Faraway wanderers - Chapitre 63 – La veille

 

 

Un éclair déchira la nuit de fin de printemps début d’été, alors que ni étoiles ni lune n’étaient visibles.
La pluie froide commença à tomber, lavant d’un coup toutes les fleurs qui avaient fleuri en ce mois d’avril.

Le toit de la vieille auberge fuyait, et dans la chambre, seule une faible flamme vacillante éclairait un homme en rouge. Son visage sérieux et sombre contrastait avec son geste lent et minutieux, jouant avec la mèche de la lampe. Cet homme n’était autre que Sun Ding.

Soudain, une brise légère entra par la fenêtre, faisant légèrement trembler la flamme. Sun Ding se tendit, levant les yeux pour fixer le Scorpion vêtu de noir qui venait d’entrer. Il resta silencieux, attendant le message que l’homme apportait.
Le Scorpion en noir sortit un bout de papier de sa poche et le tendit à Sun Ding. Ce dernier le parcourut rapidement du regard avant de le brûler à la flamme de la lampe. Un sourire sanglant se dessina sur son visage, rendant sa demi-face cicatrisée encore plus terrifiante. Il remonta lentement sa manche, révélant une main devenue violette, qu’il agita dans les airs comme pour saisir quelque chose, avant d’écraser cette chose imaginaire entre ses doigts.

Sans un mot, le Scorpion reçut l’ordre silencieux, se retourna et disparut par la fenêtre.

Les deux hommes venaient de jouer une scène muette, comme des marionnettes sans voix.

Sun Ding leva légèrement la tête, affichant une expression satisfaite, murmurant à lui-même : « Xue Fang, tu t’es enfin… dévoilé. »
Il serra sa cape autour de lui, ressemblant à une chauve-souris avec son sourire dément, puis quitta la pièce. Il avait lutté contre Xue Fang pendant huit ans. Combien d’autres huit ans lui restaient-il dans cette vie ? Il était temps de changer de maître à la montagne Fengya. Une fois Xue Fang éliminé et l’Armure de verre en sa possession, Sun Ding croyait fermement que personne ne pourrait plus se dresser contre lui.

Plus aucune règle hypocrite ni aucun ordre ne l’empêcheraient de quitter cette vallée hantée. Les concepts de bien et de mal dans ce monde n’avaient aucune importance, tout n’était qu’une affaire de vainqueur et de vaincu.

Xue Fang avait enfin montré ses cartes et serait bientôt piégé sans échappatoire.

*

Pendant ce temps, dans un coin discret de la rue des plaisirs de Luoyang, le chef des Scorpions, vêtu de noir, jouait distraitement avec des pièces de jeu de go blanches et noires, les séparant et les mélangeant tour à tour. Un sourire énigmatique s’étira lentement sur son visage.

Zhou Zishu et son groupe s’étaient installés dans une auberge, attendant Seigneur Septième et le Grand Chamane. Alors qu’ils étaient dans le manoir des marionnettes à Shu, insouciants et perdus entre rêve et réalité, la situation dans le monde des arts martiaux chinois était passée d’une tension palpable à un chaos incontrôlable.

Les cinq grandes familles s’étaient déjà disloquées, leurs anciennes gloires ensevelies sous la poussière des tombes, ne laissant que deux survivants : Gao Chong et Zhao Jing.

Alors que Gao Chong complotait avec Xue Fang, le fantôme pendu, pour éliminer son dernier obstacle, Zhao Jing, son complot fut enfin révélé, provoquant un choc dans tout le monde des arts martiaux.

Soudain, tout devint clair pour tous : la connaissance exacte de la position de chaque pièce de l’Armure de verre, la découverte des faiblesses de chacun, le vol aisé de la pièce de la famille Zhao, la manipulation des héros sous la coupe de Gao Chong, le vol de la pièce de Shen Shen et les crimes de vol cachés derrière une façade… À part le maître du Mont Shanhe, qui d’autre aurait pu orchestrer tout cela ?

Trompés depuis le début, les héros comprirent enfin la vérité, avec un mélange de ressentiment amer et d’étonnement. Gao Chong mourut en riant, semblant avoir sombré dans la folie. Xue Fang fut blessé et disparut, tandis que Zhao Jing, grièvement blessé, perdit l’Armure.

Des rumeurs commencèrent alors à circuler : Qiu Feng, le chef du mont Hua, aurait comploté avec Gao Chong lors d’une réunion nocturne avant de se rendre à la maison de Shen. Le fils de Qiu Feng, Yu Tianjie, aurait fui la résidence Zhao la nuit où l’Armure disparut. Au début, tout le monde pensait qu’il avait été tué par Xue Fang, mais le corps retrouvé n’avait pas de tête. Et en y repensant, qui avait vraiment confirmé que le cadavre était bien celui de Yu Tianjie ?

Toutes ces énigmes tordues n’avaient-elles pas, finalement, leur explication toute tracée ?

 

Deng Kuan était mort, et Gao Xiaolian avait disparu sans laisser de trace. Il semblait que la maison Gao avait tout prévu, car tout le monde s'était dispersé comme des oiseaux affolés, et la disparition de Yu Qiufeng restait un mystère. Le pire des scénarios était que les cinq pièces de l’Armure de verre soient désormais entre les mains des démons. L’arsenal d’il y a trente ans allait bientôt être ouvert, et la technique folle du "Liuhé" était sur le point de refaire surface.

Le monde des arts martiaux du Centre de la Chine entrait dans ses heures les plus sombres.

La septième nuit passée à l'auberge, il était déjà un peu après minuit. Zhou Zishu, enfin un peu reposé, incapable de dormir, prit un pot de vin et une vieille tasse ébréchée, et s’installa sur le toit pour boire, une gorgée après l’autre.


Gu Xiang, assise dans la petite cour, leva les yeux vers le ciel avec un air un peu perdu, tournant le dos à Zhou Zishu. Malgré ses talents martiaux, elle ne remarqua pas sa présence sur le toit.
Il était rare qu’elle soit silencieuse ; elle était là, la tête appuyée sur ses mains, les jambes étendues, jouant distraitement avec un brin d'herbe. Sa posture évoquait vraiment l’idée poétique de « ces étoiles d’aujourd'hui ne sont pas celles d’hier, pour qui me tiens-je debout sous cette brise nocturne ? ». (NT : du poème 绮怀 (Qǐ Huái – nostalgie étoilée) de Huang Jing Ren)

Wen Kexing sortit de sa chambre, regardant le dos de Gu Xiang. Il poussa un soupir, semblant éprouver une certaine nostalgie, comme s’il voyait une fille de sa propre famille grandir. Lentement, il sortit, jeta un coup d'œil à Zhou Zishu sur le toit, puis s'assit tranquillement à côté de Gu Xiang.

Gu Xiang tourna la tête vers lui et, sans grande énergie, murmura :
« Maître. »
Wen Kexing esquissa un sourire, un sourire qui, cette fois, était dénué de cette insolence habituelle et avait presque un soupçon de tendresse. Il demanda doucement :
« Quoi, tu t'es disputée avec ce cher lettré Cao ? Il t’a énervée ? »
Gu Xiang, toujours aussi molle, répondit :
« Il n’oserait pas. Je le castrerais, ce salaud. »

Wen Kexing se mit à réfléchir à sa manière de l'éduquer. Une belle jeune femme, bien proportionnée, et voilà qu’il en avait fait cette créature ! Il bâilla et tapota légèrement la tête de Gu Xiang avant de demander :
« Alors, qu’est-ce qui ne va pas ? Pourquoi ne dors tu pas au milieu de la nuit ? Qu’est-ce qui te rend si mélancolique ? »
Gu Xiang lui lança un regard fatigué, soutenant sa tête entre ses mains, sans dire un mot.

Wen Kexing poussa un léger soupir, lui tapotant encore la tête.
« Dis-moi, pourquoi te balades tu partout à sauver des gens comme ce crétin de Cao Weining ? Depuis quand fais tu de bonnes actions ? Tu as peur que les vieux maîtres de l’École de l’Épée de Qingfeng n’acceptent pas que Cao Weining te prenne comme épouse ? »

Gu Xiang baissa les yeux, et comme une petite fille, elle mordilla sa lèvre sans parler, tout en grattant le sol avec son doigt.

Elle n’avait pas peur des capacités de combat, ni de son apparence, mais ce qui l’effrayait, c'était son origine.
Même si elle était la plus forte et la plus belle du monde, elle ne pouvait surmonter le fait qu'elle n'avait aucune lignée à revendiquer. Peu importe combien on lui disait qu'elle était une bonne personne, qui la croirait ?
Sous la montagne Fengya, il n'y avait même pas de vrais êtres humains. Comment pouvait-on trouver une « bonne fille » là-bas ? Bébé abandonné, elle avait été trouvée et élevée par le maître fou de la Vallée des Fantômes. Sans père ni mère, elle n’avait vu que des morts ou des meurtres dès l’enfance. Comment aurait-elle pu devenir une « fille de bonne réputation» ?

Même Gu Xiang elle-même était perdue. Elle avait toujours obtenu tout ce qu'elle voulait, parfois par des moyens peu scrupuleux, parfois en étant capricieuse et obstinée. Bien que son caractère puisse être un peu difficile, c'était la première fois qu'elle réalisait qu'elle était une femme qui n'appartenait pas à la lumière du jour.
Une belle-fille laide peut au moins rencontrer ses beaux-parents, mais elle, elle était Zi Sha, la meurtrière pourpre. Elle n'osait même pas y penser.

Gu Xiang réfléchit longuement avant de forcer un sourire et de dire à Wen Kexing :
« Finalement, ton compagnon a bien de la chance. Pas de famille à nourrir, personne à rendre heureux… Eh ! »
Avant qu’elle puisse terminer sa phrase, quelque chose lui tomba sur la tête. Elle leva les yeux pour voir Zhou Zishu la regarder depuis le toit avec un sourire moqueur, sa tasse de vin disparue.

Gu Xiang, frottant sa tête endolorie, se tourna vers Wen Kexing et se plaignit :
« Tu ne vas rien faire pour le contrôler ? »

Zhou Zishu sauta du toit et tapota l'épaule de Wen Kexing avant de lui ordonner :
« Allez, va réchauffer le lit pour ton maître. »

Wen Kexing obéit avec zèle et s’exécuta sans poser de questions. Gu Xiang, les yeux grands ouverts, inspira profondément, ne sachant plus si le monde était à l’envers ou si elle était en plein cauchemar.

Zhou Zishu s'assit à même le sol avec un soupir. « Pourquoi tu te fais du souci pour rien ? Moi, je ne m'en fais même pas. Je pensais avoir encore un an ou deux à vivre, mais à ce qu’il paraît, je n’en ai pas tant que ça. Selon le Grand Chamane, mes méridiens ne supportent plus ma puissance intérieure… Ma maîtrise des arts martiaux est devenue un fardeau. Va savoir quand est-ce que je vais m’effondrer et rejoindre Yama, le Roi des Enfers. »

Gu Xiang le regarda, abasourdie, ne sachant pas quoi dire. Finalement, elle murmura doucement : « T’es vraiment un sacré malchanceux. »

Zhou Zishu ne s’attendait pas à des paroles réconfortantes venant d’elle, mais il ne put s'empêcher de rire à cette réponse. Il secoua la tête : « Eh bien, Gu Xiang, si t’étais pas une gamine, je te cognerais huit fois par jour. »

Gu Xiang déplaça prudemment ses fesses sur le côté, le regardant avec méfiance. Voyant qu'il continuait simplement à boire sans intention de lui faire du mal, elle se détendit un peu. Après réflexion, elle finit par dire avec bonté : « Seigneur Septième a dit que le Grand Chamane pourrait trouver un moyen de te sauver la vie, non ? »

Zhou Zishu garda une gorgée de vin dans sa bouche, la savourant longuement, comme s’il hésitait à l’avaler. Après un moment, il murmura : « C'est difficile. »

Gu Xiang cligna des yeux, fronçant les sourcils, semblant ne pas comprendre. Après un moment, elle donna un petit coup de pied à Zhou Zishu et demanda : « Tu n’as pas envie de vivre ? »

Zhou Zishu la regarda et répliqua : « C'est toi qui n'as pas envie de vivre. »

« Alors pourquoi as-tu… »

Zhou Zishu se mit à sourire.

En voyant cet homme sourire lentement et silencieusement, Gu Xiang ressentit une montée de palpitations et détourna le regard, pensant que les belles femmes apportent des malheurs, mais il semble que les hommes séduisants apportent aussi des malheurs. Zhou Zishu expliqua : «Pour moi, il n'y a que deux chemins dans cette vie : soit vivre pleinement, soit mourir dignement. Pour cela, je peux endurer un moment, mais personne ne peut m'arrêter. »

Il était astucieux, parfois même tendre, mais il pouvait être impitoyable quand il le fallait. Il pouvait être sévère avec les autres comme avec lui-même. Il agissait toujours selon ses désirs, sans jamais hésiter, même s'il devait payer un prix que d'autres jugeraient déraisonnable. Il ne se retournait jamais, ne regrettait jamais rien.
Il se moquait de la vie et se lançait dans la bataille comme si sa vie n'était que celle d'un vagabond.

Zhou Zishu regarda Gu Xiang et dit doucement : « Ma petite, c'est toi qui décides pour toi-même. Les autres n'ont pas leur mot à dire. Tu sembles assez intelligente, alors pourquoi ne comprends-tu pas cette vérité ? »

Gu Xiang écoutait, fascinée. Zhou Zishu vida son pot de vin, le jeta à côté, et retourna dans sa chambre.

À peine avait-il ouvert la porte que, dans l’obscurité, une main se tendit brusquement pour le saisir fermement et fermer la porte. Zhou Zishu ne résista pas et se laissa jeter sur le lit. Il leva lentement les yeux pour croiser le regard de Wen Kexing.


Après un moment de silence, Wen Kexing baissa soudain la tête et l'embrassa avec une passion presque sauvage, comme s'il cherchait à le dévorer. Zhou Zishu, sous l’effet de cette étreinte, poussa Wen Kexing, le fit tomber sur le lit, le surplombant, ses mains de chaque côté de Wen Kexing. Ses cheveux en désordre tombaient sur les épaules de Wen Kexing, ne laissant dans l’obscurité que ses yeux, incroyablement brillants.

Zhou Zishu demanda : « Si je mourais, tu serais perdant ? »

Wen Kexing ne répondit pas immédiatement. Il tourna brusquement la tête et mordit violemment le poignet de Zhou Zishu, comme s’il voulait boire son sang et dévorer sa chair. Zhou Zishu grimace de douleur, mais ne recula pas, laissant Wen Kexing attaquer son poignet. Le sang commença à couler lentement, se répandant sur le drap et le tachant rapidement.

Après un certain temps, les bras de Zhou Zishu commencèrent à trembler, et Wen Kexing ferma les yeux lentement, relâchant sa morsure. Il lécha la plaie qu'il avait infligée, puis s'assit, attirant Zhou Zishu contre lui pour arrêter le saignement, et dit : « Perdant ? Je n'ai jamais autant perdu dans ma vie. »

Zhou Zishu se mit à sourire sans bruit et dit : « Fou. »

Le fou déchira un morceau de tissu de ses propres vêtements pour bander le poignet de Zhou Zishu, puis souleva les draps pour les envelopper tous les deux. Ils restèrent ainsi, immergés dans l'odeur de sang, s'enlaçant pour dormir.

Trois jours plus tard, le Seigneur Septième et le Grand Chamane arrivèrent enfin.

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

 

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