Plus de dix personnes étaient décédées, et à ce stade, il n'était pas clair si le meurtrier était un être humain ou un fantôme. Les habitants pensaient que c'était une punition des dieux de la rivière, tous terrifiés jusqu'à l'âme. Même le magistrat He avait été influencé par cela, mais Tang Fan et les autres se tenaient du point de vue d'enquête ; ils ne voulaient pas envisager les choses sous cet angle, sinon l'affaire ne serait jamais examinée à fond, s'ils devaient directement signaler au tribunal que le surnaturel était en jeu.
Ils ne voulaient pas non plus perdre leurs chapeaux noirs sur leurs têtes (NT : leurs postes, le chapeau étant le symbole de leur fonction), bien sûr.
"Étant donné qu'il y avait des grottes de voleurs dans les tombes impériales, cela doit être lié aux profanateurs de tombes", considéra Tang Fan. "Après tout ce temps, est-ce qu'aucun voleur n'a été attrapé ?"
"Après l'incident avec l'ancien chef de village, plus personne n'ose y aller la nuit", répondit le magistrat He. "J'ai déjà emmené plusieurs personnes pour inspecter toutes les grottes des voleurs et les tombes pendant la journée, mais nous n'avons rien découvert. Personne ne voulait descendre dans les grottes au départ, alors je n'ai eu d'autre choix que d'offrir une récompense financière, car c'est seulement alors que quelques-uns furent prêts à descendre. Cependant, ils sont remontés peu de temps après, disant que les grottes étaient creusées trop profondément, et qu'elles s'étendaient jusqu'à l'obscurité totale. Ils ne pouvaient pas voir où elles allaient, ni où cela menait, alors ils avaient trop peur d'aller plus loin. Après cela, j'ai proposé une compensation de plusieurs fois plus, et certains étaient toujours prêts à chercher, mais..."
Il marmonna un peu, puis finit par dire : "Mais ils ne sont jamais remontés."
L'ambiance animée du dîner se refroidit peu à peu. Tout le monde était choqué par la description du magistrat.
Ces détails n'avaient pas été consignés dans les mémoires présentées, mais Tang Fan comprenait pourquoi. Ces événements étaient finalement beaucoup trop étranges, et il aurait été difficile de les décrire clairement en si peu de mots, car les mémoires exigeaient l'utilisation d'une phraséologie concise. Il était impossible de tout consigner en détail.
Cependant, ils avaient tous fait le long voyage depuis la capitale lointaine pour enquêter, et il était impératif qu'ils découvrent la vérité, par souci de la vérité elle-même. C'était juste que, selon les paroles du magistrat He, cette affaire était complexe et dangereuse, dépassant probablement largement leurs attentes initiales.
Même Yin Yuanhua, qui avait délibérément prévu de venir pour voler le mérite, commençait à regretter son insistance.
Le magistrat He regarda Tang Fan avec anxiété, craignant qu'il ne le réprimande pour ne pas avoir écrit tout cela clairement dans le mémorial. Il se détendit légèrement lorsqu'il constata que l'autre n'avait aucune intention de le blâmer. À l'instant suivant, il l'entendit demander : "À quelle distance se trouve le village de la rivière Luo d'ici ?"
"Ce n'est pas loin, à environ dix li de la capitale du comté."
"Dans ce cas, nous nous y rendrons une fois que nous aurons fini de manger et passerons simplement la nuit là-bas."
Le magistrat He fut complètement abasourdi. "Hein ?"
"Qu'est-ce qui ne va pas ?"
Le magistrat sortit de sa torpeur. "Eh bien, ce n'est pas possible, voilà tout. Le village est simple, et j'ai peur qu'il ne corresponde pas à vos préférences. De plus, en pleine nuit..."
"C'est précisément pour cette raison", intervint Tang Fan. "N'avez-vous pas dit que les lamentations avaient repris récemment ? Nous sommes juste à temps pour y jeter un coup d'œil et voir quelle divinité se trouve réellement là. Pourrions-nous même trouver quelque chose en plein jour, sinon ?" Il regarda ensuite Sui Zhou. "Quelle est ton opinion à ce sujet, Frère Guangchuan ?"
L'autre hocha la tête. "Les paroles de Monsieur Tang sont judicieuses. Nous, les frères de la Garde de Brocarde, n'avons pas d'avis."
Bien sûr, la Garde n'avait pas d'avis. Jusqu'à présent, rien n'avait été trop difficile, car se dépêcher pendant la journée et dormir la nuit entraient dans la catégorie de leurs missions "à l'étranger habituelles", selon leur point de vue. Lorsque Sui Zhou avait enquêté sur l'affaire de Huang Jinglong, les choses avaient été bien plus difficiles que cela, car ils avaient dû se cacher des yeux et des oreilles de leur homologue, se cacher pendant la journée et sortir la nuit, et voyager à double vitesse lors de leurs déplacements.
Pour les fonctionnaires civils, c'était un peu difficile à supporter. Pour Yin Yuanhua, c'était particulièrement difficile ; en entendant cela, il avait plus ou moins envie de s'évanouir et de mourir. "Monsieur, nous venons d'arriver ! Laissez-nous nous reposer ici une nuit. Il ne sera pas trop tard pour en parler davantage demain, n'est-ce pas ?"
Tang Fan était un patron bienveillant. "Puisque vous n'avez pas la force nécessaire, Frère Yin, vous pouvez simplement vous reposer en ville. J'irai avec le groupe de l'envoyé du Bastion."
Yin Yuanhua avait enduré beaucoup pour voyager de la capitale au comté de Gong. N'était-ce pas pour voler le mérite et rassembler des éléments compromettants sur Tang Fan en même temps ? S'il ne lui était pas permis de participer à l'enquête, à quoi bon risquer sa vie en venant ici ?
Il savait que Tang Fan ne voulait clairement pas le laisser venir, allant même jusqu'à lui faire des remarques sarcastiques, et il n'avait d'autre choix que de forcer un sourire. "Comment pourrais-je faire ça ? Cet humble fonctionnaire a des devoirs, alors quelle raison y aurait-il de vous laisser affronter cela seul, Monsieur ? S'il vous plaît, permettez-moi de vous accompagner !"
"Si vous ne vous sentez pas bien, ne vous forcez pas", répondit Tang Fan amicalement. "Guérir de votre maladie est important. Je peux tout gérer."
C'est toi le malade ! Ta famille entière est malade !
Yin Yuanhua était sur le point de se casser les dents de rage tout en étant obligé de montrer une expression émue. "Vous avez peut-être de l'empathie, mais comment pourrais-je vous laisser affronter le danger seul en toute tranquillité d'esprit ? Je serai rassuré si je vous accompagne."
Voyant qu'il était insistant, Tang Fan hocha la tête. "C'est comme vous voulez. Faites attention à vous, et si vous ne pouvez pas continuer, faites-le-moi savoir."
Le magistrat He ne savait rien de la confrontation entre ces deux, pensant à quel point M. Yin était vraiment un ambassadeur impérial de la capitale, pour risquer ainsi sa vie ; il avait vomi si fort, mais était toujours entièrement concentré sur sa mission.
Avec l'insistance de Yin Yuanhua à les accompagner, quelle raison y avait-il pour que les deux greffiers, Cheng Wen et Tian Xuan, ne les accompagnent pas ? Le groupe avait mangé à sa faim et se dirigea vers le village de la rivière Luo sur les indications du magistrat.
Le groupe du député du comté avait pris l'initiative de préparer des logements pour ces messieurs. Le village était finalement inférieur à la ville, et avec autant de personnes qui s'y précipitaient, ils n'étaient même pas sûrs qu'il y aurait assez d'espace pour les accueillir.
La distance entre la ville et le village n'était pas grande, alors personne ne prit de chevaux, les remplaçant par des litières. Les montures des gardes furent confiées aux soins de l'auberge, jouissant ainsi une pause bien méritée pour être venues si loin.
L'impression d'être dans une litière différait de celle de monter à cheval. Assis sur un coussin épais et moelleux avec un léger balancement sous son corps, Tang Fan était tellement à l'aise qu'il faillit s'endormir.
En fait, il s'endormit. Et il dormit jusqu'à ce que quelqu'un le réveille doucement.
"Nous sommes arrivés", lui dit Sui Zhou, penché dans la litière.
Ceci était finalement un espace public, et Yin Yuanhua et le reste étaient présents ; il ne serait pas bon pour eux de montrer ouvertement leur amitié, même la manière dont ils se parlaient devait être conforme aux normes.
Tang Fan lui sourit, s'étira le dos. Il se sentait un peu plus en forme, mais son épuisement physique n’en devenait que plus apparent, et retourner dormir le démangeait. Forcément, il réprima ce désir, et dès qu'il descendit de la litière, il redevint l'ambassadeur impérial plein d'énergie.
Cette mission n'était pas seulement un point décisif pour son propre cheminement de carrière, mais elle était aussi liée aux voies de la richesse et de la promotion pour d'autres. En tant qu'envoyé principal, il devait prendre en considération tous ceux qui étaient sous sa responsabilité, et ne pas agir de manière trop arbitraire.
Comme ce soir, par exemple ; laissant de côté ceux comme Yin Yuanhua, qui étaient plongés dans le mal des transports, les Gardes comme Pang Qi étaient impatients de faire leurs preuves et avaient vraiment hâte de venir ici et d'enquêter immédiatement. Sui Zhou pouvait les freiner, mais après avoir réfléchi à la situation du point de vue de l'autre, Tang Fan ne voulait pas lui compliquer les choses.
À ce moment, la nuit descendait tout juste, le ciel n'était pas encore complètement obscurci. Sous sa couleur bleu-gris, tout le monde put enfin voir le village de la rivière Luo.
Ce n'était pas un endroit très grand, mais ce n'était pas non plus petit, car il était à la fois proche du comté de Gong et situé le long du bord de la Luo. De nombreux habitants de la ville étaient originaires de cet endroit. Toutes les allées et venues avaient aplani les routes ici, ce qui le rendait relativement prospère.
Cependant, les villages étaient des villages. Ils ne pouvaient pas avoir une auberge aussi luxueuse que celle de la ville, ce qui poussa l’adjoint du comté à venir faire son rapport avec un visage empreint d'embarras. "Ambassadeurs, il s'agit d'un village simple inférieur à la ville. Il a été difficile de trouver de nombreuses maisons. J'ai réussi à en rassembler quelques-unes pour votre usage temporaire en guise de repos, mais, de cette manière, je crains que vous deviez tous vous contenter de partager. Comment voyez-vous cela... ?"
Les maisons avaient été vidées de manière improvisée, après que l’adjoint eut demandé à quelques villageois d'aller loger chez des voisins ou des proches.
Tang Fan, évidemment, n'avait pas d'opinion sur la question. "Combien de maisons y a-t-il au total ?"
"Il y en a neuf. Je les ai arrangées de manière à ce qu'elles soient toutes reliées entre elles."
"Merci pour votre travail," félicita Tang Fan. "Cela fera l'affaire, alors."
L’adjoint avait craint d'être réprimandé, mais avait reçu des éloges à la place. Il était plus que ravi.
"Je partagerai avec Guangchuan. Frère Yin, Cheng Wen et Tian Xuan seront ensemble. Le reste d'entre vous se rassemblera selon les ordres de Guangchuan."
Sui Zhou emmena les Gardes pour les répartir dans les sept autres maisons. Certaines étaient plus grandes, d'autres plus petites ; Tang Fan et Sui Zhou partageaient tout normalement, alors rester dans une petite pièce et partager un lit pour dormir semblait naturel. De toute façon, personne n'était venu ici pour s'amuser, donc se serrer ensemble ne posait pas de problème.
Le trio formé par Yin Yuanhua et les deux greffiers fut logé dans une grande maison, qui avait une chambre intérieure et une extérieure. Yin Yuanhua prit la chambre intérieure pour dormir, tandis que les greffiers prirent la chambre extérieure.
Les Gardes étaient beaucoup plus faciles à organiser. C'étaient tous des gars solides, et dès lors qu'on leur donnait un endroit et une couverture, ils pouvaient dormir n'importe où, moins exigeants quand ils n'étaient pas chez eux.
"Si vous n'êtes pas pressé de rentrer, vous pourriez aussi nous emmener rendre visite à l'ancien chef du village", dit Tang Fan au magistrat He une fois que les maisons furent réparties. Il remarqua toutefois que l'autre hésitait et se retenait de parler. "Y a-t-il un problème avec ça ?"
Le magistrat He sourit douloureusement. "Ce n'est pas que j'essaie délibérément d'éluder la question, Monsieur. Après avoir survécu à cette frayeur précédente, le chef semble bien se porter en temps normal, mais chaque fois que quelqu'un évoque les événements de cette nuit-là, il ne fait que répéter les mêmes mots encore et encore, au point qu'il est impossible d'obtenir une réponse de lui. De plus..."
"De plus quoi ?"
"La nuit est sur le point de tomber. Pourquoi ne pas... pourquoi ne pas le faire demain ?"
Dès que l'homme dit cela, Tang Fan remarqua que ce n'était pas seulement lui, mais même le groupe comprenant l’adjoint qui avait l'air inquiet.
Auparavant, le magistrat He avait juré que seuls les gens du commun croyaient en une intervention surnaturelle, mais son hésitation actuelle montrait qu'il avait lui aussi des appréhensions.
Non loin de là, le bruit de l'eau de la Luo coulait en passant, se dirigeant droit vers le fleuve Jaune au nord-est. Il n'était pas aussi agité que ce dernier, mais il coulait tout de même rapidement, sa surface suffisamment large pour que des bateaux puissent naviguer dessus, avec de la végétation sur ses rives. Le regarder en journée offrirait certainement une belle vue de verdure luxuriante et de brume légère, mais il était trop tard pour cela maintenant. Tout était sombre, le vent du soir qui soufflait rendait l'atmosphère beaucoup plus froide qu'en journée ; ceux qui portaient moins de vêtements frissonnaient involontairement.
Cette rivière devant eux ne semblait en aucune manière avoir englouti autant de personnes, mais Tang Fan avait peut-être été contaminé par les émotions du magistrat et des autres. Lorsqu'il la regardait d'un point de vue en hauteur, il avait l'impression que sous ses eaux tumultueuses, de nombreux dangers peu connus étaient cachés en profondeur.
Comme les autres étaient aussi nerveux, il ne les a pas forcés. "Très bien. Indiquez-nous le chemin jusqu'à la résidence du chef, laissez quelques personnes qui connaissent bien le terrain pour coordonner, puis retournez chez vous."
Le magistrat He était en effet un peu effrayé, alors il regarda l’adjoint; ce dernier, au contraire, était désireux de plaire à ces ambassadeurs et s'est porté volontaire. "Cet humble fonctionnaire est prêt à rester et à vous montrer le chemin."
Puisque l’adjoint était prêt, le Magistrat s'est impatienté. Il a laissé deux autres baillis pour prendre des ordres, après quoi il a reconnu ses erreurs envers le groupe de Tang Fan, est monté dans une litière et s'est précipité.
Le magistrat He agissait avec trop de prudence et d'indécision. S'il avait été une personne ordinaire, cela aurait été acceptable, mais il était un fonctionnaire nommé par la Dynastie. Il aurait dû prendre au moins une certaine responsabilité, ne serait-ce que pour ses propres perspectives, mais comme il refusait de tout mettre en œuvre, il était destiné à ne pas aller loin dans la fonction publique. Même ainsi, Tang Fan ne l'a pas réprimandé. La chose la plus importante en ce moment était d'enquêter sur l'affaire, à laquelle le magistrat avait peu de liens. Sa présence n'aurait pas fait de différence.
En revanche, l’adjoint du comté Zhao était plus enthousiaste. Après leur présentation, le groupe de Tang Fan a appris que le chef actuel du village était le fils de l'ancien chef. Comme l'ancien chef avait toujours été prestigieux et disposé à se mettre en quatre pour les villageois, mais avait rencontré un tel malheur, tout le monde avait élu son fils aîné comme nouveau chef. L'ancien chef vivait maintenant avec son fils.
Sous la direction de l’adjoint Zhao, ils sont arrivés chez le chef. Ce dernier avait précédemment entendu dire que des personnalités importantes étaient arrivées dans le comté, mais n'avait pas osé sortir et les déranger sans les ordres du magistrat He. Maintenant, voyant les ambassadeurs impériaux arriver en personne, il s'est précipité pour les accueillir tandis que les voisins étaient tous alarmés, transformant ce village normalement serein en un chaos pendant un bon moment. Sa petite maison ne pouvait pas accueillir trop de monde, alors Tang Fan demanda à Pang Qi de garder un œil dehors avec les autres tandis qu'il entrait avec Sui Zhou, Yin Yuanhua et les greffiers.
Le fils aîné du chef avait plus de quarante ans, et portait le nom de famille Liu. C'était un homme terre-à-terre et honnête. Une fois qu'il a entendu l'intention de Tang Fan en venant ici, il se dirigea à l'intérieur et demanda au vieux chef de sortir, puis il s'est incliné humblement en s'excusant auprès de tous. "Mon père a actuellement du mal à parler. Parfois, il n'est pas clair. S'il vous plaît, ne lui en voulez pas, Messieurs."
"Vous n'avez pas à vous inquiéter", répondit chaleureusement Tang Fan. "Nous poserons simplement quelques questions, puis nous partirons, bien que je craigne de vous déranger ici pendant quelques jours. Au total."
Le chef Liu était probablement un peu expérimenté, car bien qu'il soit respectueusement craintif, ses paroles ne manquaient pas de politesse. Il sourit avec bienveillance. "C'est un honneur pour ce chef que vous, nobles messieurs, nous visitiez. Comment pourriez-vous jamais être une gêne ? Ce village est trop rustique, alors j'ai bien peur que ce soit vous tous qui serez lésés."
Pendant qu'ils parlaient, le vieux chef écoutait à proximité. Il semblait placide, frottant lentement ses mains ensemble, et ne semblait pas différent d'une personne ordinaire, mais lorsque Tang Fan évoqua cette nuit-là, son expression devint soudain un peu troublée. Son corps trembla légèrement, sa bouche s'ouvrit et se referma, comme s'il voulait dire quelque chose.
"Papa, voici le haut fonctionnaire que la Cour a envoyé pour enquêter sur l'affaire", dit le chef Liu. "Peux-tu dire à ces messieurs ce qui s'est réellement passé cette nuit-là, maintenant ?"
Le vieux chef secoua la tête à maintes reprises. "Je ne peux pas ! Je ne peux pas ! La colère divine viendra !"
"N'aie pas peur, papa. Ces fonctionnaires sont tous des messagers célestes que les fantômes n'osent pas approcher. N'as-tu pas dit que tu as vu des dieux de la rivière ? Que s'est-il passé ?"
L'homme soupira. "Nobles seigneurs, ce n'est pas parce que ce petit vieux refuse de parler, mais parce que je ne veux vraiment pas vous voir tous partir pour la mort ! Cette nuit-là, j'ai clairement vu des dieux sortir de la rivière - ceux qui sont allés creuser les tombes ont été traînés tout d'un coup, il n'en est resté même pas un os !"
Cette partie de l'histoire n'avait pas été mentionnée par le magistrat He. "Vous avez vu des voleurs auparavant ?"
Le vieux chef hocha la tête. "Oui. Ils portaient des pelles pour aller déterrer des tombes, et quand nous les avons rencontrés, ils ont essayé de s'échapper, alors nous les avons poursuivis, les avons poursuivis jusqu'au bord de la rivière, et puis..." En se remémorant la situation de cette nuit-là, il semblait être pris de peur, devenant rapidement incohérent. "Et puis nous sommes tombés sur des fantômes ! Il y avait des fantômes, tant de fantômes..."
Regardez ça. Il venait de dire que c'étaient des dieux de la rivière, et maintenant il mentionnait que c'étaient des fantômes !
Tang Fan, Sui Zhou et le reste se regardèrent.
"Papa, de quoi parles-tu même ? !" insista le chef Liu.
Le vieil homme frissonna, son visage se tordant comme s'il avait vu quelque chose d'incroyablement horrible. Alors qu'il secouait la tête, il rétrécit tout son corps dans le coin, les larmes coulant de ses yeux troubles. "Le petit Six de Liu avait la moitié de son corps arrachée. Sa moitié supérieure était toujours sur la rive, grattant avec ses ongles alors qu'il se couchait sur le ventre, criant et hurlant constamment, nous demandant de le sauver... Le bailli Zhou est venu en courant, a attrapé sa main et a essayé de le tirer, mais si je ne l'avais pas attrapé, il aurait été traîné aussi... alors, nous avons tous vu qu'il y avait quelque chose dans la rivière..."
"Qu'était-ce ?" interrogea Tang Fan.
"Dieux de la rivière ! Les dieux de la rivière !"
"..."
Tang Fan avait l'impression qu'il était impossible de prendre au sérieux un aîné comme lui. Comme l'avait dit le magistrat, tout ce qui sortait de sa bouche était décousu ; les premières moitiés de ses phrases étaient assez organisées, mais la moitié suivante était à nouveau absurde, rendant difficile de distinguer le vrai du faux.
Comme ils ne retiraient rien de lui, Tang Fan se tourna vers Sui Zhou. "As-tu quelque chose que tu veux demander, Frère Guangchuan ?" L'autre secoua légèrement la tête.
Yin Yuanhua voulut poser une question différente de la foule. "Avez-vous vu à quoi ressemblaient les dieux de la rivière ?"
Le vieux chef fit une pause, puis ses dents se mirent à claquer. Le chef Liu s'avança rapidement pour le soutenir. "Papa, que se passe-t-il ?" demanda-t-il, inquiet.
À sa grande surprise, le vieil homme commença à trembler encore plus violemment, poussant soudainement la main du chef Liu et se recroquevillant dans le coin du kang (NT : sorte de banquette lit qu’on réchauffe par-dessous).
Impuissant, le chef Liu dut plaider avec Tang Fan. "Monsieur, avec mon père dans cet état, il n'y a vraiment rien qu'il puisse dire. Pouvez-vous poser la question plus tard ?"
Sentant qu'il avait perdu la face, Yin Yuanhua ne put s'empêcher de fulminer contre le vieil homme ; et pourtant, il vit par hasard que la tête du vieil homme s'était relevée, la terreur et le désespoir dans ce regard atteignant l'extrême, et avec eux, une supplication. Il en eut froid dans le dos, et il refusa immédiatement de croiser son regard, déviant le sien.
Tang Fan se leva, demanda à Chef Liu de bien s'occuper de son père, puis quitta la maison avec tous les autres. Derrière lui, le vieux chef marmonnait. "Ne partez pas, n'allez jamais là-bas, il y a des fantômes là-bas, des fantômes, tant de fantômes, des fantômes partout..." Tang Fan ne put s'empêcher de jeter un coup d'œil en arrière, mais le vieil homme avait depuis baissé la tête, le crâne appuyé contre le mur. Il ne leur jeta même pas un regard. La visite n’avait pas duré longtemps. Tang Fan ordonna à chacun de retourner dans les maisons qui leur avaient été temporairement assignées et de se préparer à dormir.
À propos, l’adjoint Zhao était en effet beaucoup plus attentionné que le magistrat He, ayant même préparé de l'eau chaude et des serviettes pour le visage. De peur de ne pas être assez attentif, alors que Tang Fan et les autres étaient allés chez les Liu pour les interroger, il avait envoyé des gens acheter des collations en ville pour ici. Maintenant, la théière sur la table était encore brûlante - le service à thé était simple, mais dès que l'arôme atteignit le nez de Tang Fan, il put dire que c'était du bon thé authentique.
"Le magistrat He craignait la mort et insistait pour rentrer plus tôt, mais le député Zhao est resté derrière de sa propre initiative. Sa considération et sa prévenance sont aussi différentes que le ciel et la terre !" Tang Fan secoua la tête, servant des tasses de thé à Sui Zhou et à lui-même.
"Il veut seulement que tu l'aides à mettre quelques bons mots pour lui quand tu rentreras. Les gens visent plus haut ; probablement personne ne veut rester adjoint au comté toute sa vie." Sui Zhou déplia les bandages propres qu'il avait pris à Pang Qi, y appliquant la pommade qu'il avait apportée lui-même. "Viens ici."
Apercevant ce qu'il avait dans la main, Tang Fan ne put s'empêcher de rire sèchement. "Je suis bandé depuis tant de jours, tu ne le sais pas ? Ils devraient être à peu près bien. Il n'y a pas besoin de les envelopper à nouveau, puisque c'est si maladroit."
"Je t'ai dit de venir ici, alors viens ici." Sui Zhou avait le visage impassible. "Ne devrais-tu pas savoir si c'est 'bien' ou non ?"
Ils n'étaient pas bien, bien sûr. Tang Fan ne put que paraître vaincu en se dirigeant lentement vers lui.
"Allonge-toi, enlève ton pantalon et relève tes robes."
"..."
Cela sonnait ambigu. Si quelqu'un passait devant en ce moment, il aurait probablement des méprises.
Mais, en réalité, ce n'était pas du tout ce qui se passait.
L'aptitude physique de Tang Fan n'était pas plus forte que celle de Yin Yuanhua et des deux autres. Monter à cheval pendant combien de jours avait été insupportable, mais monter en voiture aurait été encore pire ; il suffisait de voir à quel point Yin Yuanhua avait vomi si violemment, et on saurait. En comparaison, monter à cheval ne faisait mal qu'au derrière et aux cuisses, plutôt qu'à tout le corps. En ce qui concerne le bon choix à faire, en tant que plus haut dirigeant de cette expédition, Seigneur Tang avait préféré souffrir un peu, car il ne pouvait absolument pas être comme Yin Yuanhua, dont tout son raffinement balayé au sol.
C'était ce qu'on appelle vivre avec des difficultés pour mourir dignement.
Son derrière allait bien, car la peau relativement plus épaisse n'avait pas été affectée par les secousses. Le problème principal était que la face interne de ses cuisses avait été frottée et secouée sans cesse pendant la chevauchée, formant des ampoules qui avaient éclaté et saigné par la suite. Ces blessures devaient être soignées. Au début, Tang Fan avait été trop gêné pour en parler en raison de sa dignité, ce qui avait continué jusqu'à ce que Sui Zhou ne le force à les soigner.
Changer ses pansements chaque nuit était devenu la chose que Monsieur Tang était le plus réticent à faire. S'il en avait le choix, il préférerait probablement aller affronter amicalement les "dieux de la rivière" de Luo plutôt que de rester sur le dos - jambes écartées, pantalon baissé, robes relevées - pour permettre à Sui Zhou de mettre la nouvelle gaze sur les zones affectées.
Même si tout le monde ici était un homme avec ce qu'il fallait et sans ce qu'il ne fallait pas, il était encore mal à l'aise, fixant les poutres du toit au-dessus de sa tête et faisant semblant que son esprit divaguait pour dissimuler sa véritable gêne.
Sui Zhou semblait pouvoir voir ses pensées intérieures. À l'intérieur, il trouvait cela hilarant, mais à l'extérieur, il restait aussi imperturbable que jamais. Il enroula les bandages quelques fois, puis jeta un coup d'œil à l'entrejambe de l'autre avec une incidence feinte. "Ce n'est pas une mauvaise taille ", dit-il d'un air impassible.
Ignorez Tang Fan qui faisait semblant d'être mort ; son attention était toujours entièrement présente. Dès que les paroles de l'homme pénétrèrent ses oreilles, il rougit immédiatement, furieux. "Comme tu oses, critiquer l'apparence d'un ambassadeur impérial ! Tu veux mourir ?!"
Sui Zhou grogna. "Je suis aussi un ambassadeur."
"Tu es l’adjoint, je suis le chef ! Ne dis pas de bêtises - enlève tes vêtements, et laisse cet officier te commenter!"
"Es-tu sûr de vouloir voir ?"
"Bien sûr que je le suis !"
Il avait pensé que Sui Zhou trouverait une excuse pour refuser, mais, contre toute attente, l'autre se leva de manière grandiloquente et enleva sa ceinture sans dire un mot de plus.
"Laisse tomber, laisse tomber !" dit Tang Fan rapidement. "Je sais que tu es plus jeune que moi, donc ce ne serait pas bon si ton ego était blessé. Tous les hommes veulent sauver la face, ce que je vais te permettre de faire cette fois."
"C'est bien. Ça ne me dérange pas."
"..."
Sui Zhou voulait vraiment taquiner Tang Fan ; il n'était pas vraiment aussi stupide. Voyant que Seigneur Tang était en train de gonfler ses plumes, il s'arrêta, puis apporta le plat de pâtisseries, en prit une et la mit lui-même près des lèvres de Tang Fan.
Sous la lueur tamisée de la bougie, Tang Fan ne pouvait pas voir à quoi ressemblait le gâteau aux jujubes aigres, mais son goût était superbe, à la fois sucré et acide. Il avait vaguement le parfum familier de la cuisine de sa maison d'enfance.
Il ne put s'empêcher de passer sa langue pour nettoyer la dernière bouchée dans sa bouche, heurtant accidentellement le doigt de Sui Zhou. L'autre fit une pause, puis retira rapidement sa main.
Tang Fan ne remarqua rien, fermant les yeux pour savourer la sensation sur ses papilles gustatives, hochant la tête et donnant plus de compliments. "Ces pâtisseries que l’adjoint Zhao a choisies sont excellentes ! Quel dommage que cet endroit soit si étrange. Ce serait un gaspillage de bonnes collations si nous devions courir partout au milieu de la nuit."
Sui Zhou lui suggéra de remettre son pantalon et de se lever, se penchant pour ajuster les draps en même temps. "Penses-tu qu'il y a anguille sous roche ?"
Tang Fan attrapa un autre gâteau et le mit dans sa bouche. "Tu l'as remarqué aussi ?"
"N'en mange pas trop, sinon tu ne pourras pas dormir plus tard", dit Sui Zhou en fronçant les sourcils. "Le vieil homme semble avoir un problème."
Tang Fan hocha la tête, voulant dire quelque chose, mais parce que le gâteau avait glissé dans sa gorge, il faillit s'étouffer. Il ne put s'empêcher de caresser sa gorge tout en regardant ailleurs.
Exaspéré, Sui Zhou s'approcha et lui tapota légèrement le dos, puis lui tendit une tasse de thé. "Comment as-tu réussi à survivre ces vingt dernières années ?"
Le thé descendit dans le ventre de Tang Fan, emportant le gâteau avec lui. Il poussa enfin un soupir de soulagement et rit un peu. "Je serai sûrement un fléau qui durera mille ans. Je crois que le vieil homme est suspect, lui aussi ; il parlait de manière incohérente, mais cela semblait plus une mise en scène qu'autre chose."
Sui Zhou hocha la tête, attendant qu'il continue.
"Il y a plusieurs possibilités. Premièrement, il a tué ces gens, bien que cela ne soit pas vraiment probable. Je ne peux pas imaginer pourquoi il voudrait les tuer sans raison, et en plus, c'est un vieil homme âgé et faible. Il serait impossible pour lui de tuer autant de personnes, à moins qu'il n'ait de l'aide. C'est tout simplement inenvisageable. Donc, cette possibilité sera mise de côté pour le moment. »
« Deuxièmement, lui, et peut-être même tout le village, collaborent avec les voleurs de tombes, faisant tout leur possible pour nous induire en erreur et nous faire pencher davantage dans la direction du surnaturel. Peut-être que les voleurs leur ont promis de leur donner une part des profits s'ils les aident à garder le secret, après avoir volé les tombes royales. Toutes les personnes tuées avaient découvert le secret et voulaient les dénoncer."
Après avoir lentement analysé cela, il secoua la tête. "Mais cela n'a pas beaucoup de sens non plus. Nous avons trop peu d'indices en main pour le moment. Il sera difficile de deviner la vérité si rapidement."
"Il y a une autre possibilité", dit Sui Zhou. Tang Fan le regarda. "Ce que l'ancien homme a dit est vrai."
L'autre leva les sourcils. "Tu crois aux fantômes ?"
Sui Zhou secoua la tête. "Ce n'est peut-être pas des fantômes, mais quelque chose d'autre. Peu importe que l'ancien chef soit réellement fou ou qu'il simule, il nous cache certainement quelque chose et ne veut pas l'expliquer."
Tang Fan sourit. "La diplomatie avant la guerre. On dirait que les Gardes de Brocarde vont devoir sortir." En ce qui concernait forcer des aveux par interrogatoire, il n'y avait vraiment personne de meilleur dans le royaume que les Gardes de Brocarde. Beaucoup pensaient à toutes sortes de méthodes odieuses en entendant les mots " forcer une confession ", mais en réalité, il existait de nombreuses méthodes mondaines pour faire en sorte que quelqu'un dise la vérité sans avoir recours à la torture, et qui étaient principalement utilisées sur les fonctionnaires qui ne disaient pas la vérité, mais ne pouvaient pas être torturés. C'était un secret de la Garde qui n'avait été transmis à personne d'autre. Maintenant, on pouvait l'utiliser en surpuissance pour traiter un vieil homme dans un village isolé.
"Reposons-nous d'abord, puis nous en parlerons davantage demain", dit Sui Zhou. C'est vrai. Il était déjà l'heure du Sanglier (NT : 21-23h) donc il était temps de dormir. Dehors, c'était calme, on n'entendait même pas le bruit des poules et des chiens. Tout ce qui était vivant avait probablement sombré dans le sommeil.
Dire que c'était silencieux serait cependant incorrect. La Luo toute proche coulait jour et nuit, le flot de la rivière apportant le bruit de l'eau qui coulait toujours dans leurs oreilles. Une fois qu'on s'y était habitué, le bruit ne semblait pas trop gênant, mais semblait plutôt nettoyer toutes les années de trouble dans le cœur. La place sur le kang n'était pas trop étroite, elle était largement suffisante pour deux personnes. Tang Fan dormait à l'intérieur, Sui Zhou à l'extérieur. Ils avaient vécu sous le même toit depuis longtemps, mais n'avaient jamais dormi l'un à côté de l'autre comme ça. Sui Zhou entendit le bruit de Tang Fan qui se retournait, puis dit : "Retourne-toi."
Tang Fan ne demanda pas pourquoi, se tournant docilement vers lui. Il sentit son menton être saisi par une main chaude, tandis que l'autre main de Sui Zhou appuyait lentement sur certains points d'acupuncture à l'arrière de son crâne. Les zones tendues autour de sa tête se relâchèrent progressivement, le faisant gémir de confort. Grâce à la juste pression de celui à l’arrière de sa tête, il ressentit l'épuisement accompagné de rafales de somnolence l’envahir et il entra rapidement dans le pays des rêves.
Après minuit, il fit un rêve étrange. Il marchait sur la rive d'une rivière noire, de nombreuses buttes funéraires se dressaient de manière inégale sur les vastes plaines lointaines. Le vent sifflait, le bruit des pleurs accompagnant venait de loin, sombre et strident, comme s'il était empli d'une tristesse et d'une haine sans fin, tandis qu'il se faufilait sur les plaines, puis pénétrait dans les oreilles de Tang Fan, le faisant frissonner de peur.
Les pleurs se rapprochèrent de plus en plus — tout à coup, il sembla y avoir quelque chose derrière lui ! L'émotion qu'il ressentit était indescriptible ; il savait seulement qu'il n'avait jamais été aussi terrifié. Il tourna lentement la tête... Et fit un sursaut en ouvrant brusquement les yeux.
"Ne bouge pas", murmura Sui Zhou à son oreille, le bras posé droit sur la taille de l'autre. En entendant sa voix, le cœur de Tang Fan, qui battait follement à cause du cauchemar, se calma progressivement.
Cependant, il réalisa bientôt que les lamentations éthérées qui lui avaient causé un malaise généralisé n'avaient pas du tout été dans son rêve, mais provenaient directement de l'extérieur.
Traducteur: Darkia1030
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