Chenghua -Chapitre125 - Sui Zhou n'est pas dans ce chapitre

 

C’était la première fois que Xu Bin rencontrait Tang Fan. Non seulement ils n’avaient jamais eu de lien auparavant, mais même s’il avait eu des rancœurs envers lui, Xu Bin, en tant que simple marchand, n’aurait jamais osé, même avec toute sa fortune, afficher ouvertement son mépris ou créer des obstacles à un fonctionnaire du gouvernement, encore moins à un envoyé impérial.

Le préfet Fan avait mentionné précédemment que Xu Bin avait des liens de parenté avec le vice-ministre de la Fonction publique de Nanjing. Cependant, cette relation était assez éloignée. Si l'on se mettait à tirer parti des liens de parenté à chaque fois que quelqu’un était du même village ou de la même famille qu’un haut fonctionnaire, tout le monde pourrait brandir la peau du tigre et se vanter d’être bien connecté. Tang Fan en avait donc déduit que l’identité de Xu Bin cachait sûrement autre chose.

Et en effet, les paroles de Ji Min dissipèrent son doute : « Xu Bin avait autrefois pour soutien Chen Zhi, le ministre des Finances de Nanjing. Mais après le retrait de Chen Zhi, Xu Bin a apparemment cédé la majeure partie de sa fortune pour établir des connexions à la capitale et a ainsi gagné la faveur du Premier Conseiller Wan, qui lui a accordé l’intégralité des permis de sel pour le Jiangxi ces trois prochaines années. »

Ji Min ajouta en secouant la tête avec un sourire en coin : « Tout le monde dit que la disgrâce de Chen Zhi est liée à toi. À cause de toi, Xu Bin a dû offrir plus de la moitié de sa fortune au Premier Conseiller Wan. Crois-tu qu’il pourrait t’en vouloir ? »

Tang Fan hocha la tête, comprenant enfin : « Voilà qui explique tout. Je trouvais bien étrange le regard qu’il me lançait, comme si je lui devais des milliers de liang d’argent, et son attitude constante à me faire des coups bas. Maintenant qu’il est protégé par l’influence de Wan An, pas étonnant qu’il agisse sans crainte. »

Ji Min opina : « Exactement. Runqing, même si tu n’as pas à le craindre, il vaut mieux éviter de provoquer ce genre de personnage. Si tu offensais un homme vertueux, il ne ferait qu’exprimer son mécontentement en face. Mais si tu te mets un fourbe à dos, il risque de te causer des ennuis en cachette. »

Tang Fan demanda : « Tu penses que l’affaire sur laquelle je dois enquêter pourrait avoir un lien avec Xu Bin ? »

Ji Min répondit : « Là-dessus, je ne sais pas. Mais il y a quelque chose : peu avant les examens d’entrée, le fils de Xu Bin, Xu Sui, a eu une altercation avec Lin Zhen, cet érudit décédé, au sein de l’académie. Ils étaient tous deux candidats aux examens de cette année, et après l’affichage des résultats, Lin Zhen était classé parmi les vingt premiers, tandis que Xu Sui ne l’était pas. »

C’était un indice important. Tang Fan réfléchit un moment et demanda : « Comment as-tu appris pour cette dispute ? »

Ji Min secoua la tête : « Ils étaient tous les deux à l’académie de Bailuzhou (NT : île des hérons), la plus réputée de Ji'an. Le moindre incident là-bas se répand dans toute la ville. L’altercation a fait grand bruit et les deux côtés en étaient venus aux mains. J’ai failli devoir m’y rendre pour les séparer, mais heureusement, le directeur de l’académie est intervenu pour rétablir le calme. Sinon, si cela avait éclaté jusqu’à moi, leur réputation aurait été ternie, et cela aurait même pu compromettre leurs futures carrières. »

Tang Fan dit : « Je comprends. Ce que tu viens de dire est très utile. Merci beaucoup. Il se fait tard, je dois te déranger à passer la nuit ici. »

Ji Min éclata de rire : « Me déranger, ici ? C’est moi qui ai organisé la chambre de l’auberge. J’ais encore beaucoup à te dire. Pourquoi ne pas discuter jusqu’au bout de la nuit ? »

Avant que Tang Fan ne puisse répondre, Lu Lingxi, qui jouait les muets à côté, réagit le plus vite : « Grand frère Tang, ma blessure me fait vraiment mal ! »

Il n’avait rien dit jusqu’alors, son poids reposant en grande partie sur Tang Fan, qui croyait même qu’il s’était endormi. Cette remarque, lancée soudainement, était si inattendue qu’elle le fit sursauter.

Tang Fan lui lança un regard réprobateur : « Si ta blessure te fait mal, va te reposer. »

Lu Lingxi, un sourire taquin aux lèvres, dit : « Grand frère Tang, pourrais-tu me raccompagner ? Je ne peux plus marcher. »

Tang Fan était du genre à céder facilement aux paroles douces. Si on lui tenait tête, il ne se laissait pas impressionner, mais s’il était abordé de façon plus douce, il était plus susceptible de céder.

Sui Zhou l’avait compris depuis longtemps, et voilà qu’un autre venait de le percer à jour. Si le commissaire Sui pouvait voir cela de loin, qui savait ce qu’il en penserait ?

Ji Min éclata de rire : « Lu, vous n’êtes plus un enfant ! Pas étonnant que Runqing vous considère comme un petit frère ! »

Ces mots déplurent à Lu Lingxi, et, piqué dans son amour-propre de jeune noble, il refusa de partir, agrippant fermement la manche de Tang Fan avec l’intention évidente de ne pas lâcher prise.

Ji Min, voyant cela, ne s’en offusqua pas. Depuis son échec aux examens, il avait déjà eu l’occasion de voir maintes personnalités et d’observer bien des tempéraments. L’attitude de Lu Lingxi ne lui faisait ni chaud ni froid.

« Runqing, tu as eu une journée bien remplie. Pourquoi ne pas me laisser raccompagner Lu ? »

Mais Tang Fan répondit : « Ce ne sera pas nécessaire. Merci pour ta proposition, Zi Ming. Je vais raccompagner Yiqing, repose-toi bien, nous pourrons continuer notre discussion demain. »

Ainsi, Ji Min n’insista pas et hocha la tête en souriant : « Cela me convient aussi. »

Les trois hommes étaient logés dans le même pavillon, à quelques pas de là. Si Lu Lingxi, malgré sa blessure, avait pu venir écouter la conversation entre Tang Fan et Ji Min, il n’y avait aucune raison qu’il ne puisse faire les quelques pas pour retourner à sa chambre. Tang Fan comprit qu’il avait probablement quelque chose d’important à lui dire, alors il accepta et le raccompagna jusqu’à sa chambre.

Lu Lingxi était visiblement épuisé, mais il tenait encore bon. À peine entré, il s’effondra sur le lit, forçant un peu le sourire de Tang Fan. Celui-ci le sermonna, inquiet et un peu contrarié : « Pourquoi ne pas attendre demain pour parler ? Si tu avais dormi ici comme je te l’avais dit, tu ne serais pas aussi épuisé maintenant. »

Lu Lingxi lui adressa un sourire fatigué : « Plus tôt, en écoutant l’eunuque Wang parler de la Secte du Lotus Blanc, je n’y ai pas trop cru. Je me disais que, avec tous ceux qui veillent sur toi, rien ne pourrait vraiment t’arriver. Maintenant, je sais combien je me trompais. Rien que ce soir, quelques bandits inconnus nous ont déjà mis dans un état déplorable. Si quelques autres étaient venus en renfort, qui sait ce qui aurait pu t’arriver… En y pensant, j’ai encore des frissons. Je ne peux vraiment pas te laisser sans surveillance dans un endroit où je ne te vois pas. »

Tang Fan répondit en riant : « Nous sommes dans une auberge officielle, que pourrait-il bien se passer ici ? Ne t’inquiète pas pour rien. Être prudent, c’est bien, mais il ne faut pas non plus voir des menaces partout. Sinon, comment pourras-tu dormir ce soir ? »

Lu Lingxi agrippa sa manche : « Grand frère Tang, passe donc la nuit ici. Ce n’est qu’en te voyant que je pourrai être tranquille. Sinon, je passerai la nuit devant ta chambre à faire le guet. À toi de choisir, mais aurais-tu vraiment le cœur de me laisser passer la nuit dehors ?»

Tang Fan, impuissant face à ses demandes, céda finalement : « Très bien, allons dans ma chambre. Le lit y est plus grand, alors que celui-ci ne peut pas accueillir deux personnes. »

Lu Lingxi répondit joyeusement, un « Eh ! » d’enthousiasme, et malgré sa fatigue apparente un instant plus tôt, il bondit aussitôt du lit comme s’il n’était même pas blessé.

Tang Fan : « … »

Bien qu’on soit en juin, les nuits n’étaient pas particulièrement chaudes, et une natte fraîche était installée sur le lit, apportant une agréable sensation. Deux hommes pouvaient s’y allonger sans trop se serrer, à condition de ne pas trop bouger.

Cependant, Lu Lingxi, sans qu’on sache pourquoi, paraissait étrangement excité. Une fois allongé, il ne cessa de se tortiller comme une chenille, au point que Tang Fan dut poser sa main sur lui pour l’immobiliser : « Quand tu étais assis près de Shen Si ce soir, as-tu découvert quelque chose ? »

Lu Lingxi, comme s’il se rappelait tout à coup, se reprit, un peu embarrassé, et toussa légèrement pour masquer sa gêne avant de répondre : « Oui, j’ai remarqué quelque chose. Ce Shen Si est vraiment un incapable. »

Tang Fan haussa un sourcil : « Pourquoi dis-tu cela ? »

Lu Lingxi sourit : « Au début, en voyant son attitude au banquet, je pensais qu’il faisait exprès de se montrer médiocre. Mais après lui avoir parlé un peu plus, j’ai compris que, depuis deux ans, il abuse de la position de son père pour faire ce qu’il veut. Il évite les erreurs graves mais multiplie les écarts, et il ne montre aucun sérieux dans ses études. C’est pour cela que Shen Kunxiu, exaspéré, l’emmène partout avec lui. S’il avait réellement fait semblant d’être médiocre, il n’aurait aucune raison de le cacher même à son propre père, et encore moins pendant toutes ces années ! »

Tang Fan secoua la tête : « Shen Kunxiu a beau être rigide, il est pourtant un homme de grand savoir. Avoir un tel fils doit être une punition pour des fautes commises dans une vie antérieure. »

Le père étant impliqué dans une affaire, il serait naturel que le fils garde profil bas. Mais voilà que ce dernier se présentait ouvertement au banquet d’accueil de l’envoyé impérial. Ceux qui ne connaissaient pas l’affaire pourraient croire qu’il était venu là pour le corrompre au nom de son père. Si Shen Kunxiu l’apprenait, il en serait sans doute fou de rage.

Avec un fils pareil, on comprenait pourquoi il devait le garder sous surveillance. S’il n’était pas avec lui, qui sait quel genre de bêtise Shen Si pourrait encore commettre.

Lu Lingxi dit en riant : « J’ai le même âge que lui. Si on le compare à moi, grand frère Tang, ne trouves-tu pas que je suis bien plus agréable ? »

Tang Fan lui lança un regard réprobateur : « Ton aspirations est bien limitée. Te comparer à Shen Si, vraiment ? Tu pourrais au moins te comparer à moi ! »

Tang Fan, avec son allure élégante et raffinée, ne ressemblait en rien à une femme. Son regard réprobateur n’avait donc rien de charmant ou séducteur, c’était simplement un regard désapprobateur.

Mais dans les yeux de quelqu’un qui l’appréciait, tout ce qu’il faisait était beau. Lu Lingxi se mit alors à insister : « Grand frère Tang, raconte-moi comment tu étais dans ta jeunesse ! »

Tang Fan l’esquiva : « Es-tu blessé au bras ou à la tête ? Pourquoi parles-tu comme si tu avais régressé de dix ans, à faire des manières et des caprices ? Il se fait tard, allez, dors ! »

Puis, il se retourna, dos à Lu Lingxi.

Lu Lingxi hésita un instant, voulant poser une main sur sa taille, mais, craignant d’énerver Tang Fan, il abandonna l’idée, se contentant de fixer son dos avec un air boudeur. Tout en pensant à mille choses, sa fatigue finit par l’emporter, et il s’endormit sans s’en rendre compte.

La nuit s’écoula sans incident.

*

Le lendemain, Tang Fan ne se leva pas très tôt, ayant passé une grande partie de la nuit agitée après la tentative d'assassinat. Lorsqu'il fut enfin debout, on lui annonça que le préfet Fan attendait dehors pour le rencontrer.

Le préfet Fan patientait depuis déjà un bon moment, refusant qu'on aille réveiller Tang Fan, craignant de le déranger. Quand Tang Fan, habillé et prêt, arriva dans la pièce, Fan se leva rapidement pour saluer avec respect : « Votre Honneur. »

« Pas besoin de tant de formalités, préfet Fan, » dit Tang Fan. « Pourquoi ne pas m'avoir réveillé si c'était important ? »

Fan eut un rire nerveux, trop intimidé pour oser cette audace : « Je suis venu pour m'excuser, Votre Honneur ! Après l'incident d'hier soir, où vous avez été attaqué en pleine rue, j'ai été profondément choqué. J'ai collaboré avec le capitaine Tan pour fouiller la ville cette nuit, et nous avons intensifié les recherches. Nous espérons trouver ces bandits au plus vite. »

Bien qu'il parle avec assurance, Fan savait que retrouver les assaillants serait difficile. Ne pas les avoir capturés sur le moment compliquait les choses. Si les assaillants avaient des identités de couverture, ils pourraient facilement se fondre parmi les civils, et les soldats risqueraient de rater des indices précieux.

Tang Fan, ayant lui-même expérimenté la dangerosité de ces assassins bien préparés, savait qu'ils pouvaient se cacher et quitter la ville en se mêlant à la population. Il ne blâma donc pas le préfet et répondit : « N'ayez pas trop de remords, préfet Fan. Vous avez rempli vos responsabilités, et personne ne pouvait prévoir cet incident. Toutefois, soyez vigilant ; je ne veux pas que cela se reproduise. »

Le préfet Fan, soulagé, répondit avec déférence : « Votre Honneur a raison. Je suis reconnaissant de vos conseils. D'ailleurs, comme plusieurs de vos compagnons ont été blessés, j’ai demandé au capitaine Tan de prêter quelques soldats pour vous protéger. Qu’en pensez-vous ? »

Fan était bien différent de Chen Luan, qui, assuré de ses appuis, méprisait ouvertement Tang Fan. Le préfet Fan, au contraire, craignait le moindre faux pas qui pourrait compromettre sa position, et cherchait à tout prix à bien servir Tang Fan.

Après réflexion, Tang Fan accepta : « Très bien. Placez-les autour de l’auberge pour la sécurité. Merci pour votre aide. »

Fan, soulagé de voir sa bonne intention bien accueillie, essuya discrètement une goutte de sueur : « C’est tout naturel, c’est mon devoir ! »

Une fois Fan parti, Lu Lingxi entra : « Grand frère Tang, les hommes qu'il a envoyés sont certes des soldats, mais même très entraînés, ils ne valent pas grand-chose comparés à moi ! »

Tang Fan haussa un sourcil : « N’es-tu pas censé te reposer ? Pourquoi es-tu debout ? »

Lu Lingxi répondit en souriant : « Toi, tu es levé, alors comment pourrais-je rester couché ? Je te l'ai dit, où que tu ailles, je vais te suivre pour te protéger ! Je ne veux pas revivre ce qui s'est passé hier soir ! »

Bien que le visage de Lu Lingxi soit un peu pâle, son énergie restait intacte. Son jeune âge et sa blessure moins grave lui permettaient de récupérer plus rapidement.

« Lu a bien raison ! » dirent Xi Ming et Han Jin en entrant à leur tour. « Maître Tang, ceux qui ont échoué hier reviendront sûrement. Il vous faut des gardes solides. »

Tang Fan fronça les sourcils : « Mais vous êtes blessés… »

Xi Ming lui adressa un sourire insouciant : « Nos blessures sont superficielles, et nous pouvons bouger normalement. Pas d'inquiétude ! »

Tang Fan, voyant leur insistance, céda : « Très bien. Après le petit-déjeuner, Xi Ming et Han Jin m'accompagneront pour rencontrer Shen Kunxiu. Yi Qing, de ton côté, va voir le préfet Fan pour obtenir le corps de Lin Zhen et faire examiner la cause de sa mort par un médecin légiste. »

Lin Zhen était le lettré retrouvé pendu, qui avait laissé une note écrite de son propre sang. Tant que cette affaire resterait non résolue, les examens officiels ne pourraient pas reprendre, car la réputation de plusieurs lettrés était en jeu.

Si leur implication dans une tricherie était confirmée, la mort de Lin Zhen serait perçue comme une tentative de fuir ses responsabilités, et leur réputation serait définitivement ternie. Mais si Shen Kunxiu avait mal jugé l’affaire, causant un tort injustifié aux étudiants, sa carrière serait ruinée.

Pour l’instant, c'était à Tang Fan seul de trancher.

Tout autre fonctionnaire serait venu se justifier ou s'assurer des bonnes grâces de Tang Fan, pour éviter qu'il ne se tourne en faveur des étudiants par mécontentement. Shen Kunxiu, lui, n’avait pas jugé nécessaire de le faire. Il n'avait même pas demandé à quelqu'un de venir saluer Tang Fan en son nom.

Était-ce par intégrité absolue ou par excès d'orgueil ?

Xi Ming et Han Jin acceptèrent en chœur. Lu Lingxi, cependant, n'était pas satisfait : « Grand frère Tang, et si je prenais la place de Xi Ming ? »

Tang Fan lui tapota la tête : « Sois sage. »

Lu Lingxi pinça discrètement les lèvres mais resta calme.

Les avis de visite devaient normalement être envoyés à l'avance, mais en tant qu'ambassadeur impérial, Tang Fan n’était pas soumis à cette règle. Il conduisit donc directement Xi Ming et Han Jin à l'endroit où se trouvait Shen Kunxiu.

Dans la ville, il y avait deux auberges officielles. Tang Fan et ses compagnons résidaient dans l'une d'elles, tandis que l'autre hébergeait Shen Kunxiu.

Shen Kunxiu, en tant qu’administrateur des examens pour la province du Jiangxi, avait son bureau permanent à la préfecture de Nanchang. Lors de ses tournées d’inspection dans la province, il logeait toujours dans des auberges officielles. Pris dans les tracas de l’affaire en cours, il quittait rarement sa résidence. Aussi, lorsque Tang Fan vint lui rendre visite, Shen était bien présent.

Bien que tous deux détenaient le même rang officiel, le statut spécial de Tang Fan obligeait Shen Kunxiu à le saluer avec une demi-révérence, que Tang Fan accepta sans formalités. Une fois assis, il aborda directement le sujet : « Je viens d’arriver et ne connais cette affaire que par les rapports officiels et quelques rumeurs. Je vous prie, Maître Shen, de bien vouloir me la raconter en détail. »

Shen Kunxiu se lança dans son récit, bien que, en vérité, l’affaire ne fût pas si complexe.

Depuis que les examens impériaux avaient été instaurés sous la dynastie Tang pour employer des érudits, la fraude existait. À l’époque actuelle, les candidats recouraient même sans scrupule à la corruption des examinateurs. Les techniques classiques de tricherie – glisser des papiers de triche dans les vêtements ou les chaussures – étaient devenues obsolètes, trop faciles à détecter et dangereuses. Les candidats les plus rusés préféraient s’assurer de la bienveillance des correcteurs.

Les évaluateurs étaient aussi humains. Les humains avaient des désirs, ce qui signifiait qu'ils avaient des faiblesses.

Cependant, depuis la dynastie Song, toutes les copies étaient retranscrites anonymement avant d'être soumises aux correcteurs, rendant impossible l’identification directe du candidat. Il était impossible de distinguer les candidats autrement que par leur écriture, même leurs noms étaient masqués, et ceux-ci n’étaient révélés qu'après la publication des résultats. Par conséquent, transmettre son nom à un correcteur en espérant qu'il favorise votre sélection était inutile, à moins de pouvoir obtenir directement les questions d'examen auprès des superviseurs eux-mêmes.

Mais les fraudeurs inventaient sans cesse de nouvelles méthodes, et cette année, ils avaient utilisé des codes secrets, agréés à l’avance avec les responables de la notation. Dans l’examen de cette année, l’expression « Dacheng ye» (« Grande Réalisation ») faisait office de code. Les candidats l’inséraient dans leurs copies pour signaler aux correcteurs qu'il s'agissait de copies à favoriser.

Cet examen à l'académie constituait un exemple typique de fraude par code secret, mais Shen Kunxiu ne s’en était pas rendu compte au préalable. Après avoir approuvé la publication des résultats, il s’aperçut que seize copies, dont celle de Lin Zhen, contenaient les mots « Grande Réalisation ». Soupçonnant une fraude, Shen Kunxiu avait convoqué ces seize candidats pour un nouvel examen. Plusieurs d’entre eux échouèrent, et il décida alors de les disqualifier définitivement.

Pour des érudits qui avaient consacré leur vie à l’étude, cette disqualification constituait un coup de tonnerre. Lin Zhen, désespéré, s’était pendu, et l’affaire avait pris une ampleur dramatique.

Après avoir écouté, Tang Fan demanda : « Maître Shen, vous avez réexaminé ces seize candidats. J’imagine que leurs copies sont toujours disponibles ? »

Shen Kunxiu acquiesça. « Bien sûr, elles sont conservées. »

« Puis-je les consulter ? »

Les copies étant une preuve essentielle, Shen Kunxiu les apporta aussitôt, y compris celles de la première session.

En les examinant, Tang Fan remarqua : « Les deux copies de Lin Zhen montrent un niveau similaire. Même lors de la seconde épreuve, il n’a pas semblé moins compétent. On peut donc supposer qu’il a rédigé ces essais par son propre mérite. »

Shen Kunxiu objecta : « Pas nécessairement. La similarité entre les copies ne prouve pas son innocence. Sa première copie contenait bien le code "Grande Réalisation". Il a probablement pensé que ce code suffirait à garantir sa réussite, sans prévoir que sa tricherie serait découverte. »

Cet argument n’était pas infondé. Face à des cas similaires, de nombreux examinateurs optaient pour l’indulgence si les compétences des candidats étaient constantes. À moins de grandes disparités, il était courant de fermer les yeux. Les érudits, en effet, bénéficiaient souvent de la clémence de l’administration, puisque le pouvoir impérial reposait en grande partie sur le soutien de la classe lettrée. Ainsi, il était un peu plus indulgent envers elle.

Il existait même des anecdotes illustrant cette indulgence. Dans une région sinistrée où le nombre de candidats participant aux examens institutionnels avait chuté par rapport aux années précédentes, les admis ayant obtenu leurs diplômes avaient demandé la réintégration des cinq candidats ayant échoué. Le responsable accéda à leur requête, et cet acte fut salué dans les cercles académiques.

La rigueur de Shen Kunxiu, en comparaison, pouvait sembler excessive. Cependant, il n’avait pas tort : ces seize candidats étaient suspects. Certains avaient peut-être les capacités nécessaires pour réussir sans tricher, mais en pensant que le code leur assurerait plus de chances, ils avaient décidé de l’utiliser, sans prévoir le piège.

Tang Fan enquêtait pour répondre à deux questions : d’une part, si ces seize candidats méritaient vraiment d’être disqualifiés, et d’autre part, si la mort de Lin Zhen pouvait être liée aux méthodes de Shen Kunxiu.

Il poursuivit : « Depuis mon arrivée à Ji’an, j’ai entendu certaines rumeurs vous concernant, Maître Shen. »

Shen Kunxiu fronça les sourcils. « Quelles rumeurs ? »

« On dit que le père de Lin Zhen aurait eu un différend personnel avec vous par le passé. »

Furieux, Shen Kunxiu frappa la table. « Calomnies ! Qui vous a raconté cela ? Lin Zhen et les autres ont été pris en flagrant délit de tricherie, et ma décision de les disqualifier est impartiale et irréprochable ! »

Tang Fan, le voyant rouge d'irritation, tenta de le calmer : « Maître Shen, je fais simplement mon devoir. Même s’il s’agit de rumeurs, il est de mon devoir d’enquêter. Par ailleurs, celui qui a lancé les rumeurs de fraude peu après l'affichage des résultats pourrait être suspect. Avez-vous examiné cette piste ? »

Shen Kunxiu n’avait effectivement jamais cherché à retrouver l’auteur de la rumeur de tricherie. Lorsque la nouvelle lui parvint, l’affaire avait déjà pris une ampleur considérable, et il se trouvait bien trop occupé à essayer de calmer les choses pour se préoccuper de démasquer celui qui avait déclenché l’incendie.

À la question de Tang Fan, il répondit, le visage fermé : « Non. »

Tang Fan poursuivit : « Et avez-vous interrogé les correcteurs ? Ont-ils reconnu leur participation à la fraude avec les candidats ? »

Shen Kunxiu répondit : « Je les ai interrogés, mais ils n’ont rien voulu admettre. »

Tang Fan fronça les sourcils. Est-ce qu’ils n’avaient rien avoué, ou bien Shen Kunxiu n’avait-il pas cherché à obtenir des aveux ? Sans la complicité des correcteurs, il aurait été impossible pour les candidats de dissimuler leurs messages codés dans les copies.

Voyant l’expression contrariée de Tang Fan, Shen Kunxiu se sentit également agacé. Convaincu d’avoir agi correctement, il ne comprenait pas pourquoi, à cause de la mort de Lin Zhen, il était soudain pointé du doigt. La cour avait envoyé un enquêteur pour examiner l’affaire, et bien qu’il ne puisse s’y opposer, voir Tang Fan, si jeune, l’interroger avec un ton d’accusation comme s’il était un suspect le mettait hors de lui.

Tang Fan demanda : « Maître Shen, combien de correcteurs étaient en charge de cette session d’examens ? Et d’où viennent-ils ? »

Shen Kunxiu répondit : « Ils étaient cinq, tous des recteurs de l’académie de la préfecture de Ji’an. »

« Et où sont-ils à présent ? J’aimerais les rencontrer. »

« Ils sont déjà retournés chez eux. »

Tang Fan perdit patience : « Ils sont tous suspects dans cette affaire. Vous saviez que la cour enverrait un enquêteur, et vous les avez tout de même laissés partir. Comment pouvez-vous expliquer cela ? »

Shen Kunxiu grogna : « Si Monsieur Tang n’est pas satisfait, il peut très bien les convoquer pour les interroger à nouveau ! »

L’attitude nonchalante de Shen Kunxiu agaça encore plus Tang Fan. Ce fiasco résultait de sa mauvaise gestion, et maintenant, il osait se montrer aussi droit dans ses bottes. Pour qui se prenait-il ?

Tang Fan, le visage fermé, répondit : « J’en ferai part à la cour. »

Sous-entendu : je vais vous dénoncer.

Contre toute attente, Shen Kunxiu répondit d’un ton grave : « Faites donc. »

L’entretien se termina dans une atmosphère glaciale. Tang Fan comprit pleinement le caractère de Shen Kunxiu. N’ayant plus rien à dire, il se leva brusquement, prêt à quitter les lieux, mais un domestique se précipita dans la pièce, visiblement bouleversé.

« Maître, maître, quelque chose de terrible est arrivé ! » En voyant Tang Fan, l’homme s’interrompit brusquement, tentant de masquer son angoisse, ce qui rendit son expression encore plus étrange.

Tang Fan comprit qu’on préférait qu’il n’entende pas la nouvelle et, sans insister, il salua Shen Kunxiu et quitta la pièce avec Xi Ming et Han Jin.

Shen Kunxiu, de son côté, resta assis sans se lever pour raccompagner ses visiteurs.

À peine sortis, Xi Ming souffla à Tang Fan : « Monsieur, le domestique de Shen Kunxiu semblait très troublé. »

Tang Fan hocha la tête, ayant également remarqué l’inquiétude inhabituelle. Si quelque chose de mineur s'était produit, il n'aurait pas été comme ça. « Renseignez-vous sur ce qui a pu se passer, et rassemblez les cinq correcteurs ainsi que les autres candidats suspectés d’avoir triché. Je veux interroger tout le monde. Allez voir le préfet Fan, il sera contraint de vous aider. »

Xi Ming accepta avec empressement.

S’il y avait eu fraude, elle impliquait forcément les correcteurs. Or, Shen Kunxiu les avait renvoyés sans hésitation, ce qui ne manquait pas de susciter des doutes. Shen Kunxiu se montrait clairement peu coopératif, mais Tang Fan n’en était pas pour autant démuni. L’affaire n’était pas compliquée en soi ; il manquait seulement les témoins clés pour pouvoir avancer.

Après avoir donné ses instructions, Xi Ming partit aussitôt chercher le préfet Fan. Tang Fan, quant à lui, rentra avec Han Jin à leur auberge, où Lu Lingxi les attendait déjà.

« Grand frère Tang, Lin Fengyuan m’a dit que le corps de Lin Zhen a déjà été enterré. »

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

 

 

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