Faraway wanderers - Chapitre 44 – Sichuan
Dès qu'il vit que c'était Ye Baiyi, le visage de Wen Kexing s'assombrit. Il remarqua que Ye Baiyi fixait le visage de Zhou Zishu sans cligner des yeux, ce qui rendit encore plus sombre le visage de Wen Kexing.
Zhou Zishu, quant à lui, était un peu surpris. Il fit une révérence de loin et dit : « Maître Ye. »
Ye Baiyi le regarda encore un moment avant de dire : « C'est toi ? Tu as l'air tout à fait normal. Pourquoi es-tu toujours affublé de cet accoutrement grotesque ? Les anciens disaient : 'On ne change pas de nom quand on marche, ni de prénom quand on s'assied.' À plus forte raison, la forme que tes parents t'ont donnée à la naissance, tu ne sais donc pas ce que signifie 'être ouvert et franc' ? »
Zhou Zishu leva la tête pour regarder le ciel, comme s'il essayait de réprimer l'envie de transformer Ye Baiyi en crêpe. Après un moment, il baissa la tête et afficha un sourire humble et poli, répondant avec douceur : « Tu as raison, Senior. »
Ye Baiyi hocha la tête avec indifférence et leur dit : « Suivez-moi. »
Wen Kexing trouvait cet ancien complètement déraisonnable et ricana froidement : « Qui êtes-vous ? Est-ce que je vous connais ? »
Ye Baiyi se retourna sans montrer de signes d'émotion particulière. Après un moment de silence, il demanda : « Il y a trente ans, les histoires autour de Rong Xuan, de sa femme Yue Feng'er, et de ce désordre concernant l'armure de verre, vous ne voulez pas en savoir davantage ? »
Wen Kexing, qui s'était déjà retourné pour partir, s'arrêta brusquement, le visage dirigé vers le sol, cachant ses émotions.
Ils restèrent figés ainsi pendant un long moment. Puis Wen Kexing tourna la tête et demanda d'une voix étrange : « Pourquoi voudrions-nous savoir ce qui est arrivé à Rong Xuan et à sa femme ? »
Ye Baiyi soupira soudainement et dit : « Quand tu auras mon âge, tu comprendras qu'il n'est pas si difficile de deviner ce que quelqu'un veut. »
Wen Kexing, de nouveau, trouva cette façon de se prévaloir de son âge insupportable.
Zhou Zishu échangea un regard avec lui, puis demanda : « Sais-tu quelque chose, Senior? »
Ye Baiyi esquissa un sourire — son visage rigide rendait difficile de discerner s'il souriait sincèrement ou s'il se moquait — puis il répondit : « Qu'ai-je découvert ? Je ne suis qu'un vieux fou qui a vécu tant d'années au mont Changming sans voir la lumière du jour. Que pourrais-je savoir ? »
Il se retourna et leur tourna le dos, se dirigeant vers l'avant : « Cependant, je sais qu'il y a peut-être quelqu'un qui connaît la vérité sur ces événements. »
Zhou Zishu ordonna à Zhang Chengling : « Suis-nous. » Puis il se précipita pour suivre l’autre. Wen Kexing, curieux, demanda : « Qui est cette personne si bien informée ? »
Ye Baiyi, sans se retourner, répondit quelques mots : « Long Que (NT : litt. Dragon moineau), du Manoir des Marionnettes. »
Les sourcils de Zhou Zishu se froncèrent. Il ne put s'empêcher de dire : « On dit qu'il y a effectivement un tel Manoir des Marionnettes dans la région du Sichuan, mais il est caché dans les montagnes profondes. Le Seigneur du Manoir, Long Que, est maître des pièges et de l'art de la porte qui disparaît. Le Manoir semble même être capable de se déplacer. J'ai essayé plusieurs fois de faire dessiner une carte, mais chaque fois, ceux qui l'ont corrigée juraient qu'il n'y avait pas de problème. Cependant, chaque fois qu'on essayait de le localiser, ce manoir fantomatique restait introuvable... »
Ye Baiyi dit : « Incapable. »
— La gueule du chien ne peut pas cracher de l’ivoire. (NT : proverbe chinois signifiant que l'on ne peut pas s'attendre à des paroles raffinées ou de valeur venant d'une personne grossière ou malhonnête.)
Zhou Zishu ferma les yeux, prit une profonde inspiration, ouvrit puis serra son poing à nouveau, observant en silence la tête de Ye Baiyi. Plus il regardait, plus il trouvait que la forme de cette tête était parfaite pour être frappée. À côté de lui, Zhang Chengling tira doucement son vêtement, ouvrant la bouche pour poser une question, mais Zhou Zishu lui lança un regard sévère et, agacé, tira son vêtement en arrière, en criant : « Un jeune homme de dix ans, pourquoi agis-tu comme une femme timide quand tu veux parler ? »
Il se défoulait clairement sur lui, ce qui fit que Zhang Chengling rentra la tête dans les épaules, n'osant rien dire.
Zhou Zishu lui jeta un autre regard et dit : « Tu veux dire quelque chose ? Parle ! »
« Ma… Maître, est-ce qu’on va vraiment continuer tout le chemin jusqu’au Sichuan ? »
Zhou Zishu fut un instant surpris et se dit que oui, c'était un assez long trajet. Ainsi, Zhang Chengling, par son initiative malheureuse d’avoir posé cette question, se retrouva torturé de mille façons par son terrible maître tout au long du voyage. Tantôt Zhou Zishu lui demandait de faire circuler son énergie en sens inverse tout en marchant sur les mains, tantôt il lui posait une main sur l'épaule, comme s'il lui faisait porter une montagne, et le forçait à avancer avec tous ses efforts... C'était un véritable enfer.
Wen Kexing, à côté, ne disait rien, continuant à croquer ses noix en produisant des bruits répugnants pour agacer Zhou Zishu. En même temps, il semblait méditer sur quelque chose. Voyant que Zhou Zishu ignorait à présent Ye Baiyi, ce vieil âne vivant, il saisit l'occasion rare de s'adresser à lui et demanda : « Quelle relation avais-tu... avec Rong Xuan ? Pourquoi veux-tu savoir ce qui s'est passé il y a trente ans ? »
Ye Baiyi lui jeta un coup d'œil et resta silencieux pendant un long moment. Alors que Wen Kexing pensait qu'il allait finalement dire quelque chose d'important, il l'entendit répondre, avec sa bouche qui ne disait jamais rien de bon : « Pourquoi es-tu aussi bavard qu'une vieille femme ? Pourquoi veux-tu tout savoir ? Qu'est-ce que ça peut te faire ? »
Les doigts de Wen Kexing se crispèrent soudainement, et la coquille de la noix se brisa en morceaux qui volèrent à une bonne distance, portés par un vent aussi vif que des projectiles. Zhang Chengling s'écarta immédiatement, craignant d'être blessé par accident dans ce chaos.
Wen Kexing s'apprêtait à répliquer quelques insultes quand il vit un éclair de lumière devant lui. En y regardant de plus près, il remarqua un cheveu blanc parmi la longue chevelure de Ye Baiyi et dit, intrigué : « Eh, vieil Ye, tu as un cheveu blanc ! »
On ne savait pas si c'était une illusion, mais pendant un instant, une lueur sembla traverser rapidement les yeux durs de Ye Baiyi, si rapide qu'on ne pouvait vraiment l'apercevoir. Il tendit inconsciemment la main pour toucher ses cheveux, mais au milieu de son geste, il la ramena et dit simplement : « Tu n'as jamais vu de cheveux blancs ? Quelle ignorance. »
Wen Kexing réfléchit un instant, et effectivement, ce vieux monstre avait déjà un âge vénérable. S’il s’était agi de quelqu’un d’autre, il serait déjà poussière depuis longtemps. Alors un cheveu blanc, qu'est-ce que c'était ?
Après cela, il ne trouva plus rien à dire. Ye Baiyi avait ce don de décourager les gens de l'approcher. Depuis Dongting jusqu'au Sichuan, il eut l'air d'une poupée animée, et seule sa façon de manger, comme une tempête engloutissant tout sur son passage, prouvait qu'il était bien vivant.
Zhou Zishu et Wen Kexing, désœuvrés, ne cessaient de se chamailler et de se lancer des piques, bavardant sans arrêt. Au début, Ye Baiyi écoutait avec une expression impassible, mais à force, il en eut assez et dit : « Vous deux, si vous en avez la capacité, allez régler ça au lit ! Pourquoi jouer sur les mots comme deux gros grillons ? Est-ce que vous ne pouvez pas tenir en dessous (NT : avoir une érection), ou bien êtes-vous des filles déguisées en hommes ? Arrêtez de faire semblant d'être réservés ! Vous êtes dégoûtants ! »
Zhang Chengling, qui tentait de marcher sur les mains en suivant la méthode que Zhou Zishu lui avait enseignée pour faire circuler l'énergie à l’envers, avait déjà du mal. En entendant cela, il fut d’abord stupéfait, puis, ayant vaguement compris quelque chose, il rougit. Son souffle intérieur se troubla, et il tomba soudainement sur le côté, se tenant le cou et s’exclamant « Aïe, aïe ! » le visage tout rouge.
Si Ye Baiyi ne s'était pas vanté de pouvoir trouver le Manoir des Marionnettes, Zhou Zishu et Wen Kexing auraient bien eu envie de s'associer pour donner une leçon à ce vieil homme désagréable. Les deux hommes se regardèrent avec une grande complicité, mais Wen Kexing, pour une raison quelconque, aperçut le visage de Zhou Zishu, beau mais luttant pour réprimer sa colère. Son regard glissa involontairement vers le bas, comme s'il pouvait voir au-delà de ses robes pour apercevoir ses muscles et ses os. En s'imaginant cette vue, il déglutit, et soudain, il pensa que Ye Baiyi avait peut-être raison.
Les deux hommes perdirent alors leur dernier amusement, alors ils se mirent en accord pour tourmenter Zhang Chengling ensemble.
Zhou Zishu lui dit : « Concentre ton énergie vitale, laisse-la couler à travers tes membres et tout ton corps, comme si elle se déversait dans la mer, dégage tes méridiens, fais-la circuler en avant et en arrière, librement. »
Wen Kexing, de son côté, lui chuchota en cachette : « Ton souffle intérieur est instable, tu n'as pas assez de puissance. Ton énergie intérieure devrait être dispersée, pas concentrée, il faut progresser petit à petit, ressens l'énergie vitale dans ton corps et laisse-la suivre son cours naturel. »
Tous deux semblaient parler avec beaucoup de bon sens. Le pauvre Zhang Chengling ne savait plus qui écouter, son esprit se retrouvant embrouillé, son énergie vitale tour à tour concentrée puis dispersée, circulant tantôt normalement, tantôt à contresens. Et par moments, il devait encore subir la méthode d'entraînement spéciale de Zhou Zishu — sans que ce dernier ne semble forcer, sa main posée sur son épaule pesait comme une montagne.
Zhang Chengling ne put s'empêcher de ressentir une certaine inquiétude et se dit en lui-même que s'il continuait à être écrasé de cette manière par son maître, il risquait de ne plus grandir. Une image de Feng Xiaofeng, avec ses grands gestes tapageurs, lui vint en tête, et il ne put s'empêcher de frissonner.
Zhou Zishu ignorait les inquiétudes de son élève. Tout ce qu'il voyait, c'est que ce gamin s'entraînait dur, mais ne semblait pas progresser. À l'époque, lorsqu'il entraînait Liang Jiuxiao, il le trouvait déjà assez bête et souvent il devait se retenir de le frapper. Mais comparé à Zhang Chengling, Liang Jiuxiao lui paraissait presque un génie.
Si ce n’était pas parce que les années passées à la cour avaient adouci son tempérament, Zhou Zishu aurait sûrement déjà eu envie d’asséner une gifle à ce gamin malchanceux.
Zhang Chengling se sentait vraiment accablé. Les techniques de Wen Kexing et de Zhou Zishu étaient fondamentalement différentes. Si une seule personne le formait, il pourrait faire des progrès, mais comme les deux parlaient sans cesse, sans se soucier de savoir s'il comprenait ou non, il finissait par ne plus savoir quoi faire. Parfois, en discutant, ils finissaient par se disputer, et quand ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord, ils sortaient pour se battre, revenant en sueur, le visage rouge.
Et il y avait toujours Ye Baiyi, à côté, qui commentait comme un narrateur, disant qu'ils « utilisaient le prétexte de s’entraîner pour faire des choses inappropriées », ce qui plongeait Zhang Chengling dans l'embarras et la confusion, sans pour autant qu’il comprenne quoi que ce soit.
Les jours passaient, et il sentait que ses compétences martiales reculaient plutôt qu'elles n'avançaient. La main de son maître posée sur son épaule semblait de plus en plus lourde chaque jour, au point qu’il avait du mal à respirer.
En fait, la façon dont Zhang Chengling s'entraînait était extrêmement risquée. Pour n’importe qui d'autre, sans la main de Zhou Zishu sur son épaule pour ajuster son souffle intérieur de manière invisible, à force d’être bousculé de cette manière par ces deux-là, il aurait déjà perdu le contrôle de son énergie et succombé à une folie intérieure.
Ils avançaient à un rythme très rapide, et en peu de temps, ils s’étaient déjà éloignés de Dongting, ce lieu de conflits, et étaient arrivés dans le Sichuan.
Ce jour-là, Zhang Chengling n’en pouvait vraiment plus. Il serra les dents, essayant de continuer à marcher sur une dizaine de kilomètres, mais il sentait ses tempes battre douloureusement, haletant à grands traits, le cœur battant à tout rompre comme s'il allait sortir de sa poitrine. Chaque pas nécessitait toute sa force.
La voix de Zhou Zishu résonna à son oreille d'un ton froid : « Quoi, c’est tout ce que tu peux faire ? Continue ! »
Wen Kexing tourna la tête pour jeter un coup d'œil à Zhang Chengling, haussa les sourcils, et sembla ressentir de la pitié pour lui. Il ne put s’empêcher d’intervenir : « Ah Xu... »
« Tais-toi. » Zhou Zishu ne bougea pas un sourcil, montrant une absence totale de compassion, et ordonna : « Petit garnement, je t’ai dit de continuer à marcher. »
La vue de Zhang Chengling commençait déjà à se brouiller et à s’obscurcir. Il voulait parler, mais aucun mot ne sortait de sa bouche ; s’il ouvrait la bouche, son souffle intérieur risquait de s’échapper, et alors la main de Zhou Zishu, qui paraissait si frêle, pourrait l’écraser au sol comme on plante un navet en terre.
Les montagnes du Sichuan étaient nombreuses et s’étendaient à perte de vue, semblant infinies. Un sentiment de désespoir surgit soudainement dans le cœur de Zhang Chengling, comme s’il ne pourrait jamais finir ce chemin. Ses jambes tremblaient de plus en plus violemment. Il leva péniblement les yeux pour regarder le visage de son maître. Ce profil beau et anguleux restait froid et indifférent, sans même le regarder, tel une statue insensible, dépourvue de tout désir.
« Absorbe et expulse sans cesse, fais circuler dans les méridiens Ren et Du, comme cent rivières se jetant dans la mer, sans laisser de traces... »
« Le qi (NT : souffle intérieur) est tangible, fluide comme un serpent agile, ininterrompu et libre de ses allers et retours... »
À cet instant, face aux montagnes du Sichuan, Zhang Chengling fut acculé au pied du mur. Une idée traversa son esprit comme un éclair : avoir une forme sans limite, dispersée mais inépuisable ! Il sentit soudainement son torse se remplir, sa vision se brouilla encore davantage, mais il percevait de plus en plus clairement les changements dans son corps. Son qi dispersé dans ses membres, avait toujours été là, mais il ne l’avait pas mobilisée correctement. En comprenant cela, une grande force jaillit en lui, et il repoussa violemment la main de Zhou Zishu qui pesait sur son épaule.
La dernière chose qu’il vit fut l’expression de surprise sur le visage de Zhou Zishu, puis tout devint noir et il s’effondra.
Traducteur: Darkia1030
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