Green Plum island - Chapitre 28 – Petit démon

 

« Yu Mian, n’aie pas peur. Je voulais juste te parler. »
Fu Wei resta à distance, sentant probablement que mon trouble trahissait son apparition.
« Je partirai après avoir fini », ajouta-t-il d’un ton doux.

« Qu’est-ce que tu veux dire ? » demandai-je en scrutant la couleur de sa jauge d’humeur. Elle n’était ni particulièrement basse ni menaçante. Il n’était manifestement pas venu avec de mauvaises intentions, alors je me détendis peu à peu et me calmai.

Fu Wei ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. C’était comme s’il avait tant de choses à dire qu’il ne savait par où commencer.

« Je suis désolé pour ce que Chen Anna t’a dit à la librairie, la dernière fois. Tout a commencé à cause de moi, c’était ma faute. Et nous sommes partis si précipitamment que je n’ai pas pu m’excuser correctement auprès du propriétaire. Si tu le peux, transmets-lui mes excuses. »
Pendant qu’il parlait, la couleur de son humeur vira lentement au bleu. Ses excuses étaient au moins sincères.

« C’est tout ? » demandai-je, un brin sec. Pour être honnête, ses excuses m’importaient peu. Je n’avais de toute façon aucune intention de raviver notre amitié.

« Encore une chose. »
Fu Wei se mordit la lèvre, puis fit soudain un pas en avant et dit avec une certaine ferveur : « Au lycée, les… commérages sur le fait que tu étais gay… Je ne pensais pas que ça dégénérerait autant. Quand tu m’as soudainement dit ces choses, j’ai été stupéfait, et je me suis tourné vers un autre ami pour obtenir des conseils. Je ne savais pas qu’il le dirait à tout le monde…

« Je suis désolé. Peux-tu me pardonner ? »

Je le regardai calmement. « Te pardonner… » À ces mots, ses yeux s’illuminèrent. Mais je poursuivis : « Et puis quoi ? »

Il se dégonfla aussitôt, comprenant que je ne lui avais pas réellement pardonné.
« Et puis… » répondit-il avec hésitation, « peut-être, peut-être qu’on pourrait recommencer ? »

J’eus l’impression qu’il avait regardé trop de dramas d’idoles pendant les vacances. Quel genre de relation avions-nous eu, au juste, pour pouvoir “recommencer” ?

« Fu Wei, j’ai dit que je voulais essayer quelque chose avec toi parce que je pensais que tu m’aimais bien. Mais maintenant, nous savons tous les deux que ce n’était pas le cas. C’était un malentendu. »
Il sembla vouloir dire quelque chose, mais je ne lui en laissai pas l’occasion et insistai, d’une voix plus ferme : « D’accord. Tu t’es expliqué, je me suis expliqué. Je pense que l’air est dégagé entre nous désormais. »

Fu Wei fronça les sourcils et protesta : « Yu Mian, en fait je… »

Mais quoi qu’il ait voulu dire, cela resta coincé dans sa gorge. J’attendis, lui laissant largement le temps de réfléchir. Ses poings étaient fermement serrés ; il semblait lutter intérieurement. Je ne comprenais pas pourquoi il semblait aussi accablé par tout cela.

Au bout d’une dizaine de secondes, son agitation intérieure se dissipa. Tout son corps se relâcha, ses épaules s’affaissèrent. « … En fait, je t’ai toujours considéré comme mon meilleur ami. »

J’acquiesçai d’un signe de tête. « Qu’est-ce que tu as dit juste avant ? » lui demandai-je.

Il marqua une pause, visiblement perdu, puis répondit après un court silence : « Pouvons-nous recommencer ? »

Je lui souris. « Non. »

Ma réponse le prit complètement par surprise. Abasourdi, il prononça mon nom, s’avança vers moi et insista avec un ton suppliant, espérant me faire changer d’avis.

Je pensai que grand-père pouvait rentrer d’un instant à l’autre. C’était une rue déserte, presque jamais fréquentée. Grand-mère pouvait aussi passer au coin avec son chien. Je ne voulais pas qu’un proche me voie en train de batailler ici, bras dessus bras dessous avec un autre homme, ou que Fu Wei me pousse à faire mon coming out une fois de plus.

« Yu Mian… »
Fu Wei attrapa ma main. Je la retirai d’un mouvement sec.

« Fu Wei, je te pardonne, d’accord ? Mais je ne veux plus être ton ami. Alors toi et Chen Anna, pouvez-vous me laisser tranquille désormais ? »
À cet instant, une chose essentielle me revint brusquement à l’esprit : « Comment m’as-tu même retrouvé ici ? »

Il se figea, et ses yeux évitèrent les miens. « Je… »

Le voir ainsi fit courir mon imagination. Je le regardai, soupçonneux. « Ne me dis pas que tu as engagé un détective privé pour me suivre ? »

« Bien sûr que non ! » s’exclama-t-il. « Je… Je te suis juste sur les réseaux sociaux, alors je savais que tu passais du temps sur l’île. Et j’ai comparé les photos que tu postais avec la librairie que tu mentionnes souvent pour te situer. Quant à l’endroit où tu vis… c’est pareil.»

Super.

Il y avait tant de choses que j’aurais voulu lui dire, mais à la vue de son visage, toute envie de parler m’abandonna.
Finalement, tout ce que je trouvai à dire fut : « Ne fais plus ça. »

Rien que la pensée qu’une paire d’yeux utilisât mon compte de réseau social pour m’espionner, analyser tous mes mouvements, agrandir toutes mes photos me terrifiait. La raison pour laquelle j’avais commencé à socialiser exclusivement en ligne — ne me faisant des amis qu’en ligne pour commencer — était d’éviter Fu Wei et sa clique. Mais, clairement, à la fin, je ne pouvais toujours leur échapper.

Fu Wei me vit m’énerver et s’empressa d’expliquer : « Non, je ne te traquais pas. Je voulais juste te trouver, mais tu m’avais bloqué partout, donc je n’avais pas le choix… »

Pendant qu’il parlait, il continua de tirer sur ma main, et ma patience commença à s’épuiser. Qu’est-ce qui n’allait pas avec cette personne ? Ce n’était pas comme si nous étions des enfants. Ne finirait-il pas par abandonner jusqu’à ce que je lui dise que, oui, nous pouvions redevenir amis ?

Il m’attira, et je le repoussai. Nous répétons ce mouvement plusieurs fois, jusqu’à ce que notre altercation dégénéra quasiment en bagarre.

Pan !

Un bruit soudain éclata, nous effrayant Fu Wei et moi. Il me repoussa brusquement et tourna le regard dans la direction du bruit.
Sous la faible lueur d’un réverbère, Yan Kongshan retira sa main d’un portail en fer, nous observant également. Une de ses mains se trouvait pendue le long de son corps, les bouts de ses doigts légèrement rougis. Il avait dû sortir fumer une cigarette lorsqu’il nous vit tâtonner ensemble pour comprendre ce qui se passait. Le bruit que nous avions entendu provenait de la fermeture de sa porte.

« Ce doit être notre troisième ou quatrième rencontre, » déclara Yan Kongshan, les yeux fixés sur Fu Wei, tout en marchant lentement vers nous.
« Je ne veux pas qu’il y en ait un cinquième, » ajouta-t-il, sa voix profonde et inquiétante, donnant à Fu Wei un sentiment de malaise. Je ne pensais pas que Fu Wei avait réalisé à quel point nous vivions en si grande proximité.

Fu Wei regarda Yan Kongshan, fit inconsciemment un pas en arrière. Puis, soudain, une pensée le frappa comme un éclair et le ramena à la raison. Il se retourna pour me fixer, stupéfait. « Yu Mian, est-ce que tu aimes… »

À cet instant, il me vint à l’esprit que, s’il lisait tous mes messages sur les réseaux sociaux à propos de ma vie amoureuse, il savait que j’avais récemment commencé à craquer pour quelqu’un de plus âgé que moi. Compte tenu de son QI et de la manière dont il me connaissait, il ne lui était certainement pas difficile d’en faire toutes les connexions.

Tout se passa en un éclair — j’imaginais que c’était l’instinct de base face au danger. Dès que je réalisai ce que Fu Wei était sur le point de dire, je pressai une main contre son visage pour l’en empêcher et le traînai par le col jusqu’à la porte derrière nous.

Un bruit retentit alors que son corps heurta violemment la porte en métal ; au loin, Yan Kongshan s’immobilisa.
« Si tu dis un mot de plus, je vais dire à ta mère comment ton père te payait pour l’aider à le couvrir quand il sortait avec sa maîtresse, » crachai-je d’un ton bas.

À travers les interstices de mes doigts, je vis l’étonnement traverser le visage de Fu Wei. Je compris que, pour lui, je n’étais plus le même. J’étais devenu un démon portant le visage de Yu Mian.

 

Traducteur: Darkia1030