Lord Seventh - Chapitre 39 – Hésitation
Wu Xi n’était pas un homme particulièrement bavard. La plupart du temps, il écoutait tandis que les autres parlaient. Qu’il absorbe réellement ou non ce qu’il entendait, ses réponses se résumaient souvent à de brèves questions, des hochements de tête ou de simples acquiescements. Cependant, après l’avoir côtoyé longtemps, Jing Qi découvrit que son expression variait selon qu’il écoutait attentivement ou qu’il se montrait indifférent.
Lorsque les autres s’adonnaient à des discours absurdes, les yeux de Wu Xi se baissaient légèrement, immobiles, ses paupières à moitié closes, rendant même ses hochements de tête imprécis. En revanche, quand il prêtait une oreille sérieuse à quelqu’un, son regard se fixait directement sur lui, comme s’il hésitait à cligner des yeux.
Chaque fois qu’il se retrouvait face à ces yeux perçants, Jing Qi ne pouvait s’empêcher de parler un peu plus.
Quand on passait son temps à côtoyer des personnes aux pensées alambiquées et aux émotions troubles, puis que l’on était soudain confronté à quelque chose de simple et de pur, on se laissait facilement attendrir. C’est pourquoi Jing Qi faisait toujours preuve d’une patience inhabituelle envers les enfants et les petits animaux. Quel dommage que, malgré toutes ses réincarnations, il n’ait jamais eu de descendance.
Parfois, il éprouvait soudainement le désir d’avoir un fils comme Wu Xi, qui ouvrait ses grands yeux noirs pour l’inciter silencieusement à poursuivre chaque fois qu’il parlait. Un enfant qui, en toute circonstance, gardait son esprit concentré, distinguait avec clarté le bien du mal et n’hésitait jamais sans raison.
‘Que le vent souffle et que les vagues s’abattent, moi, je resterai inébranlable. ’
(NT : inspiré d’une célèbre citation du moine bouddhiste Huineng (638-713) : ‘Le vent souffle sans fin, mais la montagne reste immobile’. Exprime la résilience et la stabilité intérieure face aux épreuves )
Ne possédant rien de tout cela, Jing Qi se disait que les gens comme Wu Xi étaient sans doute les plus chanceux : même s’ils pouvaient connaître la fatigue, ils ne s’épuisaient jamais.
Parce qu’ils s’accrochaient fermement à quelques principes clairs, ils ne se laissaient pas troubler, ne regrettaient rien et ne se retrouvaient jamais paralysés par l’indécision.
Malgré son envie, il savait que quelque chose qui était par nature innée ne s’apprenait pas.
Jing Qi raconta quelques anecdotes amusantes de son voyage, conversant avec Wu Xi, Ji Xiang, Ashinlae, Nuahar, Liang Jiuxiao et les autres qui l’accompagnaient.
« Qui est-ce ? » demanda calmement Liang Jiuxiao à Ji Xiang. « Il ne ressemble pas à quelqu’un de notre Grand Qing. »
« C’est le Chamanet de Nanjiang, il vit à côté de notre domaine et nous rend souvent visite. »
Les yeux de Liang Jiuxiao brillèrent d’intérêt, et il ne put s’empêcher d’éprouver un frisson d’impatience. « C’est lui, le Chamanet ? N’est-ce pas celui dont tu as dit qu’il excellait en arts martiaux ? »
« Le jeune maître Zhou en a également fait l’éloge autrefois », répondit Ji Xiang avec un sourire. « Il est doué dans bien d’autres domaines. D’ailleurs, ces flacons de remèdes précieux que le prince gardait sous la main, c’est aussi lui qui les a confectionnés. »
En entendant le nom de son frère aîné de secte, Zhou Zishu, Liang Jiuxiao eut une réaction immédiate : son regard s’illumina comme s’il venait de recevoir une injection de sang de poulet. Il trépignait déjà d’impatience à l’idée de mesurer ses compétences à celles de Wu Xi. Mais lorsqu’il entendit la fin de la phrase, il ne put s’empêcher d’être surpris. « Oh… Tu parles de cette drogue qui m’a terrassé dès que j’en ai touché un peu ? »
Tous deux suivaient de près le groupe en murmurant, mais Wu Xi avait une ouïe exceptionnelle. D’abord indifférent, il tourna soudainement la tête en fronçant légèrement les sourcils. « Qui est cette personne ? »
« Le jeune frère de secte de Zhou Zishu. Il m’a beaucoup aidé… Oh, c’est vrai. Ji Xiang, lorsque j’entrerai plus tard au palais, tu n’auras pas besoin de me suivre. Ramène le jeune maître Liang, veille à ce qu’il soit reçu convenablement, puis envoie quelqu’un inviter le jeune maître Zhou à venir lui parler. »
Ji Xiang hocha la tête et acquiesça.
Wu Xi n’était pas encore sûr. « Y avait-il un endroit peu clair dans les modes d’emploi que j’ai écrits pour toi, pour que tu lui fasses du mal par erreur ? »
Jing Qi secoua la tête et éclata de rire. Le visage de Liang Jiuxiao devint complètement rouge, mais c’était un homme simple. Avant que Jing Qi ne puisse parler, il expliqua la situation en bégayant, jetant des coups d’œil furtifs dans sa direction pendant qu’il parlait. Voyant que l’autre ne prenait cela que comme une plaisanterie, sans la moindre trace de mauvaise humeur, il déclara alors d’une voix forte :
« Quoi qu’il en soit, le prince est un grand bienfaiteur pour le peuple des deux Guang, ainsi que pour moi. Je t’ai offensé, mais tu ne t’es pas fâché, car tu es vraiment un homme bon. S’il y a une mission que je peux accomplir plus tard, alors moi, Liang Jiuxiao, je ne reculerai pas, même si ma tête doit tomber au sol et mon sang jaillir vers le ciel ! »
Nuahar et Ashinlae en restèrent bouche bée. Ils regardèrent ce frère qui parlait sans retenue, puis Wu Xi, ressentant une certaine admiration. Il avait osé avouer qu’il avait tenté… tenté d’assassiner la future épouse du Chamanet, et cela en face de lui. Vraiment, incroyablement courageux.
« Toi ? Si déjà tu ne me causes pas d’ennuis, ce sera bien suffisant. Tu es un champion des échecs et un perdant de génie, alors comment pourrais-je oser compter sur toi ? » le taquina joyeusement Jing Qi.
Cependant, Wu Xi plissa les yeux vers Liang Jiuxiao, son visage impassible. Si le regard qu’il avait en écoutant Jing Qi pouvait être comparé à celui d’une petite zibeline gloutonne, celui-ci ressemblait plutôt à celui d’une vipère sifflante. Un frisson parcourut Liang Jiuxiao. Nanjiang était vraiment une terre de barbares… Ce type était si étrange qu’un simple regard de lui suffisait à le mettre mal à l’aise pendant longtemps.
Wu Xi s’accrocha à Jing Qi. « Est-ce qu’il t’a fait du mal ? »
Avant que Jing Qi ne puisse s’exprimer, Liang Jiuxiao s’écria instinctivement : « Comment le pourrais-je ? Si j’avais blessé le Prince, n’aurais-je pas dû m’excuser en offrant ma propre vie ? »
En voyant le visage de Wu Xi, Jing Qi comprit qu’il était un peu contrarié. Craignant qu’il ne commence à argumenter sur le fait que Liang Jiuxiao était une sorte de méchant, il éclata alors de rire. « C’était un malentendu, juste un combat. J’ai pu expérimenter les arts du changement de visage du Héros Liang, donc ça en valait la peine. »
C’était la vérité. Zhou Zishu était encore plus habile, capable de modifier son apparence comme une lanterne de carrousel, mais il se transformait rarement en femme. Et quand il le faisait, ce n’était que pour prendre l’apparence de villageoises hagardes. Contrairement à ce type qui, lui, avait fait preuve d’originalité en devenant une grande beauté. Comme on le savait, même si le changement de visage semblait divin en théorie, il n’était pas sans défauts. Pour cette raison, les experts évitaient généralement de se maquiller de façon trop extravagante, de peur de paraître artificiels.
« S’il n’y avait pas eu cette beauté un peu trop grande et robuste, je n’aurais probablement pas pu remarquer que quelque chose clochait », taquina Jing Qi.
Tout se serait bien passé s’il n’avait pas ajouté cela.
Wu Xi n’était pas du genre déraisonnable. Maintenant que le malentendu était dissipé et que personne n’avait réellement été blessé, il aurait pu laisser couler. Mais en entendant ces mots, il sentit soudain que le sourire idiot de cet homme lui était insupportable.
Il s’était déguisé en femme, puis s’était rendu seul, en pleine nuit, dans la chambre de Jing Qi…
Très bien. Parfait.
Par conséquent, cette nuit-là, Liang Jiuxiao faillit vomir et perdit presque la moitié de sa vie. Le lendemain, une éruption cutanée couvrit tout son corps et ne s’atténua pas pendant plusieurs mois.
Même Zhou Zishu, vieux sage du jianghu, ne put déterminer ce qui était arrivé à son frère de secte et conclut simplement qu’il était inadapté.
Quoi qu’il en soit, Jing Qi retourna au domaine par le même chemin que Wu Xi, se changea à la hâte, puis se rendit au palais.
L’eunuque junior Wang Wu l’accueillit avec un large sourire. « L’Empereur vous invite à entrer, Prince. »
Jing Qi s’avança vers lui, rayonnant, et sortit une grosse pochette de sa manche avant de la lui tendre. « Merci pour votre peine, eunuque Wang. Nous ne nous sommes pas vus depuis plus de six mois. L’Empereur est en bonne santé, et l’eunuque Xi Ning vieillit… Tu as dû avoir beaucoup de travail, hein ? »
Wang Wu s’empressa de nier avec déférence. « Servir l’Empereur est une aubaine que cet esclave a cultivée au cours de plusieurs vies. Comment pourrais-je prétendre que c’est du travail ? L’Empereur vient tout juste de se réveiller de sa sieste et se sent plein d’énergie. Il parlait justement de vous, Prince, et vous voilà qui arrivez ; n’est-ce pas une coïncidence ? »
Jing Qi échangea quelques plaisanteries avec lui, puis, tout en le suivant vers l’intérieur, l’entendit murmurer discrètement à son oreille. « Le remède maison que vous avez demandé au Chamanet la dernière fois s’est révélé très efficace, Prince. Ma vieille mère en a pris deux doses, et ses jambes se sont un peu raffermies… Je vous remercie pour votre grande bonté et votre vertu, Prince… »
Il ravala la fin de sa phrase. Le palais était un endroit sensible, truffé d’oreilles indiscrètes, et certains mots devaient être compris sans être prononcés.
Bien que le corps de Wang Wu fût incomplet, il restait un fils profondément filial. Sa mère souffrait de graves problèmes aux jambes, et au printemps dernier, une chute l’avait laissée complètement paralysée. Pendant ce temps, Wang Wu servait toujours au palais, forcé d’endurer cette douleur juste sous le nez de l’Empereur. Incapable de gérer les deux côtés, il s’angoissa au point d’en renverser du thé brûlant par négligence et se fit réprimander par Helian Pei. Jing Qi, témoin de la scène, s’enquit de la situation en privé et demanda ensuite à Wu Xi de lui procurer un remède, qui, à sa grande satisfaction, fonctionna réellement.
Jing Qi sourit. « Ce n’était qu’un simple geste, » affirma-t-il d’un ton léger.
Un simple geste échangé contre une profonde gratitude—pourquoi pas ? Les vents et les vagues du monde étaient faciles à éviter, mais les gouffres cachés qui faisaient chavirer les navires étaient bien plus nombreux. Ce qui facilitait la vie des autres facilitait aussi la sienne.
Wang Wu soupira. « L’Empereur est de très bonne humeur ces derniers temps. La Deuxième Altesse a ramené d’on ne sait où des créatures étranges, et cet esclave n’en avait jamais vu de pareilles. Cet acte de piété filiale a beaucoup diverti l’Empereur. »
Les yeux en forme de fleur de pêcher de Jing Qi se plissèrent légèrement, mais il ne ralentit pas sa démarche, se contentant de hocher la tête. Wang Wu l’avertissait clairement… Helian Qi passait beaucoup de temps auprès de l’Empereur ces derniers temps. De toute évidence, il savait aussi très bien comment flatter ses goûts.
Helian Pei se montra particulièrement affectueux à sa vue, l’appelant à ses côtés, le scrutant de haut en bas, d’abord pour dire qu’il avait grandi, puis pour s’exclamer qu’il était devenu plus mince, soupirant et gémissant sans cesse. En revanche, il n’écouta son rapport sur l’incident des deux Guang que d’une oreille distraite, avant de le traîner dans des bavardages insignifiants, ponctués de soupirs mélancoliques.
« Si nous avions su que tu serais absent une année entière comme cela, nous ne t’aurions pas envoyé dans ce coin perdu où vents glacés et tempêtes de neige se déchaînent en même temps. Mon enfant, nous savons sans qu’on nous le dise que tout cela a été orchestré par Cui Yingshu et sa bande de gens à la peau dure. Tu t’es précipité là-bas pour chercher l’excitation, n’est-ce pas ? »
Jing Qi toucha son nez et se contenta de sourire.
« Tu es un homme né dans l’opulence. À la lumière de ce que nous venons de dire, nous ne te demandons pas d’accomplir de grands exploits. Tout comme Mingzhe (NT : pour rappel, le père de Jing Qi)… être sain et sauf toute sa vie, c’est déjà bien. Il n’y a qu’une chose : tu ne dois pas hériter de son incapacité à lâcher prise », l’éduqua Helian Pei.
Le cœur de Jing Qi bondit. Prudemment, il leva la tête pour observer l’homme, mais celui-ci ne portait qu’un doux sourire, sans expression particulière. Il comprit aussitôt qu’Helian Qi avait dû parler en rond, lui plantant des couteaux cachés tout au long de cette période. L’esprit en ébullition, il prit un air offensé, releva sa manche et s’approcha d’Helian Pei d’une manière amicale, semblable à celle de son enfance. « En parlant de cela, regardez donc, Votre Majesté. »
Helian Pei baissa les yeux et aperçut une croûte sombre, d’une taille remarquable, sur son bras mince et hâlé. « Oh ? Comment t’es-tu fait ça ? »
« C’est une brûlure. »
« Quel esclave a perdu la vie pour avoir osé te brûler ainsi le bras ? » demanda Helian Pei avec inquiétude. « As-tu déjà consulté un médecin impérial ? »
Jing Qi agita la main et abaissa sa manche.
« J’ai demandé à un médecin local d’y jeter un coup d’œil. Ce n’est rien ; il a dit que ça ne laisserait pas de cicatrice, et c’est même presque guéri. Je ne voulais pas vous accabler de ce détail, mais quand vous avez dit cela tout à l’heure, je n’ai pas pu retenir ce léger grief que j’ai traîné tout au long du voyage… Cette brûlure, c’est moi qui me la suis infligée. Tout le monde disait que les Guang étaient une région chaude, mais après une forte chute de neige, le froid y est soudainement tombé. Par imprudence, j’ai gardé un brasero portable contre moi toute la journée, et, l’instant où j’ai baissé ma garde, je me suis brûlé. »
« Hé, regarde-toi ! » L’homme tendit la main et lui donna une tape sur le front. « Quel âge as-tu ? Et tu comptais ne rien dire ? Ah, vous autres enfants… Nous vous avons tous vus grandir, et dès que vous vous éloignez un peu, il faut que vous trouviez le moyen de vous faire remarquer. »
Jing Qi répliqua d’un ton faussement lésé : « À l’époque, j’ai regretté de ne pas être resté bien au chaud dans la capitale, au lieu de m’exiler dans une contrée si lointaine. Mais je me suis dit que tout le monde y était déjà allé, et que si ces affaires n’étaient pas réglées, je n’aurais plus aucun honneur pour affronter mes compatriotes. Alors, je me suis forcé à le faire. »
« Tu n’as toujours pas de visage pour les affronter ? Quel opéra chantes-tu donc ? » plaisanta Helian Pei.
Jing Qi fit la moue. « Là-bas, un instant, j’ai pensé devoir plaider en faveur de l’oncle royal et du prince mon père ; puis, l’instant d’après, je me dis que, plus tard, je ne me laisserais plus jamais manipuler, ni entraîner dans des intrigues ou des troubles. Cela semblait simple, mais en réalité, c’était une véritable torture. La prochaine fois, même si on me bat à mort, je n’irai pas. »
Helian Pei parut surpris, comme s’il se rappelait soudain que c’était sous l’insistance d’Helian Qi que Jing Qi s’était rendu aux Guang. D’un coup, il se retrouva sans mots.
Jing Qi, lui, fit semblant de ne rien remarquer et continua de raconter quelques anecdotes intéressantes sur son voyage avant de prendre congé.
Silencieusement, il laissa échapper un soupir de soulagement. La marque sur son bras datait d’avant son départ. Avant de se présenter à l’Empereur, une idée lui était soudain venue : par précaution, il avait demandé à Liang Jiuxiao d’utiliser des techniques de modification faciale pour lui créer une fausse blessure sur le bras, suffisamment réaliste pour tromper l’œil de n’importe qui.
Contre toute attente, son inquiétude s’était avérée fondée.
Effectivement, tenir compagnie à son souverain revenait à côtoyer un tigre. Dans la famille impériale, il n’existait ni père ni fils, alors que dire d’un fils adoptif sans légitimité…
Il se remémora brusquement qu’au cours de sa vie précédente, Helian Pei n’avait jamais semblé avoir de problèmes avec lui. À cette époque, toute son âme était tournée vers Helian Yi, comme si rien d’autre au monde ne comptait en dehors de cette personne. C’était peut-être précisément pour cette raison qu’Helian Pei s’était senti parfaitement à l’aise.
Dans cette vie… tout était bien trop délicat, et il s’en était fallu de peu pour qu’il tombe dans un piège.
Traducteur: Darkia1030
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