Faraway wanderers - Chapitre 46 - Malchance

 

 

Ces personnes suivirent Ye Baiyi à travers les montagnes, et en tournant encore et encore, ils se retrouvèrent dans une forêt. Dès que Zhou Zishu entra dans cette forêt, sans savoir pourquoi, tout son corps se tendit instinctivement — il ne pouvait pas dire quel genre de mystère cachait cette forêt, mais il ressentait instinctivement une sorte de danger imminent.

Wen Kexing, qui avait été bruyant tout au long du chemin, ferma lui aussi la bouche, et même Ye Baiyi avait l'air grave, avançant prudemment, s'arrêtant souvent.

Seul Zhang Chengling ne comprenait toujours pas ce qui se passait, il se sentait juste secrètement chanceux : il semblait qu'aujourd'hui il pourrait avoir un jour de repos. Son maître tenait son bras d'une main, cette main aux doigts fins et puissants, la chaleur de la paume semblait traverser son épais manteau, lui donnant un sentiment de sécurité particulier. Zhang Chengling se laissait gentiment entraîner par son maître, son cœur s'épanouissant de bonheur.

Ye Baiyi marmonnait sans cesse, s'arrêtant parfois pour tracer des lignes sur le sol avec une petite branche, calculant quelque chose. Au début, Wen Kexing observait avec intérêt, mais il ne fallut pas longtemps avant que sa tête ne devienne comme de la bouillie, confus et désorienté. Il se retira alors en silence, se tenant à côté de Zhou Zishu, et murmura : « Tu ne veux pas aller voir ce qu'il fait ? »

Zhou Zishu, très conscient de ses propres limites, répondit : « Pourquoi devrais-je regarder ? Je ne comprends rien de toute façon. » Mais ensuite, il fronça légèrement les sourcils et baissa encore la voix pour dire à Wen Kexing : « Cela dit... parmi les gens que j'ai envoyés, il y avait des experts en mécanismes et des spécialistes du Qimen Dunjia (NT : ancien art chinois de divination et de stratégie militaire), alors comment se fait-il qu'aucun d'entre eux n'ait pu trouver ce manoir de marionnettes ? »

Wen Kexing demanda distraitement : « Tu n'as pas dit que quelqu'un avait dessiné une carte ?»

Zhou Zishu répondit : « Oui, mais quand il a essayé d'y retourner avec la carte qu'il avait dessinée lui-même en emmenant des gens avec lui, personne n'est revenu. »

Wen Kexing jeta un regard solennel sur le dos de Ye Baiyi accroupi, et murmura encore plus bas : « Si même...ils ont péri ici, penses-tu que ce vieux gourmand soit fiable ? »

Zhou Zishu allait répondre, mais à peine avait-il ouvert la bouche que Ye Baiyi se releva et se tourna vers eux, disant froidement : « La route restante est dangereuse, si vous ne voulez pas mourir, marchez dans mes traces. »

Zhou Zishu renifla et vit que Ye Baiyi le regardait d'un air moqueur, disant avec un sourire en coin : « Experts du Qimen Dunjia? Si le chef est aussi inutile, comment les subordonnés pourraient-ils être autre chose que des bacs à riz ? (NT : idiome soulignant de manière péjorative l’incompétence de quelqu’un)» Cela dit, il se retourna et continua à marcher.

Les trois autres échangèrent des regards étranges — quiconque verrait le vieil expert Ye manger après l'avoir entendu traiter les autres de « bacs à riz» aurait une expression étrange aussi.

Mais étrange ou pas, mis à part Zhang Chengling, les deux adultes connaissaient tous l'importance de la situation et le suivirent immédiatement. Zhang Chengling remarqua que de plus en plus de carcasses d'animaux jonchaient le chemin et se mit à sentir l'endroit devenir de plus en plus sinistre. Après un moment, il vit même quelques squelettes humains, tous avec leurs têtes séparées de leurs corps, terriblement effrayants. Il frissonna et demanda à Zhou Zishu : « Maître, pourquoi la personne que nous cherchons habite-t-elle dans un endroit pareil ? »

Zhou Zishu jeta un coup d'œil à Zhang Chengling et répondit : « Comment pourrais-je le savoir ? Dans une grande forêt, il y a toutes sortes d'oiseaux. »

Zhang Chengling enjamba avec précaution un fémur humain et ne put s'empêcher de demander : « Il vit dans un endroit aussi isolé et a installé tous ces mécanismes, avec des dangers à chaque pas... Et s'il se perdait lui-même en sortant, que ferait-il ? Ce serait comme placer une souricière sous son propre lit, non ? »

Zhou Zishu s'étonna : « Placer une souricière sous son propre lit ? »

Zhang Chengling répondit : « Une fois, quand j'étais petit, il y avait une souris dans ma chambre que je n'arrivais pas à attraper, alors j'ai mis deux pièges à souris sous mon lit et suis allé me coucher. Mais le lendemain matin, j'avais oublié, et en descendant du lit, j'ai marché dessus et me suis cassé le pied. »

En entendant cela, Wen Kexing éclata de rire, et Zhou Zishu poussa un soupir. Voyant que Zhang Chengling était tellement pris par la conversation qu'il manqua de peu de faire un faux pas, il l'attrapa et l'avertit : « Tais-toi et regarde où tu mets les pieds, veux-tu mourir ? »

Zhang Chengling tira la langue, et Zhou Zishu dit d’un ton glacial : « Ne juge pas les autres d’après toi-même. Combien de gens dans ce monde sont aussi stupides que toi ? »

Wen Kexing reprit le sujet et dit doucement à Zhang Chengling : « Si les gens se cachent, c’est souvent pour une raison. Soit parce qu’ils ont l’impression qu’un ennemi veut les tuer, alors ils doivent se terrer dans un endroit où personne ne pourra jamais les trouver… »

Zhou Zishu l’interrompit : « Comme la Vallée des Fantômes, par exemple ? »

Wen Kexing le regarda et dit : « Si tu veux le dire comme ça... ce n’est pas faux. »

Zhou Zishu saisit l’occasion pour demander : « Et le seigneur de la Vallée, qu’a-t-il bien pu faire de si terrible pour provoquer la colère des cieux, au point de devoir se cacher dans la Vallée des Fantômes ? »

Wen Kexing ne prêta aucune attention à cette tentative de le sonder, et répondit effrontément : « Moi ? Je suis naturellement différent des autres. Je n'ai rien fait de spécial et j’y suis entré sans trop savoir pourquoi. Même maintenant, je ne comprends toujours pas comment un homme aussi bon que moi a pu vivre avec une bande de démons pendant tant d'années. C’est vraiment comme sortir d’une boue fangeuse sans être taché, et se tremper dans de l’eau claire sans être démoniaque. »

Zhou Zishu sourit sans rien dire, le prenant complètement pour un idiot.

Wen Kexing soupira alors et dit : « Ah Xu, tu me blesses vraiment trop profondément. — Petit, penses-tu que je sois une bonne personne ? »

Zhang Chengling, qui admirait cet aîné avec un si bon caractère, de grandes compétences en arts martiaux, et qui racontait de bonnes histoires, hocha immédiatement la tête, sans la moindre hésitation, comme s’il pilait de l’ail.

Wen Kexing fut profondément touché, caressant la tête de Zhang Chengling avec émotion et déclara : « Les enfants sont bien les meilleurs. Ils ont du cœur, savent ce qui est juste, et se souviennent de ceux qui les traitent bien. Pas comme certaines personnes… Ah ! »

Zhou Zishu resta silencieux — tous deux avaient été des chefs de groupe, mais alors que Gao Chong dirigeait un groupe de personnes se croyant justes, ou comme lui-même dirigeait un groupe d’assassins et d’espions, ce n’était pas la même chose que d’être le seigneur de la Vallée des Fantômes. Gao Chong n’avait qu’à utiliser les mots « justice sous le ciel » pour que ces gens se piègent eux-mêmes, tandis que les membres de Tian Chuang étaient essentiellement là pour donner leur vie pour lui et pour l’Empereur. Derrière cette organisation se trouvait le lourd poids de l’autorité impériale, et depuis sa création, personne n’avait osé la défier, à part lui-même.

Mais la Vallée des Fantômes était différente, car elle abritait une bande de hors la loi.

Ils étaient comme des insectes venimeux enfermés dans une jarre étroite, où la seule façon de survivre était de se tuer les uns les autres. Dans cet enfer de dix mille âmes de l’ombre, se massacrer les uns les autres était le seul moyen de continuer à survivre. Il n’y avait ni morale, ni justice, seulement la loi du plus fort. Et à la fin, seul celui assez puissant et cruel pour tout dévorer, cette créature qui deviendrait le roi des insectes (NT : allusion à la technique d’obtention des gus, insectes venimeux qui s’entretuent, les survivants devenant de plus de plus toxiques), pouvait revoir la lumière du jour.

Wen Kexing jouait si bien la comédie que même Zhou Zishu, à de nombreuses reprises, se trompait en pensant qu’il n’était qu’un homme ordinaire et bavard.

Wen Kexing poursuivit en parlant à Zhang Chengling : « En dehors de la peur d’être pourchassé, il y a une autre raison pour laquelle quelqu’un pourrait se cacher. C’est la tristesse. Il sait dans son cœur que la personne qu’il désire le plus voir est quelqu’un qu’il ne reverra jamais. Alors il choisit de s’enterrer lui-même ici, et avec le temps, il parvient à se convaincre que si cette personne ne vient pas le chercher, c’est simplement parce qu’elle ne peut pas le trouver non plus. »

Puis, il poussa un léger soupir et continua : « Si jamais ton maître venait à disparaître, je finirais peut-être par me trouver un tel endroit pour me cacher. Sinon, si je devais sortir et voir partout des beautés, mais jamais celle qui me plaît le plus, ne serait-ce pas vraiment trop douloureux ? »

Zhou Zishu plaisanta : « Je pensais que tu allais dire que tu voulais vivre et mourir avec moi. »
Wen Kexing sourit également : « Même si je le disais, tu ne me croirais pas. »

Zhang Chengling intervint alors : « Comme… comme Yu Boya brisant son luth ? »

(NT : Yu Boya était un célèbre joueur de luth, qui avait un ami intime Zhong Ziqi. Ce dernier était le seul à comprendre et à apprécier la profondeur et la beauté de la musique de Yu Boya. Lorsqu’il mourut, Yu Boya brisa son luth en deux de désespoir. Il décida de ne plus jouer de musique, estimant que sans Zhong Ziqi pour l'écouter, il n'avait plus de raison de jouer.)

L'expression des deux hommes se figea un instant. Zhang Chengling les regarda, l'un après l'autre, sans comprendre ce qu'il avait dit de travers. Après un moment, Wen Kexing murmura : « Plus personne au monde ne comprend les montagnes et les rivières, c’est vrai… mais c’est faux aussi. »

Il jeta un coup d'œil à Zhou Zishu, qui détourna son regard. Wen Kexing ne dit plus rien et se contenta de suivre de près Ye Baiyi.

Soudain, Ye Baiyi s'arrêta net. Il se concentra pour écouter, leva la main pour leur signaler de s'arrêter, et murmura d’une voix basse : « Silence. »

La main de Zhou Zishu, qui tenait celle de Zhang Chengling, se resserra brusquement. Puis, ils baissèrent tous la tête en même temps, sentant le sol vibrer sous leurs pieds. Un bourdonnement indéfinissable monta, et Wen Kexing lança immédiatement à Zhou Zishu un regard de désespoir, comme pour dire « Je t’avais dit que cet estomac sur pattes n’était pas fiable, mais tu ne m’as pas cru. » Zhou Zishu n’eut pas le temps de répondre, car l’instant d’après, une force massive jaillit du sol, comme si tout allait se fissurer. La terre trembla et les montagnes se mirent à osciller. Tous bondirent en même temps.

Zhou Zishu, tenant Zhang Chengling, se propulsa sur une branche d'arbre, mais celle-ci se brisa sous leur poids comme si elle était fausse. Ils tombèrent tout droit. Zhou Zishu, pris de panique, fit une rotation en plein air, agrippant le tronc de l’arbre du bout du pied, mais à peine une seconde plus tard, l'arbre s'écroula également avec fracas.

Zhang Chengling, la tête enfouie dans la poitrine de Zhou Zishu, se rappela soudain une phrase apprise de son précepteur dans son enfance : « dépendez de la montagne, et la montagne s'effondrera ; dépendez de l’arbre, et l’arbre tremblera.» C’était donc vrai… si l'on n'écoutait pas les conseils de ses aînés, les misères qu'on souffrirait seraient aussi innombrables que l'argent dépensé sans compter (NT : idiome chinois).

La terre s’effondra sous leurs pieds, comme une bouche immense et sinistre prête à engloutir tout le monde. Zhou Zishu utilisa la force de l’arbre tombé pour se propulser à une dizaine de mètres, où il s’immobilisa enfin. Il n’eut pas le temps de reprendre son souffle que ses sourcils se froncèrent. En un clin d'œil, Wen Kexing et Ye Baiyi avaient disparu !

Puis, soudain, le sol sous ses pieds céda, et il tomba. Zhou Zishu comprit immédiatement pourquoi ils avaient tous disparu. En une fraction de seconde, il ne put que protéger Zhang Chengling dans ses bras. Tout était plongé dans l’obscurité totale. L'endroit où il avait glissé semblait se refermer sur eux.

Il ignorait la profondeur de cette chute et pensa qu’ils allaient certainement se briser en mille morceaux. Il prit une profonde inspiration et frappa de toutes ses forces la paroi rocheuse oblique avec sa paume. L'impact était si puissant que la paroi se creusa, projetant des éclats de pierre et de terre dans toutes les directions. La vitesse de leur chute ralentit considérablement. Zhou Zishu en profita pour donner un léger coup de pied contre la paroi, utilisant son art de la légèreté pour ralentir leur descente.

Il s’immobilisa, comme collé à la paroi, mais il avait surestimé ses capacités. Il avait oublié que ses pouvoirs n’étaient plus ce qu’ils étaient, et en portant un garçon de la taille de Zhang Chengling, son souffle intérieur devint irrégulier et tendu. Juste au moment où il pensa que la situation n’était pas bonne, la paroi, qu'il avait frappée, se mit à trembler de nouveau. Avant qu'il ne puisse réagir, une épée acérée jaillit d'une fissure, manquant de les transpercer tous les deux comme des tanghulus (NT : brochettes de baies d’aubépines sucrées).

Les deux furent effrayés, et Zhou Zishu n'eut d'autre choix que de relâcher la force de ses pieds, continuant leur chute.

Heureusement, ils étaient presque arrivés au fond. Zhou Zishu atterrit sur ses deux pieds et lâcha Zhang Chengling. La petite perle lumineuse qu'il avait utilisée pour s'éclairer lors de leur chute dans la grotte avec Wen Kexing était encore sur lui. Bien que n'émettant qu'une faible lueur, elle suffisait pour lui permettre de voir. Zhou Zishu ne put s'empêcher de se demander pourquoi il semblait avoir tant d'affinités avec les grottes, se demandant s'il était maudit pour être un zokor (NT : Myospalax sp .,  sorte de souris, adaptée à la vie souterraine et creusant des tunnels complexes).

À ce moment-là, Zhang Chengling murmura soudain : « Maître… »

Zhou Zishu lui fit signe de se taire d'un « chut », et dit à voix basse : « Ne fais pas de bruit. »

Zhang Chengling, cependant, était tellement effrayé que sa voix tremblait : « Non… Maître, regarde… »

Cette fois, Zhou Zishu n'eut pas besoin de lui montrer, il le vit lui-même — dans cette salle de pierre étroite et confinée, non loin d'eux, deux yeux brillants les fixaient d’un regard fantomatique.

Zhou Zishu leva la perle lumineuse pour éclairer l'objet, et il put voir ce que c'était — un énorme serpent, aussi épais que la taille d'un homme, qui agitait sa langue fourchue et les regardait férocement.

Les bénédictions sont uniques, et les ennuis ne viennent jamais seuls. Zhou Zishu se lécha les lèvres, ressentant profondément ce que signifiait le proverbe « boire de l'eau froide peut aussi vous casser une dent ». (NT : les choses qui semblent inoffensives ou simples peuvent parfois causer des problèmes ou des accidents.)

Zhang Chengling, d'une manière ou d'une autre, terrifié à l'extrême, se mit à parler sans cesse à l'oreille de Zhou Zishu : « Ma… Maître, j'ai… j'ai entendu dire que les grands serpents bougent extrêmement vite, si rapides que les gens ordinaires ne peuvent pas les éviter. Ils… ils ont probablement de mauvaises dents, et avant de manger quelqu'un, ils doivent d'abord l'écraser… Une… une fois qu'ils s'enroulent autour de quelqu'un, la personne est étouffée à mort, tous ses os sont broyés, ses organes internes sont écrasés en une masse, et il devient un sac de peau vide. Ensuite, le serpent trouve ça plus facile à digérer, et d'une seule bouchée, il avale la personne… »

Zhou Zishu, serrant son épée souple Bayiyi à sa taille, grinça des dents et dit : « Tais-toi ! »

C’est alors que le grand serpent, au milieu des cris de Zhang Chengling appelant ses parents au secours, dressa la tête et se précipita vers eux à toute vitesse.

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

 

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