Comment se fait-il que tu ne sois pas allé te reposer un moment, au lieu de te précipiter chez moi ? »

« J’ai un cadeau pour toi, Votre Altesse », déclara Jing Qi avec un sourire. « J’avais peur que tu ne puisses plus le recevoir si j’attendais davantage. »

Helian Yi aperçut le coffre que l’on avait fait transporter derrière lui et comprit aussitôt ce que représentait ce « cadeau ». Baissant légèrement les cils, il esquissa un sourire, sans se presser de répondre. D’un geste de la main, il fit signe à tous les serviteurs de se retirer avant de reprendre la parole.

« Se pourrait-il que tu aies obtenu des informations privilégiées sur Helian Zhao ? »

Jing Qi pesa soigneusement ses mots en relatant toute la série d’événements survenus lors de sa visite aux deux Guang. Puis, il ouvrit la boîte, révélant une couche d’œuvres calligraphiques, de peintures, de pinceaux, de pierres à encre et d’autres objets similaires. Comme il avait un œil affûté, tout ce qui était destiné au Palais de l’Est était de première qualité.

En temps ordinaire, Helian Yi appréciait manipuler ces babioles, mais à cet instant, il n’en avait aucune envie. Il observa son interlocuteur disposer avec désinvolture ces œuvres d’art, pourtant magistralement conçues et obtenues avec acharnement, sur le sol, comme s’il montait un étal de marché. Ce ne fut qu’alors qu’il remarqua que le fond du coffre était rempli de livres reliés par des cordes.

Helian Yi se leva, tendit la main et saisit un volume qu’il ouvrit nonchalamment. Plus il lisait, plus son expression se figea, jusqu’à ce qu’il prenne rapidement un autre livre et en feuillette les pages. Ses yeux, d’ordinaire impassibles, s’écarquillèrent.

« Où… Où as-tu obtenu cela ? » demanda-t-il d’une voix étouffée.

« À l’intérieur, se trouvent les archives de toutes les transactions illégales qui ont eu lieu entre les marchands, Liao Zhendong et les notables de Guang au fil des années, avec de nombreux registres prouvant qu’il a vendu des postes officiels et des titres de noblesse », répondit Jing Qi avec un sourire. « C’est Li Yannian qui a consigné chacun de leurs échanges, car il a suivi Liao Zhendong ces dernières années. Quant au reste… ce sont ses contacts avec d’autres personnes à la Cour. Cette collection remonte à l’époque où son intendant, ne supportant plus la torture, m’a discrètement indiqué une pièce cachée à fouiller. »

Sentant immédiatement qu’il y avait là quelque chose d’anormal, Helian Yi leva les yeux vers lui, le front plissé. « Tu as secrètement pratiqué la torture en interrogeant le condamné? »

Le Grand Qing interdisait formellement les méthodes cruelles depuis sa fondation, à moins qu’elles ne soient expressément approuvées par le ministère de la Justice. Même un Envoyé Impérial de l’Empereur ne pouvait juger une affaire ni administrer de châtiments sans autorisation. Pratiquer la torture en privé était tout simplement hors de question.

Jing Qi sourit et répondit d’une voix basse : « Personne ne saura. »

… Tous ceux qui savaient étaient déjà morts.

Le visage d’Helian Yi se rembrunit légèrement. Il fixa Jing Qi un long moment, puis poussa un soupir. « Beiyuan, tu ne devrais pas… faire ce genre de choses. »

Jing Qi sourit à nouveau et murmura, insistant : « Je suis prêt à travailler comme un chien courant pour toi, Votre Altesse. Je te demande seulement de ne pas oublier mes atouts à l’avenir. »

Helian Yi l’observa un instant, son regard chargé d’un poids indéfinissable, comme s’il était légèrement déçu. Puis, d’un geste de la main, il coupa court à la conversation. « Ce qui est fait est fait, passons à autre chose. Mais toi… sois prudent, quoi qu’il en soit. »

Jing Qi se dirigea rapidement vers la sortie. « Bien. Merci pour tes conseils, prince héritier. Je ne troublerai plus ton repos. »

Voyant le visage pâle d’Helian Yi, il cessa de parler et s’inclina avant de se retirer.

Alors qu’il s’apprêtait à franchir la porte, une voix résonna derrière lui. « Tu as même refusé de te reposer une nuit et tu t’es précipité ici. Père Empereur t’a-t-il dit quelque chose? »

Jing Qi s’arrêta net.

En vérité, faire rapport à l’Empereur dès son retour d’une mission aussi importante était tout à fait normal. Cependant, en dehors de cette obligation, il était imprudent de chercher immédiatement à entrer en contact avec quiconque, de peur que l’on ne soupçonne des agendas cachés. Par exemple, même s’il en avait le droit, Helian Zhao n’aurait jamais osé venir directement le voir pour lui offrir des présents dans la précipitation. En revanche, le prince héritier, en tant que responsable du ministère des Nominations, pouvait parfaitement le recevoir plus tard sans que cela ne paraisse suspect.

Il avait fait un voyage anxieux jusqu’au Palais de l’Est en personne ; en plus de la raison officielle, il voulait également signaler clairement aux autres que sa loyauté appartenait au parti du prince héritier.

C’était une chose implicitement admise, mais Helian Yi la souligna brusquement, sans prévenir. Jing Qi resta figé sur place, stupéfait. « Que veux-tu dire, Votre Altesse ? »

Helian Yi ne daigna pas le regarder et répondit simplement, d’une voix calme et énigmatique : « Ne t’inquiète pas, d’accord ? »

Se sentir soulagé ? Ne pas s’inquiéter de quoi ? De Helian Pei, de Helian Zhao… ou de Helian Yi lui-même ?

Amusé en secret, Jing Qi choisit de jouer les idiots. « Ça va, Votre Altesse ? En quoi ce sujet prêterait-il à l’inquiétude ? »

Sur ces mots, il ne s’attarda pas davantage et quitta le Palais de l’Est après un dernier salut.

Derrière lui, les flammes des bougies vacillèrent doucement. Un épuisement profond, à la fois physique et mental, s’abattit brusquement sur Helian Yi.

Lorsque Helian Zhao comprit que Jing Qi l’avait trompé, il sut immédiatement que tout ce qui n’était pas sur sa table était tombé entre les mains du prince héritier. Après un instant de panique, il réalisa une chose : désormais, il était véritablement sur le même bateau que lui. Intérieurement, il laissa libre cours à sa fureur, réduisant mentalement Jing Qi en miettes des centaines de fois.

Chaque année, il abattait des oies, mais cette fois-ci, une oie lui avait picoré les yeux. Contre toute attente, Jing Beiyuan, sous ses airs de disciple naïf, s’avérait être un intrigant de premier ordre, capable d’anticiper chaque mouvement de ses adversaires.

Ce vieil homme assis sur le trône du dragon ferait mieux de rester en vie. Sinon…

Si le complot de rébellion venait à aboutir, les registres d’Helian Yi ne seraient plus que de vieux papiers bons à jeter.

*

De son côté, Jing Qi s’entretenait avec Wu Xi.

« Dans ce royaume, il y a toujours un moyen d’attirer Helian l’Aîné en lui offrant des avantages. Mais on ne peut pas donner ce que l’on ne possède pas. Puisque je ne pouvais pas l’attirer par le profit, j’ai dû le contraindre à s’asseoir sur le même tabouret que moi… En parlant de ça, je devrais remercier Helian Qi. »

Wu Xi avait pris l’habitude de se présenter quotidiennement au Domaine du Prince à une heure fixe, mais, dernièrement, il s’y rendait avec encore plus d’assiduité. Il avait même acheté un ensemble complet de livres – depuis les classiques pour enfants, comme Le Livre des Trois Caractères, jusqu’aux Quatre Livres et Cinq Classiques. Chaque jour, il venait embêter Jing Qi en lui demandant des explications.

Jing Qi adorait donner des leçons et Wu Xi l’écoutait avec ferveur ; au fil du temps, ils finirent par ressembler à un maître et son élève. Jing Qi plaisanta même un jour en disant que Wu Xi devrait lui montrer une piété filiale et payer pour ses cours particuliers.

Contre toute attente, dès le lendemain, Wu Xi s’informa discrètement sur les tarifs des tuteurs de langue et lui versa une somme considérable. Le prince Nanning, qui venait de gagner de l’argent pour la première fois, ne sut pas trop comment réagir.

Ashinlae, qui n’avait pas sa langue dans sa poche, commençait à s’impatienter.

Le Chamanet n’a-t-il pas dit qu’il l’aimait ? Alors pourquoi ne fait-il rien ?

Avec l’énergie d’un eunuque impérial plus inquiet que l’Empereur lui-même, il interrogea Wu Xi à voix basse : « Chamanet, vous et le Prince passez tout votre temps ensemble… Mais quand acceptera-t-il de retourner à Nanjiang avec vous ? »

Les yeux de Wu Xi restèrent fixés sur son livre, mais il cessa soudainement de tourner les pages. « Je ne lui ai pas encore parlé. »

« Pourquoi pas ? » s’alarma Ashinlae. « Avez-vous peur qu’il refuse ? »

Wu Xi hocha d’abord la tête, puis la secoua. « Même s’il acceptait, je n’en ai pas encore les capacités. Comment pourrais-je l’inquiéter une fois de plus si un incident survenait ? Il vaut mieux que je m’entraîne d’abord et que je renforce mes compétences. Ainsi, un jour, je pourrai le protéger. »

Ashinlae réfléchit un instant, puis tenta une autre approche. « Alors… que ferez-vous s’il ne vous aime pas ? »

Wu Xi resta interdit un long moment avant de répondre : « Je le traiterai bien. Il finira par le savoir. »

Sans ajouter un mot de plus, il se détourna et retourna dans le bureau, laissant derrière lui un Ashinlae désespéré, se tirant les cheveux de frustration.

 

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L’auteur a quelque chose à dire :

Camarade Wu Xi, crois-tu vraiment que de bonnes intentions suffisent à ouvrir le poing qui serre une pierre dorée ?

 

Traducteur: Darkia1030