« Un tremblement de terre ? » Tang Fan, encore à moitié endormi, n’avait pas retrouvé toute sa lucidité. À ce moment précis, il était bien loin de sa perspicacité et de son calme habituels : ses yeux sombres, légèrement voilés, trahissaient une confusion innocente. Son vêtement léger pendait négligemment sur lui, dévoilant une large partie de sa poitrine nue.
Bien qu’il fût un lettré, Tang Fan n’était pas totalement dépourvu d’entraînement physique. Il maîtrisait les six arts confucéens (NT : les rites, la musique, le tir à l’arc, la conduite des chars, la calligraphie,les mathématiques. Ces disciplines étaient conçues pour développer des individus équilibrés, capables de contribuer positivement à la société) y compris le tir à l’arc. Cela lui donnait une silhouette agréable à regarder, loin de l’image des érudits frêles incapables de soulever un poulet, dont le torse dénudé révélait à peine autre chose que leurs côtes.
Sui Zhou, en revanche, aimait particulièrement cette facette rare et vulnérable de Tang Fan. Cela lui donnait un sentiment possessif, ‘Cet homme est à moi. Moi seul peux témoigner de ce côté de lui.’
Peu de gens le savaient, mais l’instinct de possession du Comte Sui était, en vérité, très fort.
« Shandong, Tai’an. » Sui Zhou insista sur l’emplacement en ajustant naturellement les lanières du vêtement de Tang Fan et en lui passant une veste sur les épaules.
Bien que Sui Zhou lui-même ne soit pas exactement habillé de manière irréprochable, il tenait surtout à ce que Tang Fan ne prenne pas froid.
Les épaules et le dos de Tang Fan furent réchauffés, mais le froid de l’air qui frôlait encore son cou fit naître un léger frisson. Ce tremblement l’éveilla enfin un peu.
« Comment l’as-tu su ? »
« La nouvelle est déjà parvenue au palais. Wang Zhi a envoyé quelqu’un pour nous en informer. »
Le bruit des coups frappés à leur porte, bien que léger, avait été particulièrement saisissant au cœur de la nuit. Tang Fan, profondément endormi, ne l’avait pas entendu, mais ce n’était pas le cas de Sui Zhou.
Un tremblement de terre signifiait toujours une catastrophe. Et s’il survenait au mont Tai (1), cela revêtait une importance toute particulière.
Les rois, investis de leur mandat céleste, gravissaient le mont Tai pour y organiser des cérémonies de consécration, symbole de leur légitimité divine. Pourquoi ? Parce que, dans la tradition chinoise, l’Est était considéré comme une direction porteuse de bénédictions, et le mont Tai, situé dans cette région, incarnait un lieu de convergence spirituelle. Gravir le mont Tai représentait l’apogée de la stabilité et de la prospérité : « Une fois que Tai est accompli, tout devient serein. » Ainsi, depuis les temps anciens jusqu’à la dynastie Qin, des empereurs avaient régulièrement organisé des rites fengshan (NT : rituels et sacrifices pour rendre hommage au ciel et à la terre) sur ce mont. Ce modèle fut repris et perpétué par les dynasties suivantes.
En contraste des nombreuses conjectures qui pourraient surgir après le passage d'une comète au-dessus de la Grande Ourse, si un tremblement de terre survenait dans cette région, cela n’évoquait qu’une seule chose pour tous : un châtiment céleste adressé à l’empereur.
L’empereur aurait-il commis une faute ? Il y en avait certainement plusieurs possibles.
Même en l’absence de fautes flagrantes, les lettrés saisissaient toujours l’occasion pour associer de telles catastrophes à un comportement à corriger, exhortant l’empereur à renoncer à de grands travaux ou à mieux veiller au bien-être de son peuple. Et en l’occurrence, une affaire capitale était justement en cours.
L’empereur envisageait de destituer le prince héritier.
Voyez plutôt : à peine cette idée effleurait-elle l’esprit impérial que, comme par hasard, un tremblement de terre frappait le mont Tai. N’était-ce pas un avertissement direct du ciel ?
Si l’empereur persistait, ce tremblement de terre pourrait n’être qu’un début.
Tang Fan, bien sûr, n’était pas aussi superstitieux que le commun des mortels. Il ne croyait pas réellement que le tremblement de terre était lié à l’idée de destituer le prince héritier. Toutefois, il ne faisait aucun doute que cette nouvelle allait ébranler la détermination de l’empereur, même la plus ferme.
C’était une opportunité unique sur mille ans, une chance inestimable.
Si Wang Zhi n’avait pas dépêché quelqu’un pour leur transmettre la nouvelle, Tang Fan et ses alliés n’en auraient eu connaissance qu’en se rendant au cabinet le lendemain, risquant ainsi de perdre un temps précieux.
Sans hésiter, Tang Fan se leva et s’habilla rapidement, déterminé à rendre visite sans tarder à Liu Jian, Xu Pu et d’autres alliés. Ensemble, ils rédigeraient chacun une pétition pour souligner l’ampleur de la catastrophe, l’exagérant même, afin de dissuader l’empereur de poursuivre son projet de destitution du prince héritier.
Depuis un certain temps, une compréhension tacite s’était installée entre Tang Fan et Sui Zhou.
Dès que Tang Fan bougea, Sui Zhou sut ce qu’il comptait faire.
« Je t’accompagne. »
« Bien, » répondit Tang Fan sans objection. Puis, après un moment de réflexion, il ajouta : « Ton statut est délicat, et tu jouis de la confiance de Sa Majesté. Cette affaire relève des lettrés ; ne t’implique pas directement. »
Sui Zhou répliqua, avec son sérieux habituel qui dissimulait une pointe d’humour : « Je comprends. Si jamais tu mets Sa Majesté en colère, il me faudra intervenir pour plaider en ta faveur. Pourquoi irais-je m’impliquer davantage ? »
Tang Fan, mi-amusé, mi-agacé, répondit : « Tu ne pourrais pas dire quelque chose de plus encourageant ? »
Le lendemain, alors que la majorité des gens apprenaient tout juste que l’empereur avait officiellement émis l’idée de destituer le prince héritier et en avait discuté avec le cabinet, une autre nouvelle leur parvint : un tremblement de terre avait frappé le mont Tai.
Le tremblement de terre fit immédiatement grand bruit dans toute la cour impériale et parmi les fonctionnaires. Mais avant même que quiconque n'ait eu le temps de réagir, Liu Jian, Xu Pu et Tang Fan avaient déjà soumis leurs mémoires respectifs à l'empereur. Ces documents liaient directement le tremblement de terre au projet de l'empereur de destituer le prince héritier, formulant de sévères admonestations.
Ils rappelaient que le prince héritier actuel avait été désigné par l'empereur lui-même et avait même officié en son nom lors de sacrifices au Temple du Ciel, signifiant qu’il avait été reconnu par les cieux. Ils soulignaient que le prince n’avait commis aucune faute morale qui justifierait une telle destitution. Dès lors, affirmaient-ils, ce tremblement de terre sur le mont Tai était un avertissement divin adressé à l'empereur. Perturber la stabilité de l’État pour des raisons personnelles risquait de provoquer le chaos dans le pays. Était-ce vraiment ce que l’empereur souhaitait ? Les mémoires allaient même jusqu’à évoquer les ancêtres impériaux, affirmant que l’empereur Ming Taizu et les autres souverains de la dynastie en seraient profondément troublés dans l’au-delà.
Bien que chaque mémoire différait dans sa formulation, ils exprimaient tous le même message. Après les avoir lus, l’empereur choisit de ne pas y répondre immédiatement, laissant les documents dans ses appartements privés. Mais dans la capitale, aucun secret ne reste entier ; le contenu des mémoires fuita discrètement par l’intermédiaire du Bureau des Affaires de l’État, et toute la cour en eut rapidement connaissance.
Les hauts fonctionnaires des Six Ministères, des hommes avertis et aguerris, ne mirent pas longtemps à discerner les implications de ces mémoires.
Premièrement, le cabinet impérial comptait théoriquement sept membres, mais seulement trois – Liu Jian, Xu Pu et Tang Fan – avaient soumis des mémoires. Cela indiquait clairement des divisions au sein du cabinet. Certains membres soutenaient probablement la destitution du prince héritier ou, à tout le moins, ne s’y opposaient pas.
Deuxièmement, le fait que Liu Jian et ses alliés aient choisi de rédiger directement des mémoires au lieu de discuter d’abord avec l’empereur en personne laissait entendre qu’un tel dialogue avait déjà échoué.
Comme pour tout phénomène céleste, les tremblements de terre pouvaient être interprétés de diverses manières. Bien que Liu Jian et ses alliés aient lié cet événement à la question de la succession, d'autres pouvaient tout aussi bien y voir une critique de la négligence impériale dans les affaires d’État. Tout dépendait de l’interprétation que l’on choisissait de privilégier.
Ainsi, les fonctionnaires étaient confrontés à un dilemme : devaient-ils suivre l’exemple de Liu Jian en soumettant également des mémoires ? Ou bien valait-il mieux feindre l’ignorance ?
Et si mémoires il devait y avoir, devaient-ils appuyer le maintien du prince héritier ou soutenir son remplacement ?
S’associer à l’idée que le tremblement de terre était un avertissement divin contre la destitution du prince héritier, c’était s’opposer ouvertement à la faction Wan. Mais que se passerait-il si, malgré tout, l’empereur persistait et que le prince héritier était réellement démis ? Ceux qui auraient soutenu l’opposition risquaient de s’attirer la colère du nouveau prince héritier.
Nul ne pouvait prédire l’avenir. Même les astrologues qui passaient leur vie à scruter les étoiles au Bureau d’Astronomie n’arrivaient pas à percer les mystères du destin. Quant à leur propre sort, il restait tout aussi opaque.
Cependant, la roue du destin n’attendait pas. Les hésitations individuelles n’arrêtaient pas son mouvement. Même la volonté d’un empereur ne pouvait pas la faire dévier de sa course.
*
L’empereur finit par céder à la peur.
Il contempla les trois mémoires étalés devant lui, et sa détermination, pourtant si difficilement prise, fut anéantie par ce tremblement de terre.
Malgré tous les efforts de Wan An et de ses alliés pour le convaincre de maintenir sa décision, cela ne servit à rien. L’empereur, homme intelligent et loin d’être un pantin ou un imbécile, n’était pas insensible à l’impact symbolique de ce désastre naturel. Il voyait dans cet événement comme un coup de semonce, une cloche d’alarme qui l’avait réveillé en sursaut.
Au fond, il savait que Wan An et les autres ne poussaient pas à l’ascension du prince Xing par dévotion envers l’État, mais pour satisfaire leurs propres intérêts.
Toutefois, l’empereur n’avait jamais eu l’intention de destituer le prince héritier simplement pour plaire à la faction Wan. Ce n’était pas non plus uniquement par aversion envers le prince héritier, bien que cela jouât un rôle.
La véritable raison de son hésitation résidait dans son affection pour la noble dame Wan.
Des années auparavant, la perte de leur fils unique les avait plongés dans une douleur immense. Depuis, la dame Wan n’avait plus pu avoir d’enfants. Il était donc évident que leur propre lignée directe ne porterait jamais l’héritage de l’empire.
Comme la noble dame Wan préférait le prince Xing et détestait le prince héritier, elle espérait que ce serait le premier qui hériterait du trône. L’empereur, désireux de satisfaire son vœu, était prêt à accéder à sa requête. Après tout, pour lui, qu’importe que ce soit l’un ou l’autre : les deux étaient ses fils.
Mais cette fois, il hésitait. Pas en raison des objections des ministres, mais à cause de ce qu’il percevait comme un avertissement des cieux.
Les cieux s’opposaient-ils également à la réalisation de ses souhaits et de ceux de la dame Wan ?
Est-ce que les cieux estimaient également que Zhu Youyuan ne pouvait remplacer Zhu Youtang ?
*
L’empereur Chenghua n’était pas un homme totalement dénué de sens des responsabilités.
Bien qu’il s’intéressât peu à la politique, préférant élever des oiseaux, cultiver des fleurs et peindre, l’éducation stricte qu’il avait reçue en tant que prince héritier avait laissé une empreinte indélébile sur lui. Au moment critique, le désir de plaire à la femme qu’il aimait et le fardeau de la dynastie Ming pesaient lourdement dans la balance. Après une longue hésitation, il finit par privilégier la survie de l’empire.
L’empereur, serrant la main de Madame Wan avec une expression de douleur, lui parla ainsi. « Grande sœur Wan, c’est nous qui tvous avons fait du tort ! Ce n’est pas que nous refusons de nommer Zhu Youyuan, mais nous ne pouvons pas ne pas rendre de comptes à nos ancêtres impériaux ! »
« Votre Majesté, pourquoi dire cela ? C’est que je suis née sous une mauvaise étoile. Le ciel n’a pas voulu que mon fils devienne prince héritier, ne veut pas que je devienne impératrice, et ne veut même pas que l’enfant que j’ai choisi pour vous accomplisse mon souhait. Je crains que ce soit mon destin : je n’aurai jamais une telle chance dans cette vie. » Madame Wan soupira également. Bien qu’elle ait un tempérament parfois impétueux, elle n’était pas du genre à toujours exploser. Sinon, comment aurait-elle pu, dans sa jeunesse, apporter sans réserve douceur et réconfort à l’empereur, alors enfant ?
En entendant ses paroles, l’empereur se sentit encore plus coupable et déchiré. Il aimait sincèrement cette femme. Dans sa vie, il avait gagné beaucoup de choses, mais il en avait aussi perdu beaucoup. Pourtant, même s’il devait perdre son trône, il n’était pas prêt à perdre la femme qui se tenait devant lui. Mais il demeurait sur le trône des Zhu et, par tempérament, il ne pouvait ignorer toutes les voix opposées et agir avec folie.
« Non, si tu n’as pas de chance, nous t’en donnerons. Quand nous ne serons plus là, nous laisserons un testament ordonnant qu’on te désigne comme impératrice douairière. Je sais que tu n’aimes pas le prince héritier, mais c’est un enfant filial. Il respectera certainement nos volontés et prendra soin de toi pour que tu puisses profiter de tes vieux jours dans la quiétude. »
Madame Wan ne put s’empêcher d’être émue. Cet homme, de dix-neuf ans son cadet, avait toujours été d’une immense générosité envers elle.
Elle avait souvent disputé l’empereur à propos des nombreuses concubines et enfants de la cour impériale, allant même jusqu’à infliger de terribles sévices à ces femmes et leurs enfants. L’empereur, bien qu’il en fût conscient, avait choisi de fermer les yeux. Parfois, elle se demandait si son incapacité à avoir un fils et à devenir impératrice n’était pas une punition divine pour les vies qu’elle avait prises.
Mais d’autres fois, un sentiment de révolte bouillonnait en elle : Pourquoi ? Pourquoi, après avoir consacré toute mon énergie à t’élever, après t’avoir soutenu dans tes moments de détresse où même ta propre mère n’osait te rendre visite, pourquoi oses-tu m’exclure de mes justes droits simplement à cause de l’opposition de ta mère ? Si ce n’était pour moi, tu serais mort, oublié dans ce palais déserté. Et maintenant, tu me refuses ce que je mérite !
Cette contradiction mêlant amour et haine faisait que ses sentiments pour l’empereur oscillaient sans cesse. Elle ne savait jamais si elle l’aimait plus qu’elle le haïssait, ou l’inverse.
« Puisque Votre Majesté a pris sa décision, il n’est plus besoin d’en parler davantage. Considérons simplement que je n’ai pas cette chance. » Elle retourna sa main pour tenir celle de l’empereur et tapota son dos d’un geste réconfortant, avec un sourire. « Cependant, j’aimerais vous demander autre chose. »
L’empereur, rongé par la culpabilité et prêt à tout pour la satisfaire, répondit immédiatement : « Dis-nous. »
Madame Wan dit : « Le palais de la Longévité Suprême est sur le point d’être achevé. Jadis, lorsque vous souhaitiez sortir du palais pour sacrifier, ces ministres s’opposaient à vous avec mille arguments. Pourquoi ne pas laisser le prince héritier vous représenter cette fois-ci ? Ainsi, ils n’auraient rien à redire. Votre santé est fragile, et je pense qu’il serait bon que le prince prenne cette tâche pour vous et prie pour votre bien-être. »
L’empereur fut touché : « Grande sœur Wan, il n’y a que toi pour penser ainsi à mon bien-être. »
Madame Wan esquissa un léger sourire, ses doigts caressant doucement ses cheveux : « C’est moi qui t’ai élevé. Bien sûr, je dois penser à toi. »
Presque au même moment, une scène bien différente se déroulait dans la résidence Wan.
Un fracas retentit : une tasse de thé fut balayée au sol, se brisant en morceaux. Les éclats se dispersèrent, certains atteignant les jambes d’une servante avant de retomber. Heureusement, les éclats étaient trop petits pour causer de réels dommages, d’autant plus que les vêtements les protégeaient.
Malgré cela, les servantes présentes affichèrent toutes des visages empreints de peur, retenant instinctivement leur souffle pour ne pas provoquer davantage la colère de leur maître.
« C’est absurde ! Quelle absurdité ! Pourquoi fallait-il qu’il y ait un tremblement de terre maintenant ? Et même s’il y a eu un tremblement de terre, pourquoi faudrait-il que cela ait un rapport avec la destitution du prince héritier ? » Wan Tong tremblait de rage.
Cette situation était intolérable pour lui. Tout avait été préparé : même l’édit impérial avait été rédigé. Puis, soudain, ce tremblement de terre avait tout bouleversé. L’empereur, dit-on, avait fait récupérer l’édit déjà transmis au Bureau des Affaires de l’État en pleine nuit, et n’avait plus reparlé de la destitution.
Wan An et Peng Hua échangèrent un regard, soupirant discrètement.
Des catastrophes naturelles se produisaient chaque année, mais le timing de celle-ci était problématique. Juste après que l’empereur eut décidé de destituer le prince héritier, un tremblement de terre se produisit, et pas n’importe où : sur le mont Tai. C’était le point crucial. Si le séisme s’était produit ailleurs, peu importe combien Liu Jian et ses alliés auraient brodé autour de l’événement, cela n’aurait pas fait fléchir l’empereur.
Mais il était trop tard désormais. Avec le caractère hésitant de l’empereur, une fois qu’il s’était replié sur lui-même, il était presque impossible de le faire changer à nouveau d’avis.
Tous leurs efforts précédents avaient été réduits à néant.
Dans son palais, Wan An ruminait encore plus que Wan Tong. Non seulement Liu Jian, Xu Pu et Tang Fan affichaient une joie provocante en sa présence, mais même Liu Ji, qui avait auparavant conclu un accord secret avec lui, semblait maintenant l’ignorer complètement. Liu Ji avait même trouvé une excuse pour éviter toute rencontre directe, envoyant les documents officiels par un intermédiaire.
Depuis qu’il était devenu Premier Ministre, Wan An n’avait jamais été confronté à une telle humiliation. Il en était furieux, mais que pouvait-il faire ?
Au fond, Wan An était lui-même inquiet. Le prince héritier semblait incroyablement résistant au destin. Malgré les épreuves de son enfance, il avait survécu et grandi sainement, contrairement à d’autres princes comme le prince héritier Daogong, mort prématurément.
Même les phénomènes célestes semblaient protéger le prince héritier, le sauvant une fois de plus. Wan An se demandait avec effroi si le prince héritier n’était pas véritablement destiné à devenir le Fils du Ciel.
Alors, que sommes-nous, nous autres, qui défions ainsi la volonté du Ciel ?
Ces doutes, Wan An les enfouissait profondément en lui, n’en parlant à personne.
Cependant, il soupçonnait que Peng Hua, Yin Zhi et les autres partageaient les mêmes pensées, bien que personne n’ose les exprimer ouvertement.
Voyant les trois hommes rester silencieux, Wan Tong sentit la colère monter en lui, brûlant encore plus intensément. D’une voix glaciale, il lança : « Maître Yuan, maintenant que les choses en sont là, quelle est votre position ? Vous devez bien nous donner une solution ! »
Wan An esquissa un sourire amer : « Nous avons fait tout ce que nous pouvions. À ce stade, que reste-t-il à faire ? Je suis totalement impuissant. »
Wan Tong, sombre, répliqua : « Ne l’oubliez pas ! Lorsque vous avez encouragé Sa Majesté à destituer le prince héritier, vous avez tous clairement pris position. Si nous ne trouvons pas rapidement une solution, lorsque le prince héritier montera sur le trône, et que le Ciel au-dessus de nous changera de maître, alors ne parlons plus de richesse ou de grandeur. Même nos vies seront hors de notre contrôle ! »
Yin Zhi toussa légèrement et répondit : « Le prince héritier a un caractère doux, semblable à celui de son père. Peut-être que les choses n’iront pas jusque-là. »
Wan Tong explosa : « Alors vous avez tous décidé de confier vos vies et vos carrières à la merci d’un autre ?! »
Si Wan Tong était si inquiet, c’était parce qu’il était un membre de la famille impériale par alliance. Sa position était fondamentalement différente de celle des ministres lettrés. Si Wan An et ses semblables choisissaient le mauvais camp ou soutenaient la mauvaise personne, au pire, ils seraient démis de leurs fonctions et renvoyés à la campagne. Mais si l’empereur mourait, et que Madame Wan perdait son influence, Wan Tong et ses proches risquaient un sort bien plus tragique. Comme il l’avait dit lui-même, leurs vies et leurs carrières dépendraient alors entièrement des caprices du nouvel empereur.
Yin Zhi esquissa un sourire forcé : « Je ne dis pas cela… »
Wan Tong ricana : « N’oubliez pas que votre fils est actuellement emprisonné par la Garde des Brocarts. J’ai essayé d’intervenir, mais l‘envoyé Sui n’a rien voulu entendre, prétextant que l’interrogatoire n’était pas encore terminé. Ce chien de Sui se permet d’agir avec arrogance simplement parce qu’il est proche des lettrés. Aujourd’hui, ma sœur est encore là, et il ose déjà agir ainsi. Imaginez ce qu’il adviendra à l’avenir ! Vous pensez que votre fils pourra survivre longtemps dans ces conditions ? »
Face à cette accusation, Yin Zhi se tut, incapable de répondre.
Peng Hua, voyant les deux hommes en désaccord, tenta d’apaiser les tensions, mais il fut interrompu par l’arrivée précipitée d’un domestique. Celui-ci s’adressa à Wan Tong : « Maître, quelqu’un du palais est venu et demande à vous voir. »
Wan Tong demanda : « Qui est-ce ? »
Le domestique répondit : « C’est Xiao Liu. »
Wan Tong, manifestement familier avec cette personne, et même assez proche, répondit : « Faites-le entrer. »
Un jeune eunuque vêtu simplement, portant une coiffe modeste, entra alors dans la pièce.
Dès qu’il le vit, Wan Tong lui demanda : « Xiao Liu, est-ce que c’est l’eunuque Liang qui t’a envoyé, ou ma sœur ? »
Cet eunuque, surnommé Xiao Liu (NT : petit Liu) , avait un rôle similaire à celui que Wang Zhi occupait autrefois au palais de Zhaode : il servait Madame Wan. Mais il était aussi un disciple de Liang Fang, l’eunuque chef de la Direction des Affaires Cérémonielles. C’est pourquoi Wan Tong posait cette question.
Xiao Liu répondit : « C’est le Grand Seigneur Liang qui m’envoie. J’ai une affaire importante à discuter avec les messieurs ici présents. »
Wan Tong, déçu, avait espéré que Xiao Liu fût envoyé par sa sœur. Il fit cependant un geste pour congédier les autres serviteurs, puis dit avec impatience : « L’eunuque Liang t’a envoyé pour nous dire que Sa Majesté refuse de destituer le prince héritier ? Cela, nous le savons déjà ! »
Xiao Liu répondit calmement : « Vous faites erreur, Maître. L’eunuque Liang sait que vous êtes déjà au courant. Si je suis venu, c’est pour une autre affaire importante. »
Wan Tong, agacé, lança : « Arrête de tourner autour du pot ! »
Xiao Liu esquissa un sourire discret, puis transmit le message qu’il avait pour mission de communiquer.
À peine avait-il fini que Wan An pâlit : « Cela, il est absolument hors de question de le faire ! »
Wan Tong, qui réfléchissait encore, fronça les sourcils. À ces paroles, il s’irrita immédiatement : « Pourquoi serait-ce impossible ? Je trouve au contraire que cette idée est excellente ! »
Peng Hua et Yin Zhi, leurs expressions fluctuantes, n’étaient toutefois pas en désaccord avec les propos de Wan Tong.
Wan An, quant à lui, avait la voix altérée : « Êtes-vous devenus fous ? Si cette affaire venait à être dévoilée, toi, vous, nous serions tous finis ! »
Chacun des présents réagissait différemment : Wan Tong, impitoyable ; Wan An, abasourdi ; Peng Hua, calme ; et Yin Zhi, hésitant.
Xiao Liu observait tout cela en silence, sans révéler la moindre émotion.
Wan Tong, le visage fermé, déclara : « Tant que nous agissons avec prudence, il n’y a aucun risque que cela soit découvert ! »
Il tourna son regard vers Peng Hua et Yin Zhi : « Qu’en pensez-vous ? »
Peng Hua interrogea Xiao Liu : « Quel degré de certitude avez-vous sur cette affaire ? »
Xiao Liu, sûr de lui, répondit : « Si je ne peux garantir un succès à huit ou neuf sur dix, il est au moins de sept à huit. L’eunuque Liang a tout préparé. Vous pouvez être tranquilles. »
Yin Zhi demanda : « Et la noble Dame ? Est-elle au courant ? »
Xiao Liu sourit légèrement : « Oui. Il y a un mois déjà, Madame Wan avait proposé cette idée à L’eunuque Liang. Personne ne connaît mieux Sa Majesté qu’elle. Elle a dit que l’empereur n’a jamais été du genre à faire preuve de détermination et de fermeté. Vos tentatives pour le persuader en invoquant les présages célestes risquaient fort de se solder par un échec. Mais à ce moment-là, ni Madame Wan ni l’eunuque Liang n’étaient encore décidés. Aujourd’hui, en revanche, ils n’ont plus de retour en arrière possible. »
Wan Tong frappa violemment la table : « Exact ! C’est tout à fait juste. Nous avons atteint un point de non-retour : la flèche est déjà sur la corde, elle doit partir. À ce stade, quiconque reculerait… »
Son regard balayait Wan An et les autres, et il ajouta d’un ton menaçant : « Ce serait s’opposer à moi, Wan Tong, et à ma sœur ! »
Wan An ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit.
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Note du traducteur
(1)Le mont Tai (泰山, Tàishān)
Situé dans la province du Shandong, c’est l'une des montagnes les plus sacrées de la tradition chinoise. Sa symbolique est multiple, mêlant spiritualité, politique, histoire et cosmologie.
Par exemple, dans la tradition taoïste, le mont Tai est un lieu où les immortels résident, un espace sacré où les pratiquants recherchent la voie de l’immortalité et la communion avec les forces naturelles. Le dieu du mont Tai, Dongyue Dadi (东岳大帝), est une figure centrale dans le taoïsme. Il est le souverain des esprits et des âmes. Les pèlerins escaladent encore aujourd’hui le mont Tai pour prier pour la longévité, la santé et la prospérité.
Dans la pensée traditionnelle, le mont Tai était un baromètre cosmique. Les événements naturels ou surnaturels survenant autour de la montagne étaient souvent interprétés comme des signes ou des avertissements du Ciel.
Mont Tai (Source : confuciomag.com)
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