Chenghua -Chapitre 89 - Vous voulez étudier le Dao, Monsieur Tang ?

 

En voyant cette pièce remplie de fumée épaisse et d’agitation, Tang Fan et ses compagnons étaient littéralement stupéfaits.

"Que se passe-t-il ici ?" demanda Tang Fan, tendu.

"Il s’agit de chasser les influences maléfiques!" répondit Ding Rong à côté de lui, d’un ton mystérieux.

"......"

Avec autant de gens présents, faisant beaucoup de bruit, les occupants de la pièce les remarquèrent rapidement.

Wang Yue eut une expression gênée, affichant un air de "j’ai été contraint de le faire", tandis que Wang Zhi restait calme et imperturbable.

Même le taoïste qui les accompagnait les remarqua, tenant un coq à moitié mort dans ses mains, une scène vraiment ridicule.

Les deux groupes se fixèrent mutuellement jusqu'à ce que Tang Fan toussote légèrement : "Ne préfériez-vous pas aller d'abord vous changer ?"

Wang Yue sortit alors de sa torpeur et s’empressa de mettre fin à cette situation embarrassante.

Il s’inclina devant Tang Fan et les autres : "Veuillez m'excuser, permettez-moi d'aller me changer !"

Cela dit, il partit précipitamment avec du sang de poulet sur lui, sans remarquer qu'une plume était restée accrochée à ses cheveux. Les autres, dont Pang Qi, eurent bien du mal à contenir leur rire.

Après lui, Wang Zhi sortit de la pièce avec une démarche nonchalante.

Tang Fan, essayant de contenir son rire, le salua : "Ça fait longtemps, eunuque Wang, j'espère que tu vas bien ?"

Wang Zhi, avec une expression sombre, répondit : "Comment pourrais-je aller bien ? Je suis presque alité à cause d'une maladie grave !"

N'importe qui voyant son expression aurait été effrayé et se serait demandé s'il avait dit quelque chose de travers, mais Tang Fan continua de sourire tranquillement : "Pourtant, ton teint n’est pas si mal !"

Wang Zhi poussa un grognement, puis détourna son regard vers Sui Zhou, levant la main en signe de salut : "Merci beaucoup."

Bien que ses mots fussent énigmatiques, Sui Zhou comprit qu'il parlait de la pétition des censeurs pour abolir le Dépôt de l'Ouest. Wang Zhi, étant éloigné à Datong, ne pouvait rien faire, mais Sui Zhou avait pris sous son aile les fidèles de Wang Zhi avant la chute du Dépôt, lui offrant ainsi une chance de revenir en force.

C'était une grande faveur, naturellement.

Sui Zhou répondit en s'inclinant : "Nous devons nous soutenir mutuellement, il n’y a pas de quoi être poli."

L’expression de Wang Zhi s'adoucit légèrement : "Messieurs, veuillez vous installer dans le salon, je vous rejoindrai dans un moment."

Wang Zhi, couvert de sang de poulet, devait évidemment se changer. Ayant vu Pang Qi et les autres se retenir de rire, il roula des yeux et partit.

Ding Rong guida le groupe vers le salon et ordonna aux serviteurs de servir du thé.

Peu de temps après, la première personne à entrer ne fut ni Wang Yue ni Wang Zhi, mais plutôt le taoïste.

Lui aussi s'était changé, ayant troqué son apparence désordonnée pour une tenue propre, lui donnant une allure plus digne et sereine.

Voyant que Sui Zhou et Pang Qi ne faisaient pas attention à lui, il se tourna vers Tang Fan et le salua : "Je suis Chuyunzi, du temple Baiyun (NT : nuage blanc) de la montagne Longhu." (NT : l’un des berceaux du Taoisme)

En entendant le nom de la montagne Longhu, les sourcils de Tang Fan se levèrent légèrement et il se leva pour sourire : "Je suis Tang Fan, Vice-ministre de la Cour. Vous êtes un maître taoïste de la montagne Longhu, quel honneur !"

Depuis Zhang Daoling (NT : fondateur d’une des premières écoles taoistes, l’école des cinq boisseaux de riz), la montagne Longhu était devenue un important centre du taoïsme. Lorsque la dynastie actuelle avait été fondée, le gouvernement avait continué de désigner le maître taoïste de la montagne par le titre de Maître céleste. Le nom de Zhang Tianshi (NT : Maitre céleste Zhang) était donc bien connu, et entendre parler de la montagne Longhu faisait immédiatement penser à lui.

L'empereur Chenghua avait été fasciné par les arts mystiques ces dernières années, sinon des gens comme Li Zisheng n'auraient pas gagné sa faveur. À l'origine, l'empereur espérait inviter Zhang Tianshi à la cour pour enseigner, mais ce dernier avait refusé en prétextant une retraite spirituelle.

Les sectes réputées et justes savaient bien comment survivre, sachant que se montrer maintenant pourrait leur attirer des ennuis plus tard, lorsque les ministres les accuseraient d'avoir corrompu l'empereur. Ainsi, la montagne Longhu restait à l'écart de ces troubles.

Cependant, si la montagne Longhu se tenait à l'écart, d'autres n’hésitaient pas à saisir cette opportunité, comme l’avait fait Li Zisheng.

Voyant que Tang Fan se montrait courtois, Chuyunzi sourit humblement : "Bien que je pratique sur la montagne Longhu, je ne fais pas partie de la lignée orthodoxe de Tianshi, je ne mérite donc pas le titre de maître céleste taoïste."

Étant donné son honnêteté, Tang Fan changea son appellation : "Êtes-vous ici à l'invitation du Général Wang ou du Seigneur Wang, Prêtre ?"

Sans changer d'expression, Chuyunzi répondit : « En voyageant, j'ai remarqué une épaisse nuée noire au-dessus de la ville de Datong, signe probable de l'activité de démons. En calculant, j'ai prédit qu'une catastrophe allait bientôt frapper cet endroit. C'est pourquoi je suis venu rendre visite. Le général Wang et le seigneur Wang étaient préoccupés, mais en me voyant, ils furent extrêmement réjouis et demandèrent mon aide pour résoudre la situation. En tant que moine, je me devais de les aider par compassion. »

Tang Fan "...".

Même si l’autre parlait de manière éloquente, Tang Fan, qui était lui-même un maître à la langue de lotus (NT : un maitre de la rhétorique), comprit rapidement que ce Chuyunzi n'était venu que pour offrir ses services.

« Euh, maître... » commença Tang Fan, hésitant.

« Si le censeur Tang a des questions, n'hésitez pas à les poser », répondit Chuyunzi avec sérieux.

Tang Fan toussota légèrement. « L’expression “ par compassion” est habituellement utilisée dans le bouddhisme, non ?»  (NT : voir note explicative 1 en fin de chapitre bouddhisme / taoisme)

Pfff.  Des rires étouffés se firent entendre dans le salon ; Pang Qi et les autres n’avaient visiblement pas pu se retenir.

Sui Zhou, quant à lui, resta impassible et continua de siroter son thé avec calme.

Chuyunzi, habitué aux voyages et aux situations délicates, ne se troubla pas. Il sourit et répondit : « Que ce soit en suivant le bouddhisme ou le taoïsme, le but est de comprendre notre vraie nature et de guider les gens vers la bonté. Pourquoi établir une distinction si strictement ? »

« C'est moi qui suis trop rigide », répondit Tang Fan avec un sourire. Il respectait la sagesse de Chuyunzi, reconnaissant en lui un homme de valeur.

Après qu’ils aient échangé quelques mots supplémentaires, Wang Yue et Wang Zhi entrèrent tour à tour.

Après les salutations d’usage, tout le monde prit place.

Wang Yue dit alors : « J'ai entendu dire que le censeur Tang et le commandant Sui ont rencontré des difficultés en entrant en ville. Il y avait en fait des raisons particulières, et je tiens à m'excuser au nom de ces débutants aveugles pour cette mésaventure ! »

Il se leva et s'inclina profondément.

C’était un général de deuxième rang avec le titre de ministre des Armées et un lauréat des examens impériaux, Tang Fan et Sui Zhou ne pouvaient se permettre de rester assis. Ils se levèrent et rendirent son salut.

Tang Fan répondit : « Général Wang, ce n’est pas nécessaire. Nous avons déjà entendu les explications de Ding Rong en chemin et nous comprenons. Si des criminels s'étaient infiltrés en se faisant passer pour des fonctionnaires, les conséquences auraient été désastreuses ! »

Wang Yue sourit amèrement : « Nous n’avions jamais imaginé que ces malfaiteurs seraient assez audacieux pour se pavaner en ville en prétendant être des membres de la famille officielle. Depuis, nous avons dû redoubler de vigilance. »

Avec son expérience et son prestige, Wang Yue n’avait pas besoin de se justifier autant devant Tang Fan et Sui Zhou, mais il avait été absent de la capitale pendant longtemps, et ce groupe avait été envoyé par l'Empereur. Il craignait qu’ils ne gardent rancune et se plaignent à leur retour à la capitale. Il lui fallait donc absolument entretenir de bonnes relations.

Wang Zhi, impatient de ces échanges de politesses, intervint : « Puisque vous êtes nouveaux ici, laissez-moi vous expliquer la situation actuelle. »

Tang Fan répondit : « Nous t’écoutons, Eunuque Wang. »

Lorsque Wang Zhi prit la parole, il fut naturellement plus détaillé que Ding Rong.

Tang Fan et ses compagnons avaient déjà entendu Ding Rong, mais certaines choses étaient restées floues. Les explications de Wang Zhi les éclairèrent davantage.

Depuis la fondation de la dynastie Ming, le Nord avait toujours été agité. Plus tard, l'empereur Yongle, malgré l'opposition de nombreux ministres, avait transféré la capitale à Pékin (NT : La première capitale des Ming fut la métropole méridionale Nanjing). Outre le fait qu'il ne supportait pas le climat du Sud, il voulait que ses descendants soient directement aux premières loges pour surveiller les menaces du Nord et protéger les frontières. Cependant, après la défaite de Tumu, les trois grands bataillons de Pékin furent anéantis, plongeant la dynastie Ming dans la peur.

Lorsque les Oirats (NT : peuples mongols occidentaux) faiblirent, les Tatars émergèrent comme une nouvelle menace au Nord, et personne ne croyait que l'armée Ming pourrait les vaincre.

Cependant, Wang Yue persuada Wang Zhi de demander la permission de l’empereur pour engager le combat. L’empereur accepta finalement, et la campagne dura plus de deux ans.

Les deux quittèrent la capitale et travaillèrent ici, construisant des forces à partir de rien, entraînant les troupes jour et nuit, jusqu’à renverser la situation. Les Tatars, autrefois si arrogants, furent réduits à la peur. Alors qu’ils venaient initialement jusqu'à vingt fois par an, ils n’osaient désormais plus venir que quelques fois par an. C’était une victoire éclatante dont on pouvait être fier.

Cependant, cette situation avait commencé à changer depuis la fin de l'année précédente.

Les Tatars, habituellement directs et adeptes des attaques frontales avant de se retirer rapidement, semblaient soudainement avoir appris l'art de la ruse. Ils employaient désormais toutes sortes de stratagèmes, envoyant des espions, tendant des embuscades et multipliant les cachettes tels des lapins rusés. Ces tactiques déstabilisaient complètement l'armée Ming.

Sur le champ de bataille, ce n'était pas trop problématique. Avec l'héritage des stratégies de Sun Tzu et Sun Bin (NT : stratèges militaires reconnus pour leur génie), même si les généraux Ming tombaient dans un piège une ou deux fois, ils finissaient par apprendre. Cependant, les problèmes en dehors du champ de bataille étaient plus difficiles à gérer.

Chaque mouvement de l'armée Ming semblait être connu des Tatars à l'avance. Ils se préparaient en conséquence et, à plusieurs reprises, ils contournèrent les zones les mieux défendues pour frapper les points faibles, rendant toute défense difficile.

En réponse, Wang Yue ordonna une fouille générale dans toute la préfecture de Datong. Plusieurs groupes d'espions furent découverts, dont l'un se faisant passer pour les membres de la famille d'un fonctionnaire retraité de la préfecture de Pingyang. Les soldats à la porte de la ville, trompés, les avaient laissés entrer, et ce n'est que lors de la fouille générale qu'ils furent démasqués.

Malgré ces efforts, la tendance ne fut pas endiguée. Il était impossible de fermer complètement la préfecture de Datong, et parmi les allées et venues des citoyens, des espions pouvaient se dissimuler. De plus, avant chaque bataille, les commandants Ming devaient se réunir pour planifier, et malgré leur discrétion, il suffisait qu'un détail soit divulgué pour que les Tatars en soient informés.

Wang Yue et Wang Zhi organisèrent plusieurs fouilles massives, mais sans réussir à éradiquer complètement la source des fuites.

Mais ce n'était pas le pire problème.

Depuis deux mois, les Tatars avaient attaqué cinq fois, repoussés à chaque fois par l'armée Ming. Cependant, trois groupes de soldats Ming disparurent lors des poursuites. Le troisième groupe fut retrouvé avec seulement sept survivants, qui, comme l'avait dit Ding Rong, étaient terrifiés. Ils affirmèrent avoir pénétré dans une zone hantée et que leur survie n'avait été possible que grâce au retard qu’ils avaient pris par rapport au reste de la troupe.

À ce stade, certains pourraient se demander pourquoi les soldats Ming tombaient toujours dans le piège alors qu'il est dit de ne pas poursuivre un ennemi en déroute. Cependant, si vous posez une telle question, cela signifie que vous n’êtes pas familier avec les affaires militaires. Il existe aussi le principe de "profiter de la victoire pour poursuivre". En tant que général avec une riche expérience militaire, Wang Yue ordonnait ces poursuites lorsqu'il jugeait l'ennemi en fuite et la poursuite utile.

Ces événements imprévus contrecarrèrent leurs plans et, inévitablement, des nouvelles de ces échecs parvinrent à la capitale, fournissant aux ennemis politiques de Wang Yue et Wang Zhi des occasions de les critiquer.

Le précédent gouverneur de Datong fut remplacé par Guo Tang, arrivé deux semaines avant Tang Fan et les autres. Dès son arrivée, il s'opposa à Wang Yue et Wang Zhi, rapportant probablement leurs désaccords à la cour, ce qui plaça Wang Yue et Wang Zhi dans une position délicate.

Wang Yue, sachant que Wang Zhi et Tang Fan étaient en bons termes et opposés à Wan An et sa faction, espérait que leur arrivée aiderait à contenir l'influence de Guo Tang, afin que l'empereur ne continue pas à mal interpréter la situation à Datong, pensant que Wang Yue et Wang Zhi étaient incapables de se battre.

Mais les disparitions des soldats ne pouvaient être dissimulées, et des rumeurs se répandirent rapidement. On disait que les Tatars avaient recours à des forces surnaturelles pour faire disparaître les soldats, ce qui minait le moral des troupes. Même Wang Zhi trouvait cela inquiétant. Lorsque Chuyunzi se présenta, après avoir vérifié son identité, il lui permit d'effectuer un rituel pour chasser les mauvais esprits, ce qui aboutit à la scène ridicule que Tang Fan et ses compagnons avaient vue.

Après avoir écouté Wang Zhi, Tang Fan demanda : « Où est le gouverneur Guo actuellement ? »

Wang Zhi répondit avec froideur : « Il dédaigne les rituels de Chuyunzi, les qualifiant de superstitions, et refuse de s'associer avec nous. Il est parti en agitant ses manches (NT : furieux). »

Chuyunzi, à côté, ajouta : « Les arts taoïstes sont vastes et profonds. Tant que nous gardons un esprit juste et agissons pour le bien, nous suivons le vrai chemin. Le gouverneur Guo est trop borné. »

Tang Fan secoua la tête et dit à Wang Zhi : « N'as-tu pas peur qu'il rapporte cela à l'empereur et vous accuse de négliger vos devoirs ? »

Wang Zhi répondit : « N'oublie pas que l'empereur a récemment montré un grand intérêt pour les arts taoïstes. Si Guo Tang fait un tel rapport, cela pourrait finalement nous aider. »

Tang Fan resta sans voix, réalisant que leur intention était de provoquer délibérément Guo Tang.

Wang Yue soupira avec un sourire : « Quand Guo Tang était là, nous étions complètement restreints. Ses rapports partaient sans cesse pour la capitale, et personne ne prenait notre défense. Heureusement, Sa Majesté est éclairée et sait qu'il faut écouter toutes les parties. Maintenant que vous êtes là, je me sens enfin soulagé ! »

Ces derniers temps, il devait non seulement diriger les opérations militaires, mais aussi enquêter rigoureusement sur les espions ennemis et se défendre contre les rapports constants de Guo Tang. La pression intérieure et extérieure était épuisante, tant mentalement que physiquement.

Bien que ses paroles s'adressent à deux personnes, Wang Yue ciblait principalement Sui Zhou. En effet, seuls les rapports des gardes brocarde pouvaient atteindre directement l'oreille de l'empereur sans passer par le ministère des Rites et le cabinet, évitant ainsi tout risque de censure en cours de route. Même Tang Fan, en tant que censeur impérial, ne bénéficiait pas de cette prérogative. C'est pourquoi les gardes brocarde étaient autant respectés que craints, en raison de cette particularité unique.

Sous le regard insistant de Wang Yue, Sui Zhou acquiesça discrètement : « Toutes les enquêtes seront fidèlement rapportées. »

La réponse de Sui Zhou soulagea Wang Yue, qui afficha un sourire encore plus chaleureux.

L'affaire principale étant réglée, Wang Yue et Wang Zhi, en tant qu'hôtes, décidèrent d'organiser un repas pour accueillir Tang Fan et ses compagnons, épuisés par leur voyage. Ils préparèrent une table au quartier général des troupes, sans inviter Guo Tang. Une table fut dressée pour Tang Fan et Sui Zhou, tandis que Pang Qi et les autres en avaient une autre. Le repas comprenait un pot-au-feu à base de bouillon d'os, de tendres morceaux de viande d'agneau, divers abats de mouton, ainsi que du tofu, des champignons et d'autres légumes.

Tous étaient affamés et mangèrent avec appétit. Chuyunzi, assis parmi eux, se régalait également. Voyant que Tang Fan l'observait de temps en temps, il expliqua : « Je pratique le Zhengyi Dao et non le Quanzhen Dao, je ne suis donc pas obligé de suivre un régime végétarien. Le Seigneur Tang semble avoir une affinité et une compréhension profonde du Taoïsme, pourquoi ne pas rejoindre ma secte ? »

(NT : Zhengyi Dao : chemin de l’unité orthodoxe. Branche du Sud de la Chine d’écoles Taoistes spécialisées dans les talismans, les patriarches se prétendent Maîtres célestes, et descendants directs de Zhang Daoling.

Quanzhen Dao : chemin de la vérité complète. École prédominante dans le Nord pratiquant la méditation ascétique et réputée pour son ascèse, fortement monacale),

Il ajouta avec un clin d'œil : « Le Zhengyi Dao ne vous empêche pas de vous marier et d'avoir des enfants ! »

Tang Fan, embarrassé, répondit en souriant : « Merci pour votre offre, mais mes nombreuses responsabilités ne me permettent pas de me consacrer pleinement à la cultivation spirituelle. »

Après ces paroles, il croisa brièvement le regard de Sui Zhou, qui souriait légèrement, ce Qui le mit encore plus mal à l'aise. Il détourna rapidement les yeux.

Après le repas, le moment était venu de parler affaires. Chuyunzi se retira discrètement, suivi par Pang Qi et les autres.

Wang Yue invita Sui Zhou dans son bureau pour une discussion privée, tandis que Wang Zhi et Tang Fan restèrent dans le salon adjacent.

Tang Fan demanda : « Ce Chuyunzi vient-il vraiment du mont Longhu ? »

Wang Zhi répondit : « Comment pourrais-je le savoir ? »

Tang Fan, surpris : « ... Alors pourquoi l'avoir gardé ici et écouté tout ce qu'il avait à dire ? »

Wang Zhi répondit : « Justement parce que je voulais le garder ici, plus il parle, mieux c'est.»

Tang Fan comprit : « Tu le soupçonnes depuis le début, et c'est une façon de le tester ? »

Wang Zhi se leva et se mit à marcher dans la salle : « Ce n'est pas certain. Avant son apparition, les Tatars avaient déjà été informés à plusieurs reprises. Cependant, cet homme est effectivement suspect. Plutôt que de le laisser errer à l'extérieur, il vaut mieux le garder près de nous pour le surveiller de près. »

Tang Fan sourit : « Je ne m'attendais pas à ce que tu maîtrises si bien les stratégies de déception en seulement deux ans à Datong, c'est impressionnant ! »

Wang Zhi répliqua froidement : « Et ça sert à quoi ? Même le Dépôt de l’Ouest a été complètement démantelé ! Je savais dès que Shang Ming s'est rangé du côté de Wan Tong, qu’il utiliserait son influence pour m'attaquer. »

Bien qu'il paraisse calme, Wang Zhi était clairement très affecté par cette affaire, sinon il n'aurait pas évoqué Shang Ming avec tant de rancœur.

Ce qui était compréhensible.

Peu importe les qualités ou les défauts du Dépôt de l’Ouest, c'était une force qu'il avait construite de ses propres mains, capable de rivaliser avec le Dépôt de l’Est en quelques années seulement. Et pourtant, elle fut éliminée en un instant.

N'importe qui serait furieux à sa place.

Tang Fan en rajouta : « En fait, la disparition du Dépôt de l’Ouest n'est pas une si mauvaise chose. »

Ignorant le regard meurtrier de Wang Zhi, Tang Fan prit une gorgée de thé avant de continuer lentement : « Ne te précipite pas, écoute-moi d'abord. »

« Oublions le Dépôt de l’Ouest pour l'instant. Depuis la création du Dépôt de l’Est, combien de ses chefs ont connu une fin heureuse ? Si tu en connais, énumère-les pour moi. Prenons des exemples récents : Huai En et Liang Fang, ces vieux renards n'ont jamais touché aux affaires du Dépôt de l’Est, n'est-ce pas ? C'est précisément parce qu'ils comprenaient bien les fluctuations de pouvoir qu'ils préféraient rester à l'écart. »

« Ne te fie pas à l'apparente prospérité de Shang Ming. Bien qu'il dirige le Dépôt de l’Est et soit allié avec la faction Wan, leur relation est basée sur l'intérêt et n'est pas solide. Au moindre problème, ils sacrifieront Shang Ming en premier. »

« Je sais que tu as construit le Dépôt de l’Ouest de tes propres mains et que tu y tiens. Cependant, sa disparition est finalement bénéfique pour toi. Une fois les affaires ici réglées, lorsque tu soumettras un rapport à l'empereur, mentionne également le Dépôt de l’Ouest. L'empereur, touché par ta loyauté, te rappellera certainement à la capitale. »

Wang Zhi comprenait probablement déjà ces arguments, mais il ne pouvait se résoudre à accepter la perte de son immense pouvoir. Même s'il retournait à la capitale après la guerre, il ne serait qu'un eunuque sans influence. Ses anciens alliés l'abandonneraient, et personne ne le respecterait.

« Tu parles bien, mais ne croie pas que je ne vois pas que toi, comme tous ces fonctionnaires, souhaitais la fin du Dépôt de l’Ouest! » rétorqua Wang Zhi avec un sourire cynique.

« C’est vrai, je pense depuis longtemps que le Dépôt de l’Ouest n’avait pas lieu d’exister », avoua Tang Fan franchement.

Wang Zhi le fixa longuement, mais voyant que cela n’affectait en rien Tang Fan, qui continuait de sourire, il se découragea.

Tang Fan sourit : « Nous nous connaissons depuis des années, tu sais bien que mes propos ne sont pas dirigés contre toi. Ce n’est pas seulement le Dépôt de l’Ouest, mais aussi le Dépôt de l’Est et les gardes Brocarde. Tous ceux qui connaissent les raisons de leur création ne peuvent pas penser qu’ils devraient exister. Imagine les dynasties Qin, Han, Tang ou Song, ont-elles jamais eu besoin de surveiller les fonctionnaires pour maintenir le contrôle ? On pourrait dire que les gardes Brocarde sont une épée à double tranchant, avec leurs avantages et leurs inconvénients, mais le dépôt de l’Est n’apporte aucun bénéfice. Nous, les fonctionnaires civils, rêvons de le voir disparaître. »

Wang Zhi, avec une tonalité sinistre, répliqua : « Tang Runqing, tu as vraiment du cran pour critiquer les règles établies par l’Empereur Taizu et l’Empereur Yongle ! »

Tang Fan, d’un air innocent, répondit : « Je te considère comme un ami, voilà pourquoi je te parle à cœur ouvert. Comment pourrais-tu appeler cela une critique ? »

Wang Zhi l’ignora.

Tang Fan continua : « Tu ne peux pas blâmer entièrement Wan Tong et Shang Ming pour la disparition du Dépôt de l’Ouest. Même moi, je ne voulais pas qu’il continue d’exister, alors imagine ce que pensent les autres fonctionnaires de la cour. Le Dépôt de l’Est est trop enraciné pour qu’on puisse l’éliminer, mais le Dépôt de l’Ouest, encore jeune, pouvait être arrêté avant de devenir un géant. Même sans Shang Ming et Wan An, d’autres auraient demandé sa dissolution. »

En entendant la satisfaction apparente de Tang Fan, Wang Zhi ne put contenir sa colère.

Après un effort pour calmer sa colère, il ricana : « Alors tout se passe comme tu le souhaitais ? »

Tang Fan sourit calmement, feignant de ne pas remarquer son ton acerbe : « Cela nous ramène à ce que je disais plus tôt. Comme le dit le proverbe, le bonheur et le malheur se tiennent par la main. Ce qui semble bon peut ne pas l’être, et ce qui semble mauvais peut avoir des avantages cachés. Regarde, des hommes sages comme Huai En et Liang Fang n’ont jamais voulu toucher aux affaires du Dépôt de l’Est. La disparition du Dépôt de l’Ouest pourrait être une bonne chose pour toi. »

« Je sais que tu cherches à accomplir de grandes choses. Un homme doit aspirer à de telles ambitions, mais ta position rend tout plus difficile pour toi, dix, voire cent fois plus que pour les autres. Tu es différent de Huai En ou Shang Ming. Tu ne te concentres pas sur la cour ou la capitale, mais sur les frontières lointaines. Cette ambition est admirable. Permets-moi de deviner, tu admires Zheng He (NT : eunuque impérial de l’Empereur Yongle, amiral de la flotte impériale ayant fait de grandes expéditions exploratrices), n’est-ce pas ? »

Wang Zhi, malgré lui, demanda : « Comment le sais-tu ? »

Tang Fan sourit : « Zheng He a accompli de grandes choses en servant l’Empereur Yongle, presque autant que les grands ministres. S’il n’avait pas été eunuque, il aurait été anobli. Il est allé sept fois en Occident, ses expéditions maritimes ont laissé une marque indélébile dans l’histoire, qui rend hommage à sa mémoire. Ses exploits sont tels que beaucoup souhaitent avoir vécu à son époque pour admirer sa grandeur. »

Cependant, le point de vue de Tang Fan était différent de celui de beaucoup de gens.

Ces mots touchèrent Wang Zhi, grand admirateur de Zheng He.

Après un moment de silence, Wang Zhi dit : « Tu as raison, je respecte profondément Zheng He. Je regrette de ne pas avoir vécu à son époque pour le suivre dans ses campagnes. Aujourd’hui, même pour combattre les Tatars, nous hésitons. Même après une victoire, nous sommes critiqués par les mesquins. Si l’Empereur Yongle était encore vivant, ce ne serait pas ainsi ! »

À la fin, son ton était un peu haineux.

Tang Fan secoua la tête : « Tu te trompes. Pour suivre Zheng He, tu n’as pas besoin de te concentrer uniquement sur ses exploits militaires. Ses expéditions maritimes ont également laissé une empreinte durable. »

Wang Zhi fronça les sourcils : « Ces expéditions étaient coûteuses et inutiles, comment pourrais-je les imiter ? »

Tang Fan sourit : « Elles étaient coûteuses, certes, mais pas sans bénéfices. »

Bien que l’Empereur Taizu ait interdit les voyages maritimes, Tang Fan, ayant voyagé dans le sud, avait vu les pêcheurs souffrir de cette interdiction, certains étant contraints de fuir illégalement, et ce nombre augmentait chaque année dans les rapports officiels. L’interdiction maritime n’était qu’une façade, empêchant les citoyens respectueux des lois, mais pas ceux prêts à tout pour survivre. De plus, de nombreux marchands maritimes faisaient déjà du commerce clandestin avec les pays étrangers, certains collaborant même avec des pirates pour piller les côtes.

Les voyages de Zheng He, utilisant des navires officiels, ne violaient pas l’interdiction, mais ils avaient en fait assoupli les restrictions maritimes. Après Zheng He, aucune autre expédition officielle n’avait été entreprise, car beaucoup considéraient ces voyages comme inutiles. Cependant, Tang Fan avait vu de ses propres yeux les bénéfices du commerce maritime, et savait que cette ancienne opinion était erronée.

En raison de l’interdiction maritime par la cour, ces commerçants maritimes étaient tous impliqués dans la contrebande illégale. Les autorités fermaient les yeux et ne prélevaient pas de taxes commerciales, ce qui faisait que ces sommes d’argent étaient perdues chaque année. La cour se plaignait constamment de manquer d’argent pour les secours en cas de catastrophe, mais elle ignorait une méthode de taxation légale et non perturbatrice, ce qui désespérait Tang Fan.

Après avoir écouté l’explication de Tang Fan, Wang Zhi comprit soudainement : “Tu veux que je propose à l’empereur de lever l’interdiction maritime et de reprendre les expéditions ? Tu sais bien que nous ne sommes plus à l’époque de Yongle. De plus, il n’y a plus de chantiers navals, et les quelques navires de trésor restants datent tous de l’ère Yongle. Ils sont maintenant incapables de naviguer en haute mer. Même si c’était possible, dès que les gens entendraient parler d’expéditions maritimes, ils accuseraient encore que c’est du gaspillage. Si nous laissions seulement les navires civils naviguer, cela irait à l’encontre des lois ancestrales, et ils se mettraient en colère. Veux-tu m’aider ou me nuire ?”

Tang Fan sourit légèrement : “Les navires officiels ne sont qu’une façade. Il existe des solutions gagnant-gagnant. Je veux seulement te dire de ne pas te limiter dans ta vision. Si tu veux accomplir des exploits inégalés, tu dois avoir une vision plus large.”

Wang Zhi, sceptique, demanda : “Quelle est ta solution ?”

Tang Fan répondit : “J’ai suggéré plus tôt de taxer les commerçants maritimes pour augmenter les revenus du trésor. Tu n’es pas opposé à cela, n’est-ce pas ?”

Wang Zhi acquiesça.

Tang Fan continua : “Le problème actuel est que si nous utilisons seulement des navires officiels et pas les navires civils, la cour ne pourra pas supporter le coût et n’en tirera aucun bénéfice. Si nous utilisons seulement des navires civils sans les navires officiels, cela ira à l’encontre des lois ancestrales. N’est-ce pas ?”

Wang Zhi acquiesça de nouveau.

Tang Fan sourit : “C’est donc facile à résoudre. La cour peut créer un yamen (NT : bureau officiel) dédié à la perception des taxes maritimes, avec un nombre limité de licences de sortie par an. Les commerçants maritimes pourront acheter ces licences pour commercer sous l’égide officielle. Les revenus seront taxés par la cour. Ceux qui sortent sans licence seront sévèrement punis.”

“Les taxes collectées seraient réparties ainsi : 60 % pour le trésor public et 40 % pour le trésor privé de l’empereur. De cette manière, la cour et l’empereur en bénéficieraient, et puisque les expéditions se feraient sous une égide officielle, elles ne violeraient pas l’interdiction ancestrale. Les objections seraient donc minimisées.”

“Plus important encore, si cette initiative réussit, tu pourrais superviser le bureau maritime, contrôlant cette nouvelle source de revenus. Ta position serait inattaquable, et l’empereur ne pourrait se passer de toi. N’est-ce pas une excellente opportunité ?”

Un silence tomba dans la salle, seulement brisé par la respiration lourde de Wang Zhi. Avec ses compétences, il ne devrait pas respirer aussi fort.

Il fixa Tang Fan un long moment avant de dire : “Tu ferais un excellent marchand véreux, quel gâchis de ne pas l’être !”

Tang Fan répondit : “…Est-ce un compliment ou une insulte ? Cela ne ressemble pas à un compliment.”

Wang Zhi fit un geste de la main : “Considère-le comme un compliment !”

Il se mit à marcher plus vite, réfléchissant aux paroles de Tang Fan. Lorsqu’il comprit pleinement les implications, il réalisa que le plan de Tang Fan était viable.

Lever l’interdiction maritime rencontrerait une résistance considérable, mais selon le plan de Tang Fan, cette résistance serait réduite. Et s’il n’y avait pas de résistance, d’autres auraient déjà sauté sur l’occasion, cela ne lui reviendrait pas.

Cependant, les paroles de Tang Fan ouvraient à Wang Zhi une nouvelle perspective, l’invitant à considérer des opportunités jamais envisagées auparavant. Alors qu’il pensait qu’il avait épuisé les montagnes et les rivières (NT : qu’il était dans une impasse), les conseils de Tang Fan dissipèrent ses doutes, écartant les nuages pour révéler la lune, éclairant son esprit comme un miroir nettoyé de toute poussière.

Avec le temps, l’excitation s’estompa, et Wang Zhi retrouva son calme. Il pensa à de nombreux problèmes potentiels : “Le parti de Wan ne restera pas les bras croisés en me voyant revenir, et même si l’interdiction maritime est levée, ils chercheront à en profiter, et je n’aurai pas le contrôle total.”

Tang Fan acquiesça : “C’est vrai, donc ce n’est pas pour maintenant. De plus, pour éradiquer les commerçants clandestins alliés aux pirates, la cour devra former une marine puissante. Ce n’est pas une tâche à court terme. Pour l’instant, la priorité est de résoudre les problèmes à Datong et de remporter cette bataille. Ensuite, nous pourrons retourner à la capitale en toute légitimité.”

Wang Zhi se redressa, plein de détermination : “Tu as raison, le présent est crucial. Xes petits fils (NT : apostrophe péjorative) ne veulent pas que je revienne, mais je reviendrai !”

Tang Fan avait réussi à raviver la combativité de Wang Zhi, effaçant son découragement.

Wang Zhi, capable de lâcher prise, se concentra sur la situation actuelle, mettant de côté le dépôt de l’Ouest. Il se préoccupait de comment résoudre la crise actuelle.

Tang Fan demanda : “Explique-moi la situation ici. Avec Yunzi présent, il était difficile d’en parler en détail.”

Wang Zhi répondit : “Les espions tatars posent problème. Je soupçonne qu’il y ait des traîtres parmi nous.”

Tang Fan, en entendant cela, se redressa involontairement : « Que veux-tu dire ? »

 

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Note du traducteur

(1)  Bouddhisme et taoïsme

Le taoïsme et le bouddhisme sont deux traditions de pensée majeures en Asie. Ils partagent des aspects spirituels et philosophiques, mais leurs croyances, pratiques et points de vue sur la vie individuelle, la société, les valeurs, la culture et l'environnement sont totalement différents. 

Le taoïsme a pour origines les enseignements de Laozi (Chine). Il met l'accent sur l'harmonie avec le monde naturel (Wu wei : alignement sur le flux naturel des choses sans forcer. Yin et Yang : la dualité complémentaire, représentant les forces opposées mais interdépendantes présentes dans l'univers) et le Tao/Dao, ou "la Voie". Les pratiques incluent la méditation, le tai chi, et divers rituels. Le but ultime est l'harmonisation avec le Tao, qui conduit à une vie en accord avec la nature et les lois universelles.

Le bouddhisme a été fondé par Siddhartha Gautam (Inde). Il se base sur les principes fondamentaux des quatre nobles vérités (de la souffrance à la cessation de la souffrance) et le noble sentier octuple (ensemble de pratiques visant à conduire à la cessation de la souffrance et à l'illumination). Il se concentre sur la cessation de la souffrance et l'atteinte de l'illumination par la pleine conscience, une conduite éthique et le développement de la sagesse et la compassion.

 

Traducteur: Darkia1030