CM-Chapitre 17.1

 

Bien qu’il eût affirmé qu’il ne donnerait plus de soupe à Han Yang, Helian Qing retourna tout de même au manoir familial le lendemain. Il rapporta à tante Zhou les remarques de Han Yang et lui demanda ce qui avait pu clocher.

Après l’avoir écouté, tante Zhou éclata de rire et expliqua : « Jeune maître, j’ai été chef pendant plus de la moitié de ma vie. Il est donc évident que mes compétences surpassent les vôtres. »

« Alors, que suis-je censé faire ? » demanda Helian Qing en fronçant les sourcils.

« Vous n’avez qu’à vous exercer encore un peu, et vous vous améliorerez. J’ai déjà préparé les ingrédients pour cet après-midi. » Puis elle plaisanta : « Qui aurait cru que le jeune maître pouvait se montrer si impatient ? »

« Pouvons-nous simplement parler de la soupe ? » déclara Helian Qing, sans expression. Bien qu’en son for intérieur, il pensât immédiatement à ce petit poisson salé connu sous le nom de Han Yang.

Tante Zhou répondit : « D’accord, je vais vous apprendre à la faire maintenant. Aujourd’hui, ce sera… »

« Soupe Hujiao Zhudu », annonça Helian Qing.

(NT : soupe traditionnelle à base de panse de porc et de poivre blanc, souvent consommée en convalescence)

« Parfait. » Tante Zhou rit tout en préparant les ingrédients un par un, puis elle expliqua de nouveau la recette à Helian Qing.

Désireux d’apprendre à confectionner toutes sortes de soupes, il sortit aussitôt son carnet pour prendre des notes, déterminé à enregistrer tous les ingrédients nécessaires et leurs quantités.

Le majordome, debout à l’écart, observa son jeune maître avec un soupçon d’émotion sincère et se lamenta : « Ah, prendre soin d’une femme, ce n’est vraiment pas facile ! »

Plus tard dans la nuit, Helian Qing rapporta chez lui la soupe qu’il avait préparée. Han Yang prit le thermos et l’ouvrit, laissant aussitôt s’échapper les effluves mêlées du poivre et de la panse de porc. Les ingrédients ayant mijoté lentement pendant près de trois heures, la soupe dégageait un arôme riche, parfait pour les froides soirées d’hiver.

« Comment est-ce ? » demanda Helian Qing en observant Han Yang prendre une gorgée.

« Pas mal, juste un peu trop fort », répondit Han Yang.

« C’est le poivre ? » s’enquit Helian Qing avant de goûter lui-même, prenant la résolution d’en mettre moins la prochaine fois.

« Mhm, mais à part ça, c’est très bon », ajouta Han Yang avant de reprendre une bouchée.

Pas si mal, pensa Helian Qing.

Han Yang venait d’engloutir sa bouchée et se préparait à en prendre une autre quand Helian Qing l’arrêta brusquement : « Ne la mange pas. La prochaine fois, je leur demanderai de mettre moins de poivre. »

« Ça va. Le chef a travaillé dur pour faire cette soupe, la jeter serait du gâchis. »

« Je le sais très bien », répondit Helian Qing, tout en retenant malgré tout la cuillerée de Han Yang.

« Quoi ? » demanda ce dernier, n’ayant pas bien entendu.

« Rien. Mange », ordonna Helian Qing.

« Très bien. » Han Yang hocha la tête et poursuivit son dîner.

Durant la semaine suivante, Helian Qing rapporta chaque jour une nouvelle soupe à la maison. Un soir, Han Yang ne put s’empêcher de demander : « Le nouveau chef perfectionne ses techniques tous les jours ? »

Alors qu’il mangeait, la main d’Helian Qing se figea. « Pourquoi t’intéresses-tu autant à ce qu’il fait ? »

« Je trouve que c’est un peu exagéré… Tante Su et les autres ne sont pas là, et on dérange le Maître chaque jour pour préparer ces soupes rien que pour moi », répondit Han Yang, un peu honteux. « En fait, je pense que nous pourrions les faire nous-mêmes. »

« Tu n’as rien de mieux à faire ? » répliqua Helian Qing avec une pointe d’agacement.

« … » Han Yang resta sans voix.

« N’oublie pas d’être reconnaissant », lui rappela Helian Qing.

« Oui, oui, oui, Maître Helian », acquiesça Han Yang.

Maître Helian fut en effet ravi du tact du poisson séché salé, aussi versa-t-il un peu plus de soupe au jeune homme. « Ta récompense. »

« Merci, princesse, pour cette récompense », répondit Han Yang, rayonnant.

Helian Qing le réprimanda doucement : « Tais-toi. Veux-tu aller au paradis maintenant ? Appelle-moi encore une fois comme ça, essaie seulement. »

Han Yang tira la langue, baissa joyeusement la tête, puis reprit son dîner.

*

À la fin de son cours de l’après-midi, Han Yang fut arrêté par son Daoshi (NT : mentor), et tous deux descendirent ensemble.

« Le bonus du dernier projet est arrivé. Je t’appellerai plus tard quand il aura été transféré sur ta carte bancaire, d’accord », dit Daoshi.

Han Yang hocha la tête. « Oui. Merci, Laoshi [NT : Maître]. »

En agitant la main, Daoshi ajouta : « Pourquoi être si formel ? Tu as travaillé très dur pendant longtemps, alors prends maintenant un peu de temps pour te reposer. »

Han Yang sourit. « Ce n’était pas un problème. » Après tout, il était très reconnaissant à Daoshi de lui avoir offert cette opportunité.

Lui tapotant l’épaule, Daoshi conclut : « Rentre chez toi, ça va. »

« Au revoir, Daoshi », répondit Han Yang en hochant la tête.

N’ayant plus de cours cet après-midi-là, Han Yang se rendit à la cafétéria pour manger quelque chose, puis rentra directement chez lui.

À peine arrivé, il reçut un message indiquant : « xx ont été déposés sur votre compte », et, au-dessus, figurait le mot « Bonus ».

C’était la première fois qu’un projet l’avait accaparé pendant deux mois entiers. Han Yang avait enduré de longues nuits de travail, mais malgré la fatigue, le montant du bonus valait largement l’effort consenti.

Il envoya un message à son Laoshi pour confirmer qu’il avait bien reçu l’argent, puis se dirigea vers le bureau pour allumer son ordinateur. Une fois l’appareil lancé, il ouvrit un fichier intitulé Facture, dans lequel il enregistrait la dette que ses parents devaient à Helian Qing.

Il y consigna sa prime nouvellement perçue, ainsi que d’autres montants déjà notés. Mais, face à une dette aussi colossale, ces quelques sommes ne représentaient guère plus que des gouttes d’eau dans un océan.

Han Yang sortit son téléphone, consulta ses économies à la banque, puis reporta les détails dans ses fichiers avant de tout ranger, prêt à éteindre son ordinateur.

Au moment même où il reposait son téléphone, celui-ci sonna. C’était un appel entrant de Mo Suya.

« Tante Sue », dit Han Yang en fermant le dossier et acceptant l’appel.

« A’Yang, es-tu à la maison par hasard ? » demanda Mo Suya.

« Oui. Es-tu revenue de ton voyage ? » demanda à son tour Han Yang.

« Oui, nous venons de quitter l’aéroport. D’ici peu, nous nous arrêterons à ton appartement pour te ramener avec nous manger. À tout à l’heure, d’accord ? » expliqua joyeusement Mo Suya.

« D’accord, à bientôt », répondit Han Yang.

Après avoir raccroché, Han Yang tenta d’appeler Helian Qing, mais n’obtint aucune réponse. Il supposa que l’autre était très occupé et décida donc de se préparer, en attendant l’arrivée de Mo Suya.

Environ une demi-heure plus tard, lorsque Mo Suya arriva, Helian Cheng se trouvait également avec elle.

« Grand-père n’est pas revenu ? » demanda Han Yang.

« Oh, Lao Yezi est tombé sur un vieil ami, alors il a décidé de rester quelques jours de plus », répondit Mo Suya en tentant de remettre correctement le col de Han Yang. Elle ajouta en continuant : « Il fait si froid aujourd’hui, pourquoi portes-tu si peu ? Ces vêtements sont-ils assez chauds ? Demain, j’irai avec toi pour qu’on te trouve quelque chose de plus épais pour l’hiver. »

« J’en ai assez, j’ai déjà plein de vêtements d’hiver », déclara rapidement Han Yang. Il n’y a pas si longtemps, Helian Qing avait déjà commandé une grande quantité de vêtements, et il l’avait même traîné de force dans diverses boutiques pour en acheter encore plus. À présent, la moitié de leur placard était occupée par ses affaires.

« Très bien alors. Mets juste quelques couches supplémentaires », répondit Mo Suya, avant d’ajouter : « J’ai appelé A’Qing tout à l’heure, mais l’appel n’est pas passé. Vous ne vous chamaillez pas à nouveau ces jours-ci, j’espère ? Il ne t’intimide pas, au moins ? »

« Non, nous nous débrouillons plutôt bien », répondit Han Yang.

« Eh bien. Alors, j’ai apporté des cadeaux pour vous deux. Quand nous rentrerons à la maison, je te les montrerai », déclara Mo Suya.

« Bien sûr, merci tante Su », sourit Han Yang.

À leur retour, Mo Suya remit à chacun les cadeaux qu’elle avait rapportés. Outre Helian Qing et Han Yang, Lao Guanjia (NT : Vieux Guanjia. Le majordome) et tante Zhou ne furent pas oubliés. Mo Suya avait même apporté quelques chocolats à partager entre les bonnes. Une fois la distribution terminée, elle monta à l’étage avec Helian Cheng pour déballer leurs affaires.

Han Yang, qui s’ennuyait en bas, aperçut tante Zhou occupée dans la cuisine. Il décida donc d’aller l’aider. « Laissez-moi vous donner un coup de main », proposa-t-il, souhaitant laver les légumes.

Mais à peine avait-il commencé que, soudainement, une jeune femme choquée se précipita pour lui retirer les légumes des mains en s’écriant : « Ce n’est pas nécessaire, ce n’est pas nécessaire ! »

« Alors, puis-je vous aider à les couper ? » demanda Han Yang.

« Non, ce n’est pas nécessaire ! » répondit-elle vivement, secouant vigoureusement la tête.

« Alors... »

« Jeune maître A’Yang, vous ne devriez pas lui faire peur. Attendez simplement dehors, d’accord ? » dit tante Zhou avec entrain.

« Mais je m’ennuie tellement », répliqua Han Yang avec un sourire.

« Alors, quel genre de soupe veux-tu manger aujourd’hui ? Tante Zhou va t’en faire une », demanda-t-elle gentiment.

En entendant cela, Han Yang se souvint que le Maître lui avait fait parvenir ces soupes. Il demanda alors : « Tante Zhou, qui est le nouveau cuisinier ? »

« Nouveau cuisinier ? » répéta tante Zhou, interloquée.

« Oui, celui qui m’a donné la soupe ces derniers jours. Je voudrais le remercier pour la peine. » expliqua Han Yang.

« Oh ! De qui pensais-tu parler, hein ? » s’exclama tante Zhou en riant. « Il n’y a pas de nouveau cuisinier ici. Ces soupes venaient toutes du jeune maître. Il passait tous les jours ici pour que je lui apprenne à les faire. »

Han Yang se figea et demanda à nouveau : « Qui était-ce ? »

« Le jeune maître Qing », répondit tante Zhou avant d’ajouter : « Il disait vouloir soulager ton estomac, alors chaque jour, il revenait ici pour me demander de lui apprendre. Il a même tout noté dans un énorme cahier ! »

Toutes les soupes qu’il avait mangées cette semaine venaient de Helian Qing ? Il avait même pris des notes dans un énorme carnet ?

Han Yang se sentit idiot. Jamais cette idée ne lui avait effleuré l’esprit. À cet instant précis, il eut l’impression qu’on lui avait asséné un coup, laissant son esprit dans un état second.

Ce n’était donc pas étonnant que, lorsque Helian Qing lui apportait de la soupe, il lui demandait toujours si elle était bonne. Et pourquoi, s’il disait qu’elle manquait de quelque chose, le visage d’ Helian Qing s’assombrissait ? Mais s’il la complimentait, il recevait aussitôt une seconde portion ?

Il s’avérait donc que toutes les soupes avaient été cuisinées par lui, n’est-ce pas ?

Tante Zhou, le voyant sans voix, ajouta : « Chaque fois qu’il finissait de manger, le jeune maître notait les problèmes et me demandait ensuite comment ajuster la recette selon tes goûts. Alors, comment étaient-elles ? Tu t’es habitué au goût ? »

« … Je m’y suis habitué », répondit Han Yang en hochant la tête. Avec de si bonnes intentions, comment ne pas m’y habituer ?

« C’est bien alors », sourit tante Zhou. Puis elle ajouta : « Ne dis pas au jeune maître que je te l’ai dit, d’accord ? Il est un peu sensible, donc il risquerait de se fâcher et de ne plus vouloir cuisiner. »

Avec le tempérament de la princesse Qing, je pense qu’il serait certainement en colère.

« Je comprends », acquiesça Han Yang. Puis il demanda : « Oh, au fait, tante Zhou, vous avez mentionné qu’il avait pris des notes dans un cahier. Il est où exactement ? Je peux le consulter ? »

« Il est dans la chambre du jeune maître. Tu peux monter le chercher toi-même si tu veux », répondit tante Zhou. Helian Qing venait tous les jours, donc son cahier y était resté.

« Je vais le faire. Merci, tante Zhou. » Han Yang la remercia avant de monter à l’étage.

« Tante Zhou, ce n’est pas vraiment un problème d’avoir dévoilé cela au jeune maître ? » demanda la jeune femme qui aidait à laver les légumes.

« Pourquoi cela serait-il un problème ? Ne pas le révéler maintenant aurait été le vrai souci», expliqua tante Zhou. « Le jeune maître est aussi têtu qu’un mulet. Il ne dirait rien, le jeune maître Yang ne l’aurait jamais su, et ces deux-là auraient fini par tourner en rond. »

« Alors c’est ainsi », acquiesça la jeune femme en hochant la tête. « Le vieux gingembre est vraiment plus chaud que le nouveau. »

« C’est vrai ! » approuva tante Zhou d’un air satisfait.

Han Yang se dirigea vers la chambre d’Helian Qing et aperçut aussitôt un cahier posé sur le bureau. Il s’en approcha, le prit et l’ouvrit.

Sur les premières pages, il distingua quelques chiffres et dates éparses. Il supposa qu’Helian Qing avait noté cela pendant son travail. Il tourna ensuite quelques pages de plus et lut en haut de l’une : Aliments et boissons à boire pour un mal d’estomac. Sous chaque titre figurait une courte liste de plats :

Soupe Chenigu Paigu, soupe Hujiao Zhu Du, soupe Dangshen Huangqi Yangrou, etc.

Dans cette liste, il reconnut plusieurs des soupes qu’il avait mangées. Il avait réellement cru qu’un nouveau chef était arrivé. Jamais il n’aurait imaginé qu’elles venaient d’Helian Qing.

Il tourna de nouveau la page et tomba sur les paroles de tante Zhou soigneusement retranscrites. Sur plusieurs pages, il trouva ses explications, accompagnées de notes détaillées sur les quantités de chaque ingrédient, ainsi que sur le temps de cuisson nécessaire.

Parmi ces recettes, plusieurs comportaient des annotations supplémentaires concernant certains ingrédients à réduire, comme le poivre ou les écorces de mandarine séchées. Toutes correspondaient aux soupes pour lesquelles Han Yang avait fait des remarques.

En raison de son exposition au froid durant l’enfance, son estomac avait souffert de refroidissements. De plus, cette ancienne affection n’ayant jamais été correctement soignée, elle s’était enracinée et n’était pas facile à traiter.
À cela s’ajoutaient ses cours, son petit boulot pour gagner de l’argent, et le manque de temps. Il n’avait tout simplement pas eu l’énergie de s’en occuper. Alors, très souvent, lorsqu’il avait mal, il se contentait d’avaler quelques pilules et d’endurer la douleur jusqu’à ce qu’elle passe.

Ce n’était pas une maladie grave, mais jamais il n’aurait imaginé que quelqu’un fasse tout cela pour lui.

Helian Qing était le genre d’homme à se laver les mains à la hâte pour se mettre à cuisiner une soupe ? Si quelqu’un l’entendait dire cela, personne ne le croirait. De leur temps passé ensemble, Han Yang savait qu’avant de le rencontrer, Helian Qing ne lavait même pas ses baguettes, encore moins ne cuisinait.

Et pourtant, lui, de toutes les personnes possibles, l’avait fait.

Il avait même rempli plusieurs pages de ce cahier en notant soigneusement toutes ses préférences, l’une après l’autre.

À cet instant, le cœur de Han Yang se serra douloureusement. Il sentit ses yeux se troubler, incapables de contenir cette émotion soudaine. Il cligna des paupières pour dissiper la brume qui l’envahissait, mais ce fut vain. Il ne put faire autre chose que de lever le cahier pour cacher son visage.

Ce simple geste fit tomber une petite feuille insérée entre les pages.

Han Yang la ramassa et y jeta un œil : c’était une carte de visite.

— Chen Qingqing, Profession : Docteur en médecine traditionnelle chinoise (MTC)

Il la remit simplement dans le cahier, qui s’ouvrit alors à une page du milieu. Il y lut les lignes suivantes :

18 décembre 20xx – Matin
Jiang Shanlu, Profession : Docteur en MTC – Acupuncture et Moxibustion

19 décembre 20xx – Matin
Jiang Shanlu, Profession : Docteur en MTC – Acupuncture et Moxibustion

Ces deux dates correspondaient au week-end prochain.

Han Yang se rappela soudain qu’il y a quelques jours, Helian Qing lui avait dit vouloir l’emmener quelque part ce week-end-là. Quand il lui avait demandé où, celui-ci était resté vague. À présent, en lisant ces notes, tout devint clair.

Ce traitement par acupuncture avait été arrangé pour lui.

Cette année-là, ses parents l’avaient abandonné. Il faisait particulièrement froid, car c’était durant le douzième mois lunaire. Il en avait gardé des engelures, et depuis, chaque hiver, pendant les périodes les plus glaciales, il souffrait presque toujours.

À l’époque, la situation financière de sa famille n’était pas bonne. Son grand-père avait déjà du mal à lui permettre d’aller à l’école. Par peur de l’inquiéter davantage, il n’avait jamais osé parler de ses douleurs. Puis, en grandissant, il s’y était habitué. Il était devenu indifférent à la douleur, tout comme à son estomac fragile.

Mais maintenant, quelqu’un avait contacté un médecin au sujet de ses jambes, et il avait même organisé des séances d’acupuncture.

Cela stupéfia Han Yang, qui se sentit totalement perdu quant à ce qu’il devait faire.

À part son grand-père, il n’y avait jamais eu personne pour s’occuper de lui. Il ne s’attendait pas à ce qu’un jour, quelqu’un le garde secrètement dans son cœur avec tant d’affection.

Tendant la main pour se frotter le genou, Han Yang inspira profondément, puis s’assit lentement sur une chaise à proximité. Il resta immobile, fixant les mots inscrits dans le cahier d’Helian Qing pendant un long moment.

« Buzz Buzz… »

Le téléphone de Han Yang vibra dans sa poche. Il le sortit et vit qu’Helian Qing l’appelait.

Abasourdi, Han Yang fixa les deux mots Helian Qing, oubliant de répondre. L’appel finit par se couper après plusieurs sonneries.

Il voulut le rappeler, mais Helian Qing l’appela de nouveau avant lui.

« Qu’est-ce que tu fais à ne pas répondre à ton téléphone ? » demanda Helian Qing, visiblement irrité.

Han Yang ne répondit pas, craignant que les émotions bouillonnantes dans sa poitrine ne débordent et que ses larmes ne coulent.

« Dis quelque chose », reprit Helian Qing après un instant, remarquant le silence du jeune homme. « Pourquoi n’as-tu pas répondu au téléphone ? »

« …Helian Qing. » Han Yang parla enfin, sa voix un peu rauque.

« Que se passe-t-il ? » demanda Helian Qing, alerté par le ton de sa voix. « Qui t’a intimidé ?»

Han Yang avala difficilement un soupir, puis déclara : « Toi. »

« Quand est-ce que j’ai fait quelque chose pour t’intimider ? » répliqua Helian Qing.

« À quelle heure rentres-tu ? » demanda Han Yang, changeant de sujet.

« Je rentrerai tard. Il y a une fête ce soir, je ne serai pas de retour à temps pour le dîner. Alors sois sage et mange ton dîner tout seul, d’accord ? » répondit Helian Qing.

« Alors… je vais encore manger de la soupe aujourd’hui ? » demanda Han Yang.

« Tu veux de la soupe ? » répondit Helian Qing.

« Mhm, je me suis habitué à en manger », dit Han Yang.

« Le chef a demandé un jour de congé aujourd’hui, alors je vais demander à tante Zhou de la faire pour toi, d’accord ? » répondit Helian Qing, feignant un air sérieux.

« D’accord, je posais juste la question. J’aime manger la soupe que prépare le nouveau chef», répondit Han Yang sans révéler la vérité.

« C’est comme ça. » La voix d’Helian Qing avait une note évidente de joie lorsqu’il ajouta : «Alors demain, je lui demanderai de cuisiner pour toi. »

« D’accord. » Han Yang marqua une pause, puis l’appela de nouveau : « Helian Qing. »

« Mn ? » grogna doucement Helian Qing.

« Reviens tôt… je t’attendrai à la maison », dit Han Yang, avant de raccrocher peu après.

À l’autre bout du fil, Helian Qing garda le téléphone en main un long moment, encore incapable de se remettre de la phrase que Han Yang venait de prononcer. « Reviens tôt, je t’attendrai à la maison. »

C’était comme un enfant capricieux attendant le retour de quelqu’un. C’était la première fois qu’il entendait de tels mots de la bouche de Han Yang, ce qui le fit douter : quelque chose n’allait pas.

Pris d’un soupçon d’inquiétude, il rappela immédiatement Han Yang.

« Que s’est-il passé ? » demanda ce dernier en décrochant.

« Est-ce que tout va vraiment bien ? » insista Helian Qing, peu convaincu.

« Pourquoi est-ce qu’il y aurait quelque chose qui ne va pas ? » répondit Han Yang, hésitant entre rire et larmes. « Je m’ennuyais, alors je t’ai demandé quand tu reviendrais. »

« Très bien alors. Dans ce cas, attends docilement que ton mari rentre à la maison », déclara Helian Qing.

« C'est bien. » Han Yang raccrocha de nouveau juste après avoir répondu.

Helian Qing, une fois encore, conserva le téléphone en main, frappé de stupeur. Il venait de se présenter comme le mari du jeune homme… et Han Yang avait répondu.

« Cet enfoiré veut qu’une certaine personne n’aille plus jamais travailler ?! » grogna-t-il, après un long silence, serrant les dents de frustration.

*

Han Yang, ne sachant pas combien de temps Helian Qing resterait occupé, dîna seul au manoir. Peu après, Mo Suya envoya quelqu’un le raccompagner chez lui.

De retour à la maison, Han Yang sentit une lourdeur inhabituelle dans ses pas. La journée entière lui semblait irréelle, comme un rêve… un rêve uniquement centré sur Helian Qing.

Il avait rapporté avec lui le cahier d’Helian Qing. L’exquis carnet relié de cuir paraissait peser lourd dans ses mains. Les tendres sentiments contenus dans ce livre pesaient trop, tellement qu'ils s'enfonçaient dans sa poitrine, faisant trembler son cœur.

Ses doigts glissèrent lentement sur l’écriture qui ornait la couverture. Han Yang ne savait comment décrire les émotions qui déferlaient dans sa poitrine. Il tenta de mobiliser toute sa concentration et tous les mots qu’il connaissait, mais, comme toujours, aucun ne semblait convenir.

Ils semblaient avoir leur propre conscience, rongeant peu à peu sa raison et son esprit critique, utilisant ces morsures pour former les deux mots : Helian Qing.

Helian Qing... Helian Qing...

Son esprit était complètement envahi par Helian Qing.

Han Yang estima qu’il devait prendre une douche pour se calmer. Il déposa alors le livre sur le côté et se dirigea vers la salle de bain.

Lorsque Helian Qing rentra, il était déjà plus de onze heures du soir. Han Yang entendit la porte s’ouvrir et bondit aussitôt du canapé. En courant, il traîna involontairement avec lui la couette matelassée qu’il tenait encore, puis s’arrêta net en apercevant Helian Qing.

C’est évident qu’on s’est quittés ce matin… alors pourquoi ai-je l’impression que cela fait si longtemps que je ne t’ai pas vu ?

« Tu es de retour », dit Han Yang.

« Mhm. » Helian Qing, penché pour retirer ses chaussures, leva la tête en entendant sa voix et fronça les sourcils en voyant ses pieds nus sur le sol froid. « Où sont tes chaussures ? »

« Oh… je les ai oubliées », répondit Han Yang avant de se diriger vers le placard pour en prendre une paire. Mais à peine s’était-il approché qu’Helian Qing se pencha soudainement pour le prendre dans ses bras.

Helian Qing le porta jusqu’au salon, le déposa sur le canapé, puis se mit à lui frotter les pieds avec ses grandes mains. Il les trouva glacés, et son ton devint brusque lorsqu’il demanda : « Où sont tes chaussettes ? »

« Il n’y a aucune raison d’en porter à la maison, tu as un radiateur », répliqua Han Yang en tentant de retirer ses pieds, mais Helian Qing les attrapa, les posa sur le canapé et les recouvrit avec la couverture à proximité.

« Pourquoi es-tu rentré si tard ? » demanda Han Yang.

« Les négociations ont duré plus longtemps que prévu. » Helian Qing s’accroupit près du canapé, tenant les chevilles de Han Yang qu’il continuait à frotter. En massant doucement, il ajouta : « La prochaine fois, n’oublie pas de mettre tes pantoufles… ou sinon je les coupe, d’accord ? »

Han Yang ne répondit pas à la menace. Il regarda simplement le profil d’Helian Qing, le cœur battant, puis tendit la main pour lui toucher le bout du nez.

Ce geste arrêta net Helian Qing, qui leva les yeux vers lui : « Qu’est-ce que tu fais ? »

Han Yang retira doucement sa main. « Je viens juste de réaliser que tu es vraiment beau. »

Helian Qing ricana, puis dit sans la moindre honte : « Tu t’en rends compte seulement maintenant ? Tu as un homme aussi exceptionnel que moi, et tu passes ton temps à enlacer un oreiller. On n’est pas obligés d’être sur les nerfs tous les jours. »

Han Yang hocha la tête. « Oui. »

« … » Cette réponse si directe laissa Helian Qing pantois. Il le dévisagea de haut en bas. « Tu agis bizarrement aujourd’hui. Tu as perdu le nord ? »

« Non, c’était quelque chose dans la soupe », répondit Han Yang. « Quelque chose dans la soupe du chef Helian. »

Il prit le livre à côté de lui et le posa devant Helian Qing en disant : « Je l’ai ramené avec moi.»

Helian Qing resta figé pendant quelques secondes. Puis, réalisant ce que c’était, il lui arracha le carnet des mains avec fureur en s’écriant : « C’est quoi ça… Je vais prendre une douche. »

Il fit mine de se lever pour partir, mais Han Yang tendit la main pour le retenir. « Attends. »

« Tu es insupportable. Allonge-toi vite… »

« Helian Qing », l’interrompit Han Yang, « est-ce que tu m’aimes ? »

Le visage d’Helian Qing se crispa sous l’agacement. Puis, avec un ricanement froid, il lança : « À quoi tu joues, là… ? »

Ses mots furent coupés lorsque Han Yang se leva du canapé et s’approcha, une fois de plus, de cette bouche provocante, sur laquelle il déposa un baiser.

Les lèvres chaudes et douces contre les siennes firent tomber le livre des mains d’Helian Qing. Celui-ci s’écrasa doucement au sol dans un bruit sourd. Tout l’être d’Helian Qing en resta pétrifié.

Hormis ce jour dans la voiture, lorsqu’ils avaient enregistré leur mariage, c’était la première fois que Han Yang prenait l’initiative d’embrasser Helian Qing. Il ne l’avait jamais fait auparavant, d’une part parce qu’Helian Qing n’en avait jamais montré le besoin, et d’autre part parce qu’il en avait toujours été trop gêné.

Cette fois-ci, pourtant, tout son cœur le voulait. Il désirait réellement embrasser Helian Qing. Il le désirait ardemment, alors il le fit.

La technique de Han Yang était maladroite, presque inexistante. Lorsqu’il embrassa Helian Qing, il en fut lui-même un peu secoué. Il utilisa sa langue avec hésitation, cherchant désespérément les lèvres d’Helian Qing, tâtonnant dans l’espoir de lui faire entrouvrir la mâchoire.

Ce baiser inexpérimenté fit vibrer l’esprit d’Helian Qing. Sa main agrippa la taille de Han Yang, et le receveur devint subitement l’assaillant. Il pressa Han Yang contre le canapé, se hissant au-dessus de lui, et sa voix se fit dangereusement grave lorsqu’il dit : « Veux-tu vraiment attiser cette flamme ? »

Han Yang déglutit, sentant sa gorge s’assécher d’un coup. Sa bravoure de quelques instants plus tôt s’était évaporée dès qu’il croisa le désir ardent dans les yeux d’Helian Qing. Il se transforma en un poisson salé séché lorsqu’il murmura d’une voix rauque : « Tu… tu n’as pas une douche à prendre ? Dépêche-toi d’y aller ! »

« D’accord, une douche. » Helian Qing hocha la tête, se releva et, sans prévenir, souleva Han Yang sur son épaule.

« Qu’est-ce que tu fais ! » s’écria Han Yang, pris de panique en se retrouvant la tête à l’envers. Il frappa le dos de l’homme avec ses mains. « Pose-moi ! Lâche-moi ! »

« Ce que je fais ? » Helian Qing sourit d’un air sombre, puis lâcha lentement : « Je vais prendre une douche. »

Il l’emporta immédiatement dans la salle de bain. D’une main, il soutint les jambes de Han Yang ; de l’autre, il ouvrit le robinet de la baignoire. C’est à ce moment-là que Han Yang comprit enfin l’intention de l’homme. Il se débattit, prêt à protester : « Laisse-moi tranquille, j’ai déjà pris une douche ! »

Mais Helian Qing ne se laissa pas décourager. Il tenait toujours Han Yang en équilibre sur son épaule lorsqu’il tira brusquement sur son pantalon, le lui ôtant d’un seul geste. Dans la foulée, ses sous-vêtements glissèrent eux aussi, dévoilant ses fesses effrontées et ses cuisses fines.

« Helian Qing ! » hurla Han Yang, les fesses nues à l’air, écrasé d’humiliation. « Toi… lâche-moi ! »

« Clac ! » Helian Qing lui donna une gifle sonore sur les fesses. Le bruit sec résonna dans toute la pièce.

Han Yang cessa instantanément de se débattre. Son visage, lui, devint cramoisi, à tel point qu’on aurait dit qu’il dégoulinait de sang.

… Laisse-moi juste trouver un trou pour m’y cacher… pensa-t-il avec désespoir.

Helian Qing ôta rapidement le reste de ses vêtements et le déposa dans la baignoire.

Derrière lui, Han Yang entendit distinctement le bruit des vêtements d’Helian Qing que l’on retirait. Il frotta nerveusement ses mains dans l’eau chaude, sentant que le temps venait de s’arrêter. C’était comme s’ils étaient les deux seuls êtres vivants sur terre.

Helian Qing entra à son tour dans la baignoire et s’assit à côté de lui. Comme la baignoire était spacieuse, même à deux, il restait encore de la place. Han Yang se recroquevilla sur lui-même, s’éloignant autant que possible, comme s’il voulait se réduire à l’état d’un pauvre petit poisson salé, tenter d’effacer sa présence.

Mais cela s’avéra parfaitement inutile.

Helian Qing ricana. Il se pencha en avant, se colla contre le dos de Han Yang, pressa ses lèvres contre son oreille, puis la lécha doucement en murmurant : « C’est tout ce que tu as ?»

Son ton grave et rauque était chargé d’une sensualité troublante, si bien que le dos de Han Yang se crispa. Ses mains se resserrèrent nerveusement tandis que son cœur toquait… à tout rompre, comme s’il n’allait pas le supporter…

 

Traduction: Darkia1030

 

 

 

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