Xi Ming et Han Jin trouvèrent rapidement l’endroit où Lin Zhen avait été enterré : son corps avait été transporté vers la sépulture ancestrale de la famille Lin, dans leur village natal du comté de Luling.
Ce lieu n’était pas très éloigné de Luling, mais Tang Fan et ses compagnons ne pouvaient pas faire leurs activités en plein jour. Puisqu’ils s’apprêtaient à exhumer un corps, ils devaient agir discrètement. Après le rapport de Xi Ming, Tang Fan décida d’attendre la nuit du Double Sept (NT : festival de Qixi, Saint-Valentin chinoise), car une grande fête des lanternes serait organisée à Ji’an ce soir-là. Les habitants de tout âge viendraient en masse pour admirer et lancer des lanternes. Ce serait la seule nuit où les portes de la ville resteraient ouvertes sans couvre-feu. Leurs aller et venue passeraient donc inaperçues.
À son retour de la maison Lin, Tang Fan n’entreprit aucune action pendant deux jours. Accompagné de Lu Lingxi et des autres, il parcourait les rues et ruelles de Ji’an, dînant dans différentes auberges pour goûter aux spécialités locales. Cette apparente oisiveté laissa les spectateurs perplexes. Certains pensaient que Tang Fan stagnait dans l’enquête et, ayant appris qu’un autre envoyé impérial allait bientôt arriver, ils imaginaient qu’il se morfondait dans l’impatience, dépité de ne pas avancer.
Indifférent à ces commentaires, Tang Fan poursuivait son exploration de la ville, sans même se rendre au yamen du préfet, et encore moins à la rencontre de Shen Kunxiu. Au bout de ces deux jours, il avait littéralement exploré Ji’an de fond en comble.
Tandis que Tang Fan évitait Shen Kunxiu, ce dernier n’en était pas pour autant apaisé. Les événements les plus marquants de ces deux derniers jours n’étaient pas les progrès de l’enquête, mais plutôt le fait que le consul Shen avait sévèrement battu son propre fils, au point que celui-ci ne pourrait se lever avant au moins deux semaines.
Le jeune maître Shen avait en effet commis maints actes scandaleux, dont la dernière escapade en date était une dispute pour une courtisane dans un bordel, l’opposant à un autre fils de bonne famille. Battu par ce dernier, Shen n’avait rien trouvé de mieux que de brandir le nom de son père, ridiculisant ainsi la réputation familiale.
Bien que Shen Kunxiu soit lui-même sous enquête, suspecté d’avoir poussé un érudit au suicide, non seulement, son fils ne sympathisait pas avec lui mais il persistait à se mettre dans des situations embarrassantes. Avoir un tel héritier devait être bien éprouvant pour Shen Kunxiu, d’autant plus qu’il s’agissait de son fils unique. Comme on pouvait s'y attendre, Shen Si étant devenu ce qu'il était, la responsabilité en incombait sans doute à Shen Kunxiu.
Lu Lingxi n’était cependant pas au courant des états d’âme de Shen Kunxiu, car lui-même n’était pas dans les meilleures dispositions. En effet, Tang Fan s’apprêtait à aller chercher cette fameuse cousine éloignée.
Selon Tang Fan, cette cousine, de son nom de famille Qiao, avait des liens avec la famille de sa mère. Les familles étaient voisines lorsque Tang Fan était jeune, et elles s'étaient engagées l'une à l'autre avant leur naissance, organisant un mariage d’enfants. Cependant, les aléas de la vie, la ruine des Tang, et le départ de Tang Fan avaient entraîné une rupture de contact, rétabli seulement récemment. La cousine avait connu des revers de fortune et vivait désormais seule, dans des conditions difficiles, si bien qu’elle venait chercher refuge auprès de son cousin. Elle espérait aussi l’accompagner à la capitale une fois son enquête achevée. Voilà ce que Lu Lingxi avait pu apprendre de Tang Fan.
Ce jour-là était justement la fête de Qixi. Dès la matinée, la ville fut beaucoup plus animée que d’habitude. À l’angle du temple Chenghuang, un marché attirait une foule si compacte que l'eau ne pouvait pas s'y faufiler (NT : métaphore pour souligner la densité de la foule). Les dames se hâtaient de se rendre au temple pour brûler de l’encens, et les palanquins encombraient les rues, la marée humaine formant un énorme tumulte.
Cependant, ce n'était que la scène de jour. Le soir serait encore plus festif avec la grande fête des lanternes, où jeunes et moins jeunes sortiraient de la ville pour lancer des lanternes et formuler des vœux. Dans les quartiers, des lanternes décoreraient les façades, éclairant la ville comme un feu d’artifice de fleurs lumineuses. On racontait que, les années précédentes, de nombreux riches se regroupaient pour acheter des lanternes luxueuses et fantaisistes et les suspendre un peu partout dans la ville de Ji'an.
Tang Fan ne prit pas part à l’effervescence. Au lieu de cela, il sortit à l'aube pour rencontrer Ji Min et discuter autour d’un thé. Puis il loua une palanquin pour aller chercher sa cousine à l’auberge Fulai, située près des portes de la ville et fréquentée par les marchands de passage.
Il dit à Han Jin : « J’ai déjà tout organisé avec elle. Je lui ai donné rendez-vous à l’entrée de l’auberge. Elle devrait arriver bientôt. Rends-toi là-bas et attends-la. »
Écoutant la conversation, Lu Lingxi intervint : « Grand frère Tang, veux-tu que je t’accompagne ? Mademoiselle Qiao devrait n’avoir que quelques servantes avec elle, mais des femmes seules en voyage, ce n’est pas prudent. Si elles rencontraient des ennuis, ce serait regrettable. »
Tang Fan le rassura : « Pas besoin. Elles ont quelques domestiques de confiance avec elles, il ne devrait pas y avoir de problème. Han Jin suffira. »
Lu Lingxi fut contraint d’abandonner, bien qu’il soit curieux à propos de cette mystérieuse cousine. Il pensait que, pour une personne aussi talentueuse et noble que Tang Fan, il fallait une femme tout aussi remarquable, Belle à l'extérieur, dotée d'intelligence intérieure et de grandes qualités. Il se disait, avec un brin de résignation, qu’il espérait le meilleur pour Tang Fan, même si cela ne pouvait être lui-même.
C’est cette discrétion, agrémentée de petites taquineries, qui rendait ses sentiments peu évidents pour Tang Fan. Considérant Lu Lingxi comme un jeune frère, Tang Fan n’avait jamais imaginé que ce dernier puisse éprouver pour lui autre chose qu’une simple admiration fraternelle. C’était là une maladresse de Lu Lingxi, qui se rendrait sans doute compte un jour que sa stratégie n’avait pas été la bonne.
Quoi qu'il en soit, Han Jin, chargé d’aller chercher la cousine de Tang Fan, ne revint qu’à la tombée de la nuit. Avec lui arrivait un palanquin bleu, accompagné de deux personnes marchant à pas mesurés à côté. À en juger par leurs habits, il s’agissait sans doute de la servante et du domestique de cette fameuse cousine.
Entendant que la cousine était arrivée, Tang Fan et Lu Lingxi allèrent eux-mêmes à sa rencontre. Mais dès qu’ils sortirent du relais officiel, ils furent tous, Tang Fan inclus, stupéfaits par ce qu’ils virent.
Avant même de parler de la cousine en question, les deux personnes qui l’accompagnaient étaient pour le moins surprenantes.
Le domestique, qui semblait avoir une vingtaine d’années, portait une petite moustache et avait une carrure imposante. Son visage était parsemé de marques de variole, lui donnant une apparence un peu rustre. Cependant, pour un domestique, cela n’avait rien d’étonnant. Après tout, si un serviteur avait un visage élégant, il ne ressemblerait plus à un serviteur ! D’ailleurs, d’après ce qu’on disait, c’était grâce à ce vieux domestique que Dame Qiao et sa servante avaient pu voyager en sécurité depuis le Zhejiang. Il s’était montré d’une aide précieuse.
Mais c’est la servante qui laissa tout le monde sans voix.
Elle portait un gilet sans manches à col rond, par-dessus un chemisier multicolore. Sa jupe plissée était vert tendre, et ses cheveux étaient coiffés en deux chignons attachés par des rubans rouges, agrémentés de franges qui dansaient au rythme de ses pas, conférant une touche mignonne à son apparence.
Cela aurait pu être charmant… mais seulement si elle avait été une jeune fille de treize ou quatorze ans ! Or, cette servante était presque aussi grande que le domestique à côté d’elle. Pour une personne de sa taille, cet accoutrement devenait tout sauf mignon. On pourrait même dire qu’il était carrément effrayant !
Le plus incongru était son maquillage. Elle portait une épaisse couche de poudre blanche sur le visage, des lèvres colorées d’un rouge vif, et des sourcils fins et allongés. Elle avançait à petits pas, gardant ses pieds dissimulés sous sa jupe, avec une démarche très posée et élégante. Mais associée à sa carrure imposante, cette attitude en devenait ridiculement décalée.
Seuls ses yeux avaient quelque chose de plaisant : vifs et expressifs, ils semblaient doués d’une certaine intelligence. Avec leurs traits profonds, ils lui donnaient même un léger air exotique, presque étranger, bien que son visage soit recouvert d'une couche de fond de teint plus épaisse que la peinture appliquée sur les murs.
Lu Lingxi resta bouche bée un moment, puis finit par dire : « Grand frère Tang, se pourrait-il que cette servante de ta cousine soit d’origine étrangère ? »
Dans la dynastie précédente Yuan, on appelait les peuples d’autres ethnies les "Semu". Les Semu occupaient le deuxième rang dans la hiérarchie sociale sous les Yuan, avant que la dynastie actuelle ne rétablisse les coutumes des Han et n’interdise l’usage des vêtements et des langues étrangères. Toutefois, certains descendants des Semu étaient restés sur les terres Han. En voyant cette servante au nez droit et aux yeux profonds, Lu Lingxi se permit de poser la question.
(NT : semu (色目), litt. ‘œil coloré’ était une caste mongole établie sous la dynastie Yuan, leur nom venant de 各色名目, gèsè míngmù, signifiant choses ou catégories de toutes sortes, et mettant en avant la diversité des semu)
Pour être honnête, Tang Fan était tout aussi choqué que lui au fond. Il s'était attendu à ce que Sui Zhou se déguise en sa cousine, mais à la place, il avait opté pour le rôle d'une servante… Alors, qui était donc la « cousine » dans la chaise à porteurs ?
Il se contenta de répondre de façon évasive : «C’est possible, peut-être. » Il détourna le regard de l’éclatant maquillage et de la tenue bariolée de la servante, incapable de supporter une seconde inspection.
« Mes respects, jeune maître. » La servante s’inclina, sa voix basse et légèrement ambiguë, presque androgyne. Si Tang Fan n’avait pas pu voir son visage, il n’aurait même pas su deviner son sexe.
Tang Fan toussota légèrement et demanda : « Quels sont vos noms ? »
Le domestique répondit : « Je m’appelle Tie Zhu, mes respects au jeune maître ! »
Tang Fan : « … »
C’était clairement la voix de Pang Qi.
La servante répondit ensuite : « Je… je m’appelle Xiao Zhou, jeune maître. »
Tang Fan : « … »
En disant cela, elle leva les yeux pour jeter un regard furtif à Tang Fan avant de baisser la tête d’un air faussement timide, comme si elle était gênée. Le geste semblait involontaire, mais tout le monde le remarqua.
Lu Lingxi : « … »
Tang Fan dit : « Votre dame doit être dans le palanquin, n'est-ce pas ? Faites-la sortir, vite. »
Il sentait qu'il risquait de perdre son calme s’il ne s’éloignait pas rapidement.
En entendant cela, Xiao Zhou se pencha pour relever le rideau et dit doucement : « Maîtresse, nous sommes arrivés, descendez donc. »
Une main fine et délicate sortit du palanquin et se posa sur celle de Xiao Zhou, puis la jeune femme en sortit.
Tout le monde fut ébloui.
La cousine avait un visage en forme de cœur, des sourcils arqués comme des feuilles de saule, des yeux profonds et brillants comme l’eau à l’automne, et une bouche en forme de cerise – un vrai bijou de beauté. Elle portait un manteau et une jupe de couleurs accrocheuses similaire à celui de Xiao Zhou. Mais si l’apparence de Xiao Zhou était excentrique, cette tenue accentuait au contraire la grâce naturelle de Dame Qiao, qui resplendissait.
Rien qu’en termes d’apparence, elle semblait parfaitement assortie à Tang Fan ; ils formaient un couple tout à fait harmonieux.
« Cousin ! » Dame Qiao sourit radieusement en voyant Tang Fan. « Je suppose que tu es bien mon cousin, n'est-ce pas ? »
Bien qu'il sente chez elle une impression de déjà-vu inexplicable, Tang Fan, pour jouer le jeu jusqu'au bout, hocha la tête en souriant : « Oui, c’est moi, ton cousin. Cela fait bien des années… tu as beaucoup changé ; tu ressembles tellement à ta mère. Après ce long voyage, tu dois être fatiguée. Entrons d’abord. »
« Cousin, tu te souviens de l’apparence de ma mère ? » Dame Qiao s’inclina poliment, puis s’approcha de Tang Fan et entra à ses côtés, repoussant Lu Lingxi vers l’arrière. Elle semblait agir avec une aisance qui donnait l’impression qu’ils se connaissaient depuis longtemps.
Xiao Zhou suivit sa maîtresse de près, utilisant sa carrure pour repousser Lu Lingxi encore plus en arrière.
Lu Lingxi était visiblement agacé, mais il ne pouvait décemment pas se quereller avec deux jeunes femmes et dut accepter la situation.
Sans prévenir, une autre silhouette s’approcha de lui. En levant les yeux, il vit que Tie Zhu lui souriait d’un air niais.
Lu Lingxi soupira : « Pourquoi un domestique comme toi me colle-t-il autant ? »
Tie Zhu répondit en riant bêtement : « Mais tout au long du chemin, c’est comme ça que j’ai suivi ! Maîtresse dit qu’il y a beaucoup de malfaiteurs dehors, elle veut que je reste proche pour ne pas me perdre ou me faire enlever ! »
Qui voudrait bien te kidnapper ?
Lu Lingxi se crispa légèrement : « Ta maîtresse n’a pas vu son cousin depuis longtemps ; ils auront sûrement beaucoup de choses à se dire. Il vaudrait mieux ne pas les déranger. »
Tie Zhu, perplexe : « Mais toi aussi, tu allais entrer. Pourquoi je ne pourrais pas y aller si tu y vas ? »
Lu Lingxi : « Je… n’entrerai… pas. »
Tie Zhu fit un « Oh » en touchant son estomac : « Eh bien, moi non plus alors. Dis-moi, l’ami, il y a quelque chose à manger ici ? Aujourd’hui, je n’ai mangé que dix petits pains, et j’ai faim!»
Lu Lingxi pensait avoir rencontré bien des gens et avoir suffisamment d'expérience, mais depuis qu'il accompagnait Tang Fan, il se rendait compte que son horizon s'élargissait de jour en jour. Regardant les grands yeux naïfs de Tie Zhu qui papillonnaient en le fixant, Lu Lingxi se résigna et dit, épuisé : « Oui, je vais t’y emmener. »
Tie Zhu, ravi, le suivit vers la cuisine, répétant joyeusement : « Merci, frère ! Tu es vraiment un gars sympa. Chez nous, au village, hormis la maîtresse et Xiao Zhou, tout le monde me regarde de haut. Mais toi, pas du tout ! Ça se voit que tu fais partie des proches du jeune maître. Dis-moi, comment t’appelles-tu, frère… »
De l'autre côté, Tang Fan conduisit Dame Qiao dans le hall, tandis que Xi Ming et Han Jin restaient à l'extérieur, chargés de monter la garde.
« Explique-moi, que se passe-t-il ici ? » Tang Fan détourna instinctivement le regard de la tenue criarde de Xiao Zhou, l'air presque horrifié.
Bien que Dame Qiao soit effectivement jolie et radieuse, elle ne l’impressionnait pas au point de le laisser bouche bée. Cependant, après avoir vu « Xiao Zhou », la comparaison rendait Dame Qiao presque divine.
Dame Qiao éclata de rire : « Maître Tang, il semblerait qu’après si peu de temps, vous m’ayez déjà oubliée ? »
Tang Fan resta interdit un moment avant de répondre : « Tu es… Xiao Wu ? »
Xiao Wu lui lança un regard charmeur en cachant sa bouche derrière sa manche : « Eh bien oui, c’est bien moi ! »
En observant attentivement, il retrouva en effet les traits de Xiao Wu, reconnaissables à 70 ou 80 %. Depuis leur séparation à Suzhou, Tang Fan l’avait confiée à Wang Zhi pour qu’elle soit en sécurité. Qui aurait pensé qu’il la retrouverait ici ?
Tang Fan jeta un coup d'œil à Sui Zhou et s’exclama : « Vous m’avez vraiment embrouillé ! »
Xiao Wu éclata de rire : « Permettez-moi de vous expliquer. »
Après la résolution de l’affaire de Suzhou, Xiao Wu, en tant que femme seule au visage remarquable, savait que même avec une fortune colossale, elle ne pourrait se protéger durablement. Elle craignait, dès le départ de Tang Fan et Wang Zhi, de retomber dans le même piège d'être exploitée ou réduite en captivité. De plus, ayant pris goût à la vie mouvementée, elle se sentait incapable de revenir à une vie tranquille de femme respectable. Après mûre réflexion, Xiao Wu avait sollicité l'aide de Wang Zhi, acceptant d’agir en tant qu’espionne pour lui en échange de sa protection.
Bien que Xiao Wu ne sache pas se battre, sa beauté et son talent pour jouer divers rôles la rendaient utile. Si elle n’avait pas besoin d’offrir son corps, il ne manquait jamais de personnes prêtes à se laisser séduire par elle. Cependant, avec la chute de l'influence du dépôt de l’Ouest, Wang Zhi n’avait plus de raison de la garder à ses côtés. Il contacta donc Sui Zhou et, avec l'accord de ce dernier, Xiao Wu rejoignit la police secrète des Gardes Brocart, où elle pouvait compter sur leur protection tout en leur rendant service.
Il y avait eu d'autres femmes au sein des Gardes Brocart auparavant, mais jamais une beauté comme Xiao Wu. Elle choisit cette voie non seulement en raison de sa proximité avec Wang Zhi mais aussi en raison de la confiance qu’elle plaçait en Tang Fan et en sa droiture. Elle savait que les gens avec lesquels Tang Fan entretenait de bonnes relation ne pouvaient être des gens mal intentionnés. Sa décision reposait donc sur la confiance qu’elle avait en Tang Fan.
Après avoir écouté toute l’histoire, Tang Fan comprit que le premier rôle confié à Xiao Wu en tant qu'agent des Gardes Brocart était de se faire passer pour une lointaine cousine avec laquelle il avait été fiancé dans son enfance.
Pour une beauté, se déguiser en laideur est plus facile que l'inverse. Il suffisait de modifier légèrement le teint de Xiao Wu, de retoucher ses traits, d'altérer un peu sa voix, d'adopter une intonation plus enjouée pour que même Lu Lingxi, qui l’avait pourtant connue à Suzhou, ne la reconnaisse pas. Il serait encore moins probable que d’autres découvrent que l'ancienne concubine de Chen Luan était devenue agent de la Garde Brocart.
Si Lu Lingxi ne pouvait la reconnaître, les autres n’en auraient pas la moindre idée. Quant au choix que Xiao Wu se fasse passer pour la cousine de Tang Fan, il était bien plus convaincant que si Sui Zhou avait endossé ce rôle.
En jouant le rôle d’une domestique de grande taille, Xiao Zhou, qui avait du sang de Semu, passait inaperçue à côté de sa maîtresse, car l’attention se tournerait immédiatement vers Xiao Wu.
Tang Fan demanda alors : « Comment avance la traque des membres restants du Lotus Blanc ?»
Sui Zhou répondit : «Li Zilong étant rusé, il y a de fortes chances qu'il soit encore caché en ville. Le lieu le plus dangereux est souvent le plus sûr. Il a sans doute jugé risqué de quitter la ville de peur que ses complices soient aussi débusqués par le gouvernement, ce qui les va sans doute les pousser à agir. Yan Li et d’autres se trouvent déjà dans la périphérie de la préfecture de Jian, ils devraient avoir des résultats sous peu. Et de votre côté ? »
Tang Fan expliqua son intention d’aller fouiller la tombe de Lin Zhen.
Sui Zhou réfléchit un instant, puis proposa : « Voilà qui tombe bien. Nous pourrions profiter de ta sortie en ville avec Xiao Wu pour aller voir les lanternes et ainsi nous rendre discrètement à la tombe. Pang Qi et moi pourrons également aider. »
Tang Fan réfléchit un instant : « Eh bien… »
À peine avait-il prononcé deux mots qu'une voix tonitruante de l’extérieur se rapprocha : c'était Tie Zhu, qui s'exclamait bruyamment : « Frère Lu ! Tu m'as bien dupé ! Il n’y avait aucun baozi dans la cuisine, et pourtant tu m’as juré qu’il y en avait ! »
Lu Lingxi, visiblement contrarié, lui rétorqua : « Tu as déjà mangé un grand bol de nouilles au bœuf, et tu te plains de ne pas avoir de baozi ?! J’ai même dû te céder ma portion ! »
En entendant le bruit de leur arrivée, Tang Fan et les autres interrompirent leur conversation et regardèrent les deux jeunes hommes entrer, l’un derrière l’autre.
Lu Lingxi, en apercevant Tang Fan assis non pas à la place d'honneur mais juste en dessous, très proche de Dame Qiao, séparé d’elle uniquement par une petite table à thé, ressentit un certain malaise. Comment pouvaient-ils déjà être aussi familiers l’un envers l’autre après une rencontre si récente ? Et cette Dame Qiao ! Même s’ils avaient été fiancés depuis leur jeunesse, elle aurait pu faire preuve d’un peu plus de retenue, non ?
Comme pour lui donner raison, Dame Qiao, sans la moindre gêne, ignora la présence de Lu Lingxi et se tourna vers Tang Fan avec un sourire coquet : « Cousin, on dit qu’il y a une fête des lanternes ce soir à l’extérieur de la ville. Viendras-tu avec moi pour la voir, s’il te plaît ? »
C’est là qu’on pouvait constater l’habileté de Xiao Wu à jouer son rôle. À Suzhou, Lu Lingxi l’avait déjà rencontrée, mais à l'époque, elle portait bien son nom de Xiao Wu, gracieuse et pleine de douceur, inspirant une réelle compassion. Sa vivacité insouciante actuelle la rendait méconnaissable. Il n’était pas étonnant que Lu Lingxi ne l’ait pas reconnue, même Tang Fan, qui avait passé plusieurs jours avec elle, n’avait pas réussi à la reconnaître immédiatement.
Tang Fan lui répondit avec un sourire tendre et protecteur : « Il y aura beaucoup de monde à la fête des lanternes. Que feras-tu si tu te perds ? »
Dame Qiao répliqua avec insouciance : « Avec toi à mes côtés, je n’ai rien à craindre ! »
Tang Fan acquiesça : « D’accord, mais promets de ne pas courir partout. »
Dame Qiao, toute joyeuse : « Je ferai tout ce que tu me diras, cousin ! »
Ne pouvant se contenir davantage, Lu Lingxi intervint : « Frère Tang, nous sommes tout de même en mission ; emmener Dame Qiao avec nous pourrait être gênant, non ? »
Dame Qiao lui jeta un regard irrité, fronçant légèrement les sourcils : « Et en quoi cela te concerne-t-il ? »
Tang Fan la réprimanda doucement : « Pas d’impolitesse ! » Puis, en souriant, il ajouta : « Excuse-moi, j'avais oublié que vous ne vous étiez pas encore officiellement présentés. Voici Lu Lingxi, dont le prénom de courtoisie est Yiqing. C’est un jeune ami de longue date. Appelle-le Yiqing. Quant à toi, Yiqing, ma cousine n’est pas une étrangère, il n’y a donc pas de secrets à lui cacher. »
Sans révéler l’identité réelle de Xiao Wu, Tang Fan donna subtilement des indices à Xi Ming et aux autres observateurs attentifs, qui, comprenant le sous-entendu, échangèrent quelques regards discrets. Mais Lu Lingxi, impliqué émotionnellement, ne perçut rien. Voyant l’importance que Tang Fan accordait à cette cousine qu’il venait à peine de rencontrer, il ne put s’empêcher de ressentir une certaine déception.
Tang Fan, remarquant sa perplexité, ajouta : « En l’amenant avec nous ce soir, elle pourra nous servir de couverture. »
Lu Lingxi, bien que réticent, accepta finalement cet argument et jeta un regard vers Sui Zhou et l'idiot Tie Zhu, qui ne quittaient pas Dame Qiao d’un pas : « Alors eux… ils ne viendront pas, non ? »
Tie Zhu, d’une voix retentissante qui fit bourdonner les oreilles de Lu Lingxi, protesta : « Je vous en prie, ne me laissez pas en arrière ! Je suis fort et je peux faire n’importe quelle tâche ! »
La servante de Dame Qiao, Xiao Zhou, rougit et murmura en tortillant un pan de sa robe : «Dame Qiao a dit que je devais devenir la servante personnelle du jeune maître, donc je dois aller là où il va. »
(NT: "通房丫头" (tōngfáng yātou) désigne traditionnellement une servante qui est très proche de son maître, impliquée dans des tâches intimes et personnelles, et parfois sous-entend une relation proche, voire concubine. Sui Zhou n’utilise probablement pas ce terme innocemment)
Lu Lingxi : « … »
Tang Fan se pencha précipitamment pour boire son thé, essayant de cacher un sourire qui menaçait de trahir son amusement.
Après avoir pris le repas et s’être reposés un moment, ils attendirent la tombée de la nuit pour quitter la résidence d’État et se rendre à l’extérieur de la ville.
Comme prévu, à l’extérieur, les rues étaient bondées ; le ciel nocturne s’illuminait de feux d’artifice. De toute évidence, des gens allumaient des feux d'artifice à l'extérieur de la ville, et des bruits de foule montaient de loin. Sur le chemin, ils croisèrent de nombreux passants, des familles entières, tous se dirigeant vers la sortie de la ville.
Tang Fan et son groupe, bien que composés uniquement de jeunes hommes et femmes, se fondaient parfaitement dans la foule, sans se faire remarquer. La seule différence était que les autres allaient voir des lanternes, tandis qu’eux allaient… déterrer une tombe.
*
La tombe ancestrale de la famille Lin n’était pas loin. Après environ une demi-heure de trajet en calèche, ils y arrivèrent. Les alentours étaient silencieux. Un petit village proche, où se trouvait la maison ancestrale des Lin, semblait désert, car presque tous les habitants étaient partis voir les lanternes. Seuls restaient quelques vieillards, infirmes, femmes, et enfants, qui n’auraient sans doute aucunement l’envie de sortir pour inspecter le moindre bruit suspect.
Xi Ming et les autres avaient déjà repéré l’endroit où Lin Zhen avait été enterré. Ils se dirigèrent directement vers sa tombe, sortirent des pelles et autres outils de la calèche, et commencèrent à creuser la terre.
Qiao Shi, assise dans la calèche, passa la tête par la fenêtre. Elle ne semblait ni surprise ni effrayée, comme si ce qu’ils faisaient lui paraissait tout à fait ordinaire.
Même Lu Lingxi, aussi lent soit-il, avait dû remarquer que cette « cousine » de Tang Fan était tout sauf ordinaire. D’autant que Tang Fan avait fait surgir cette cousine de nulle part, lui confiant immédiatement une affaire d’une telle importance et l’amenant même ici. Il était clair que Tang Fan et elle se connaissaient depuis longtemps et qu’ils partageaient une relation particulière.
À cette pensée, Lu Lingxi ressentit un mélange d’émotions confuses. Mais il n’en oublia pas pour autant sa mission en tant que subordonné. À l’exception de Tang Fan et de Qiao Shi, tous les autres étaient des experts en arts martiaux ; les employer pour creuser la terre était un gaspillage de talent, et il ne fallut pas longtemps avant qu’un coin du cercueil apparaisse.
Tous redoublèrent d’efforts, et bientôt le cercueil fut complètement dégagé. Ensemble, ils le soulevèrent hors de la terre et, avec des outils, firent sauter les rivets pour ouvrir le couvercle.
Il n’était même pas nécessaire que Tang Fan examine le cadavre de près. Dès que le couvercle fut soulevé, tous furent stupéfaits à la vue de ce qu’il contenait.
Qiao Shi, qui venait de descendre de la calèche, ne put s’empêcher de pousser un léger cri de surprise.
Traducteur: Darkia1030
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