Chenghua -Chapitre 60 - Ce voyage était la mauvaise décision

 

 

Le Grand Ming possédait deux principales cités, Pékin et Nanjing, et était divisé en treize régions, communément appelées "provinces" malgré leur appellation officielle de "bureaux gouvernementaux pour le développement continu" qui était longue et maladroite. Les habitants du pays préféraient donc utiliser le terme "provinces".

La préfecture du Henan était l'un des territoires relevant du bureau du gouvernement du Henan. Elle comprenait un État avec treize comtés, dont le comté de Gong. Cette région était particulièrement spéciale en raison de la présence des tombes des sept empereurs des Song du Nord. Les habitants des villages voisins du chef-lieu s'étaient donc également chargés de défendre les tombes. Ilq considéraient la présence de ces tombes comme un signe que la région bénéficiait d'un bon feng shui, et ils en étaient fiers.

Même si la plupart des habitants étaient analphabètes, ils avaient plus d'informations sur les tombes impériales que les gens d'autres régions. Les anciens, âgés de plus de soixante-dix ans, montraient souvent du doigt un endroit en particulier et racontaient à leurs descendants que sous leurs pieds reposait telle ou telle tombe de l'Empereur, mais aujourd'hui, aucun d'entre eux ne verrait même un simple mausolée, car le peuple de Yuan les avait jadis dépouillés. Ils n'avaient pas toujours été ainsi, et ainsi de suite.

Ces descendants raconteraient alors à leurs propres descendants, l'histoire des tombes impériales se transmettant de génération en génération.

Cependant, tout cela a changé en raison de l’incident récent. Désormais, lorsque l'on évoquait les tombes des Song du Nord, la réaction des habitants n'était plus la fierté, mais une inexplicable terreur.

Tang Fan et son groupe ont quitté la capitale pour se rendre à la préfecture du Henan par voie terrestre. Sui Zhou laissait Xue Ling derrière lui pour diriger le bureau du bastion nord, tandis qu'il emmenait vingt gardes personnels, y compris Pang Qi. Ils sont partis ensemble au nom de la mission impériale.

Même si cette affaire n'était pas la plus urgente, elle avait coûté des vies humaines et impliquait le pillage de tombes impériales. Tous sont partis à cheval sans tarder, mais après deux jours de voyage, une disparité s'est peu à peu révélée. Les Gardes Brocardes étaient des hommes robustes ayant une peau épaisse et avaient été soumis à un entraînement intensif, ce qui les avait préparés. Cela dit, même sans ses exercices intensifs, l'équitation serait un jeu d'enfant pour des militaires comme eux.

Cependant, les fonctionnaires civils du ministère de la Justice étaient d'une tout autre trempe. Leur travail les maintenait assis dans des bureaux toute la journée, effectuant des tâches aussi simples que servir du thé et aller chercher de l'eau. Deux jours consécutifs à cheval les secouaient sérieusement, provoquant non seulement des douleurs dans tout leur corps, mais aussi l'apparition de cloques irritantes à l'intérieur de leurs cuisses, dont certaines s'étaient ouvertes et saignaient, provoquant une sensation de brûlure.

Tang Fan, en tant qu'ambassadeur impérial, devait maintenir une apparence de leadership, alors il endurait la douleur en serrant les dents. Cependant, Sui Zhou a rapidement remarqué que les fonctionnaires civils ne s'en sortaient pas très bien. Il ordonna aux gardes de ralentir le rythme et sortit même de la pommade pour soulager les blessures de Tang Fan et des autres.

Bien que leurs deux chefs restent imperturbables, les deux clercs subalternes avaient du mal à dissimuler leur souffrance. Au lieu de se plaindre, Yin Yuanhua refusa de remonter sur son cheval et insista pour obtenir une calèche pour continuer le voyage.

Les gardes n'étaient pas familiers avec ce groupe de civils, mais ils savaient que leur chef, Sui Zhou, avait une bonne relation avec Tang Fan. Les deux voyageaient en tant qu'ambassadeurs impériaux, tandis que Yin Yuanhua avait tenté de leur compliquer la vie tout au long du trajet. Les gardes ont donc pris pour cible Yin Yuanhua, sachant qu'ils ne pouvaient pas se moquer de l'ambassadeur.

L’un des gardes fit avec un sourire en coin. « Hé hé, quelqu'un pense qu'il est là pour s'amuser. Prendre une calèche ? Veut-il qu'un rideau de perles se soulève comme une jolie dame qui se couvre à moitié le visage, timide avant même d'avoir dit un mot ? »

Un des gardes répondit avec humour. « Comment sais-tu qu'il n'est pas une jolie dame ? L'as-tu vu sans vêtements ? »

Ils étaient tous à ce moment-là dans une auberge officielle pour faire une pause. Tang Fan et Sui Zhou étaient les ambassadeurs impériaux principaux et adjoints, et personne ne voulait partager la même table que ses supérieurs pour le dîner. Yin Yuanhua était assis à une table avec les deux clercs, tandis que le reste des gardes étaient dispersés à d'autres tables. Ce qui était dit à la table voisine fut entendu clairement par le premier.

Yin Yuanhua réagit à la moquerie en frappant bruyamment ses baguettes sur la table et en se levant brusquement. « De qui parlez-vous ? »

Sa décision de se lever était une erreur, car ses cuisses endolories ont crispé ses muscles, provoquant une expression douloureuse sur son visage et suscitant les railleries des gardes.

Tang Fan, malgré son désaccord avec Yin Yuanhua, agissait en tant qu'envoyé principal pour ce voyage. En tant que supérieur, il ne pouvait pas rester assis et regarder son subordonné être humilié de la sorte. Il poussa Sui Zhou du coude pour qu'il intervienne.

Ce dernier toussa légèrement et ses yeux perçants se sont tournés vers ses subordonnés, les obligeant à cesser immédiatement de rire et à se replonger dans leur repas.

Après le repas, Yin Yuanhua maintaint sa décision de ne pas monter à cheval et exigea d’avoir une calèche pour se rendre au Henan, suscitant l'envie des deux clercs, qui souffraient eux aussi énormément. Les deux regardèrent Tang Fan avec des yeux envieux.

Son expression était quelque peu étrange. "Vous êtes vraiment déterminés à prendre une calèche, n'est-ce pas ?"

Les employés n'osaient pas répondre, mais Yin Yuanhua prit la parole. "C'est nécessaire ! Je ne suis pas aussi bien loti que vous, Monsieur. Je n'ai pas le titre d'ambassadeur impérial pour me soutenir ! Le confort est important pour moi ! Je ne crains pas d'être raillé."

Il laissait entendre que Tang Fan allait endurer des tourments pour préserver son propre orgueil.

Tang Fan répliqua : "Le prochain relais de poste pourrait ne pas avoir suffisamment de chevaux. Si vous montez dans la calèche, vous devrez la conduire jusqu'au Henan, même si vous finissez par le regretter."

Plus il parlait ainsi, plus Yin Yuanhua sentait que Tang Fan cherchait à le rendre mal à l'aise, mais il persistait dans sa demande de calèche.

Finalement, à ce stade de la conversation, Tang Fan décida de leur donner un avertissement amical. Comme ils ne voulaient pas l’écouter, il prit les devants à la poste et demanda au postier de préparer une calèche.

La calèche était assez spacieuse pour accueillir Yin Yuanhua et les deux clercs. Le postier leur trouva également un cocher. Une fois à destination, le cocher ramènerait la calèche.

Les trois occupants de la calèche étaient ravis de constater que l'intérieur était bien rembourré, ce qui la rendait beaucoup plus confortable que de monter à cheval. Ils montèrent joyeusement à bord.

Cependant, après avoir parcouru quelques dizaines de li, ils comprirent pourquoi Tang Fan avait eu une expression si énigmatique sur son visage en apprenant leur décision de prendre une calèche. C'était parce que cette maudite calèche était en réalité pire que de monter à cheval.

Dès qu'ils quittèrent les environs de la capitale, les conditions de la route devinrent de plus en plus inégales, chaque tronçon étant pire que le précédent. L'équitation en calèche s'avéra souvent tout sauf relaxante, et Yin Yuanhua était complètement pris au dépourvu. Il avait sauté dans un piège et maintenant il était incapable d'en sortir.

Les secousses étaient si violentes qu'il crachait presque du sang, avec l'impression que ses organes internes étaient en mouvement. Le sentiment était indescriptible, mais quiconque était assis là aurait pu en témoigner. Cependant, il ne pouvait pas simplement se tourner vers Tang Fan pour lui demander de retourner à cheval, car il n'y avait tout simplement pas de chevaux disponibles...

Yin Yuanhua avait envie de pleurer, mais aucune larme ne coula. Il ressentait enfin la saveur de ce que signifiait se tirer une balle dans le pied.

Il n'était pas le seul à souffrir, car Cheng Wen et Tian Xuan étaient également au bord du regret, leurs entrailles tourmentées.

Après avoir été secoués tout au long du voyage, ils arrivèrent enfin dans le comté de Gong, sans que leur tourment intérieur ne puisse être apaisé.

Avant même l'arrivée du groupe, le magistrat du comté était déjà sur place, à l'extérieur de la ville, attendant avec impatience. Son adjoint, qui l'accompagnait pour souhaiter la bienvenue, lui suggéra de s'asseoir et de se reposer, car l’autre semblait marcher sans relâche, ce qui lui donnait des vertiges.

En plus de l'adjoint du comté, divers fonctionnaires de moindre importance du comté étaient présents, mais de nombreuses personnalités locales avaient également voulu se joindre à l'accueil du magistrat He, une proposition que celui-ci avait rejetée. Il était actuellement agacé, se demandant comment il avait pu trouver le temps de faire sortir tout ce monde pour se présenter devant les ambassadeurs impériaux.

Face à son fidèle adjoint, le magistrat ne cacha pas son inquiétude. "Ai, petit frère... Tu ne peux pas ignorer que les ambassadeurs sont ici pour enquêter, pas pour une simple visite. Ils sont ici pour enquêter sur l'affaire, et si quelque chose de fâcheux est découvert dans les tombes sous ma juridiction, cela pourrait bien me coûter mon poste! Un seul faux pas, et je risque de perdre ma charge de magistrat !"

L'adjoint tenta de le rassurer : "Inutile de s'inquiéter à ce stade, monsieur. Il vaudrait mieux coopérer avec les ambassadeurs, les laisser se déplacer librement et leur permettre de revenir pour défendre vos intérêts. Peut-être qu'ils pourraient atténuer la situation."

Le magistrat He soupira. "C'est la seule option maintenant, avec les événements tels qu'ils sont. Je suis un magistrat tellement malchanceux... En y repensant, mes prédécesseurs ont laissé derrière eux de nombreux problèmes, mais les tombes impériales n'ont jamais posé de souci. J'ai dû intervenir pour résoudre tous ces problèmes, mais personne ne reconnaît ma contribution. Et maintenant, que quelque chose est arrivé aux tombes, c'est ma responsabilité !"

L'adjoint se disait : Quel fonctionnaire n'a pas sa part de difficultés pendant son mandat? Quand y a-t-il eu un fonctionnaire qui ait connu une vie sans soucis ? Pourtant, vous vous lamentez et en rejetez la faute sur les Cieux et les autres, sans penser à la manière de bien accueillir les ambassadeurs impériaux qui arrivent, quel genre de futur peut-on espérer ?

Malgré ses pensées critiques, étant un simple subordonné , il continuait de soutenir son magistrat.

Pendant leur conversation, un cortège approchait au loin, avançant lentement et soulevant des nuages de poussière. Il y avait une calèche à l'arrière du cortège. Ils s’avancèrent tous les deux, et un petit fonctionnaire vint leur rapporter que devant eux se trouvait le groupe des ambassadeurs impériaux.

"Vite, venez les saluer !" déclara le magistrat en hâte, ajustant ses vêtements et sa coiffe.

La calèche avançait lentement, et les chevaux harnachés devant semblaient ralentir délibérément pour laisser la calèche les précéder. Après un certain temps, les troupes qui étaient depuis longtemps en vue approchèrent enfin.

Au milieu des gardes Brocardes, se tenait un jeune homme portant l'uniforme d'un officier civil de cinquième rang, accompagné d'un garde portant l'uniforme distinctif des gardes Brocardes.

Le magistrat s'avança rapidement pour les accueillir, en joignant les mains en signe de salutation. "Je suis He Haosi, le magistrat du comté de Gong ! Salutations, ambassadeurs!"

Même si l'envoyé principal n'était pas clairement identifié, saluer de cette manière était toujours approprié.

Les documents officiels envoyés par le ministère de la Justice indiquaient que l'envoyé principal était Tang Fan du bureau du Henan, accompagné de Sui Zhou du bastion nord de la Garde Brocarde comme envoyé adjoint. Cependant, étant donné que les deux envoyés étaient présents, cela signifiait que l'un d'entre eux était l'envoyé principal. Magistrat Il jeta un coup d'œil vers la calèche pour tenter de déterminer qui était l'envoyé principal, mais il vit que le garde aux côtés de l'officier civil avait laissé un peu de distance entre eux, ce qui indiquait clairement le statut supérieur de l'officier civil. Le magistrat comprit donc : "C'est le chef Tang du bureau du Henan. Il est l'envoyé principal de cette expédition."

Tang Fan, fatigué par le voyage, descendit de son cheval et s'inclina devant le magistrat He. "Pas besoin d'être excessivement formel. Nous avons voyagé pendant des jours, trouvons d'abord un endroit pour nous reposer et discuter en détail, d'accord ?"

"Oui, oui, bien sûr !" répondit précipitamment le magistrat He. "J'ai déjà préparé le relais de poste et commandé de l'eau chaude et des repas. Je vous invite à vous rendre dans la ville du comté, qui n'est pas loin d'ici."

Tang Fan acquiesça. "S'il vous plaît, montrez-nous le chemin, alors."

Le groupe arriva au relais de poste de la ville, où le magistrat He avait veillé à ce que tout soit préparé à l'avance. Ils avaient même des vêtements propres à leur disposition pour se changer après un bain, ce qui était très attentionné. Cependant, puisqu'ils avaient encore besoin de dîner et de discuter avec le magistrat He, ils se sont rapidement rafraîchis et ont revêtu des robes officielles de rechange.

Ce n'est qu'après que la plupart d'entre eux soient entrés que la calèche qui fermait la marche s'approcha lentement et s'arrêta à la grille du relais de poste.

Le magistrat He était curieux et ne put résister à l'envie de dévier de son chemin pour voir qui sortirait de la calèche. Il avait imaginé divers scénarios, y compris des idées extravagantes telles que l'ambassadeur principal emmenant une belle concubine avec lui pour l'enquête. Lorsque la calèche s'arrêta, il fit demi-tour pour observer qui en sortirait.

Une main émergea de la cabine et releva lentement le rideau. Le magistrat He nota mentalement que la main était pâle, mais malheureusement elle ressemblait davantage à une griffe de poulet qu'à une main élégante.

Peu de temps après, une tête sortit de la cabine. Le magistrat He sursauta en constatant qu'il s'agissait d'un homme, bien loin de ce qu'il avait imaginé.

L'homme avait un teint tragiquement pâle et des yeux ternes, avec de profondes cernes sous les yeux. Il avait l'air très malade. Cependant, en voyant qu'il portait une robe de fonctionnaire de cinquième rang, le magistrat ne put s'empêcher de s'approcher et de demander : "Oserais-je vous demander si vous êtes également un ambassadeur impérial ? Je suis He Haosi, le modeste magistrat du comté de Gong—"

Avant qu'il ne puisse terminer sa phrase, le haut du corps de l'homme sortit de la cabine, comme s'il allait descendre. Son visage se crispa, et il s'accrocha à la chose la plus proche pour maintenir son équilibre, la tête penchée, alors qu'il commençait à vomir.

La chose à laquelle il s'était agrippé était les robes du magistrat He, qui était maintenant estomaqué et couvert de vomissures. Ironiquement, le magistrat He avait rejoint Tang Fan et les autres pour se rafraîchir et changer de vêtements, car il n'avait pas apporté de tenues de rechange. Il dû donc endurer l'odeur aigre qui l'entourait alors qu'il courait vers son propre bureau de comté pour se changer, personne n'osant s'approcher de lui. Sa malchance était évidente. L'autre n'était pas seulement un fonctionnaire du gouvernement central, mais d'un rang plus élevé que lui, il ne pouvait donc que se pincer le nez et reconnaître sa malchance.

*

Après s'être changé, il apprit que l'ambassadeur impérial le cherchait, le forçant à se précipiter vers le relais de poste.

Lorsqu'il entra, Tang Fan et les autres s'étaient déjà rafraîchis et habillés de robes propres, ne montrant plus de traces de poussière. Ils semblaient toujours fatigués, mais globalement plus présentables.

"Je suppose que vous savez pourquoi nous sommes ici, Magistrat He", déclara Tang Fan.

"Oui, et quoi que vous souhaitiez demander, cet humble fonctionnaire sait tout," répondit rapidement le magistrat He. « Cependant, messieurs, vous n'avez pas encore mangé, alors ne vaudrait-il pas mieux parler après le dîner ? »

"Si vous n'avez pas encore mangé non plus, ne serait-il pas préférable de s'asseoir et de parler pendant que nous mangeons?" suggéra Tang Fan en souriant.

Le magistrat He saisit l'occasion pour exprimer ses préoccupations à l'ambassadeur, comprenant que respecter sa suggestion était nécessaire.

La nourriture du relais de poste n'était pas mauvaise, étant donné qu'ils venaient de la capitale, le magistrat ne souhaitait pas les offenser. Même les cuisiniers avaient été transférés du bureau du comté pour préparer une cuisine authentique du Henan, avec des plats tels que le poulet aux huit trésors (NT : plat à base de 8 ingrédients, sachant que le chiffre 8 porte bonheur en Chine), l'agneau rôti et les filets de poisson frits dans une sauce collante, tous dégageant des arômes délicieux.

Sui Zhou et son groupe n'étaient pas très affectés par le voyage, et même Tang Fan se sentait bien, car il s'était habitué à monter à cheval. En revanche, Yin Yuanhua, Cheng Wen et Tian Xuan avaient perdu l'appétit en raison des secousses constantes de la calèche. Dès qu'ils sentirent l'odeur de la viande, leurs visages devinrent livides, et ils se précipitèrent à l'extérieur pour prendre l'air, se couvrant la bouche, appuyés contre la balustrade du porche. Malheureusement, leurs estomacs étaient déjà vides, ils ne pouvaient donc même pas cracher de la bile.

Le magistrat He réalisa son erreur et se sentit coupable de ne pas avoir pris en compte le mal des transports de ces personnes, qui ne pouvaient pas manger de viande lourde dans leur état actuel.

Tang Fan remarqua son malaise et lui suggéra : "Demandez à la cuisine de préparer quelques plats plus légers et servez-leur du congee à grains fins. Mettez-en un bol et installez une table séparée pour eux trois, afin qu'ils puissent manger sans être gênés par l'odeur de la viande."

Yin Yuanhua s'avança alors et dit faiblement : "Pas besoin d'une autre table... Cet humble fonctionnaire va s'asseoir simplement ici."

Il avait rejoint Tang Fan pour cette mission pour deux raisons principales : s'attribuer le mérite et causer des tracas. Cette décision avait été tacitement acceptée par le ministre adjoint Liang, qui avait décrit la présence de l'assistant dans l'enquête comme appropriée.

Tang Fan était bien conscient de ses intentions Voyant qu'il persistait, il accepta son choix sans le contraindre. "Très bien."

Il n'y avait qu'une seule table dans une salle à manger aussi grande. Assis autour de cette table se trouvaient Tang Fan, Sui Zhou, Pang Qi, Yin Yuanhua, le magistrat He et les deux employés du bureau, ainsi que l'adjoint du comté de Gong, le greffier et d'autres fonctionnaires de rang similaire. Les autres membres du personnel avaient été priés de rester dans une pièce voisine pour ne pas perturber la conversation de ces messieurs.

Les estomacs de tous les convives se manifestaient en grondant, ce qui ne les incitita pas à discuter d'affaires sérieuses. À mesure que les plats étaient servis, ils échangèrent des politesses, puis se saisirent de leurs baguettes pour manger.

Yin Yuanhua était assis à côté de Tang Fan et le regardait déguster un morceau de viande, ce dernier le taquina sans pitié. "C'est bien dommage que vous ne puissiez pas manger aujourd'hui, mon cher frère Yin. Bien que les ingrédients soient les mêmes, le goût ici est différent de la capitale. On dit souvent que chaque région a son propre style culinaire. Si je pouvais savourer un poulet aux huit trésors aussi délicieux tous les jours, je serais prêt à m'installer ici pour de bon !"

Le magistrat He était conscient que Tang Fan faisait preuve de politesse en faisant des compliments sur la cuisine, il l'encouragea à manger davantage. De leur côté, l'adjoint du comté de Gong et le greffier tentèrent d'engager des conversations avec Sui Zhou et Pang Qi, désireux de gagner leurs faveurs. Cette atmosphère agréable rendit la table particulièrement chaleureuse.

Pendant ce temps, Yin Yuanhua, assis seul de côté, avait l'impression que le mot "viande" résonnait sans cesse dans ses oreilles, agaçant ses sens. Dans sa tête, il maudissait les ancêtres de Tang Fan jusqu'à dix-huit générations en arrière.

Après avoir réussi à terminer le repas, Yin Yuanhua espérait enfin se reposer, mais Tang Fan posa ses baguettes et s'adressa au magistrat He : "Maintenant que nous avons mangé, il est temps de discuter des questions importantes."

Yin Yuanhua commença. " Monsieur, il sera encore temps de discuter de cela demain. Tout le monde est assez fatigué aujourd'hui."

Cependant, Tang Fan hocha la tête et déclara : "Je comprends que nous ayons tous parcouru une longue distance et que vous soyez fatigués. Mais étant donné la gravité de notre mission, nous devons d'abord éclaircir les détails. Si vous êtes fatigué, vous pouvez aller vous reposer."

Pourquoi viendrais-je avec toi si j'allais juste me reposer ? Pensa Yin Yuanhua en serrant les dents. "Cet humble fonctionnaire n'est pas fatigué, Monsieur. Je peux continuer."

Tang Fan sourit avec satisfaction. "Je constate que vous êtes pleinement dévoué à votre travail, prêt à porter le fardeau de votre poste, cher Frère Yin. Vous êtes un exemple pour nous tous."

Après s'être amusé aux dépens de Yin Yuanhua, Tang Fan se tourna vers le magistrat He et lui demanda : « Les documents que nous avons reçus étaient finalement très concis, ce qui signifie que de nombreux détails n'ont pas été inclus. Je vous prie donc de bien vouloir nous expliquer en détail cette affaire, Magistrat He. »

Le magistrat He était prêt depuis longtemps, alors il se redressa rapidement pour exposer tous les détails de la situation. Ce qu'il rapporta n'était en fait pas différent de ce qui avait été enregistré, mais sa narration était bien plus animée et complète que les documents. De plus, l'adjoint du comté, le registraire et d'autres ajoutaient des détails, donnant au groupe de Tang Fan une compréhension encore plus profonde des événements.

Par exemple, le dossier ne mentionnait pas les gémissements fantomatiques qui se produisaient à minuit ni la réaction des villageois, mais le magistrat en parla. « Les gémissements des fantômes ne se produisent pas toutes les nuits. Cela varie. Après l'incident, j'ai passé quelques jours dans le village, et je n'ai jamais entendu de gémissements. Cependant, les huissiers que j'ai envoyés là-bas ont déclaré les avoir entendus, à l'exception d'un fou. Les villageois ont tous prétendu les avoir entendus également. »

Tang Fan demanda : « Les pilleurs de tombes n'ont-ils pas été appréhendés ? »

Le magistrat He secoua la tête avec honte. « Non, nous n'avons arrêté personne. Nous avons seulement découvert leurs cachettes. Aucun voleur n'a encore été capturé. Depuis les décès consécutifs, plus personne n'ose sortir la nuit. Les habitants affirment que les dieux de la rivière sont courroucés et que les empereurs de la dynastie précédente sont mécontents que leurs tombes aient été pillées, ce qui expliquerait les pleurs nocturnes. »

Pang Qi le coupa et demanda : « Magistrat He, vous mentionnez à la fois des « dieux de la rivière courroucés » et des « empereurs mécontents ». Est-ce lié aux dieux ou aux tombes impériales ? »

Le magistrat sourit amèrement. « Je ne vais pas vous cacher la vérité, messieurs. Le premier groupe de six personnes qui a disparu aurait simplement pu se noyer, mais les habitants prétendent que les dieux de la rivière les ont appelés pour devenir leurs serviteurs. Comment pouvons-nous, disciples des sages, croire de telles histoires fantastiques ? J'ai donc fait un rapport à la Cour à l'époque tout en envoyant des fonctionnaires pour enquêter. Vous savez déjà ce qui s'est passé par la suite. Dix personnes sont parties, et seules deux sont revenues. Parmi elles, il y avait un bailli qui est devenu fou et a une main coupée, et l'autre était le vieux chef du village, qui est âgé et a été traumatisé. Il ne peut pas donner d'explications claires et parle toute la journée de fantômes et de monstres. Les rumeurs ont alors recommencé. »

Le magistrat He fit une pause, puis continua : « Les tombes impériales des Song du Nord, Profondeur éternelle et Brillance éternelle, ne sont pas loin du comté de Gong, à seulement une dizaine de li de la ville. En bordure de la ville se trouve également le village de la rivière Luo, situé près de la rivière du même nom. À présent, il y a des rumeurs qui circulent dans ce village, selon lesquelles les empereurs Renzong et Yingzong, après leur mort, seraient devenus des divinités de la rivière Luo. Les habitants prétendent que leurs tombes ont été pillées, et par conséquent, ils ont pris des gens de la surface comme châtiment. »

Pang Qi intervint, déclarant : « Ce ne sont que des rumeurs créées par des gens ignorants et superstitieux. »

Le magistrat hocha la tête. « Oui, je suis d'accord, mais à cause des deux groupes de décès successifs, plus personne n'ose s'approcher. J'étais en attente de votre enquête. Cependant, certains habitants de la ville de Gong se sont mis à paniquer, sans parler du village de la rivière Luo. Ils prétendent que les dieux de la rivière sont en colère et exigent des sacrifices, alors... »

Yin Yuanhua, impatient, demanda : « Et alors ? »

« Eh bien, ils ont commencé à offrir des sacrifices par eux-mêmes », conclut l’adjoint du comté.

Tang Fan comprit la situation. « Ils sacrifient des gens aux dieux de la rivière ? »

Le député du comté confirma : « Exactement. »

Sui Zhou prononça enfin quelques mots depuis son arrivée : « Ridicule. »

Tous les habitants de la ville de Gong baissèrent la tête, hésitant à réagir. Les coutumes de vénération des dieux des rivières et des montagnes étaient profondément enracinées, et de nombreuses divinités fluviales portaient des noms associés aux empereurs et aux dynasties passées. Les gens ordinaires, dans leur ignorance, croyaient que ces divinités pouvaient causer des inondations ou des catastrophes si elles étaient en colère, et ils cherchaient à apaiser leur courroux par des offrandes, parfois même au prix de vies humaines.

Les habitants de la région de Luo étaient en effet attachés aux coutumes de vénération des dieux des rivières et des montagnes, croyant que ces divinités pouvaient causer des inondations ou d'autres catastrophes si elles étaient en colère. Ils cherchaient à apaiser leur courroux par des offrandes, y compris des sacrifices humains. La Cour avait émis plusieurs ordonnances pour interdire ces pratiques, et il ne s’était plus produit de sacrifices d’humains aux dieux de la rivière depuis de nombreuses années. Mais l'incident anormal dans le comté de Gong avait ravivé les superstitions et rappelé aux habitants l'idée de sacrifier des êtres vivants pour apaiser les dieux de la rivière.

Tang Fan réprimanda les fonctionnaires locaux : « Vous êtes tous des fonctionnaires locaux chargés d'éclairer les roturiers et de les éloigner de ces choses surnaturelles. Comment avez-vous pu en entendre parler et laisser tomber, leur permettant de sacrifier des êtres vivants ? »

Magistrat Il sourit amèrement. "Pardonnez-moi de le dire, Monsieur, mais il y a en fait plus d'informations à ce sujet."

"Parlez."

« Depuis que huit des dix membres du deuxième groupe que j'ai envoyé sont décédés, des rumeurs se sont répandues à travers le village de la rivière Luo et même dans le comté de Gong. Ces rumeurs prétendent que les esprits de la rivière sont en colère, et qu'il est nécessaire de leur offrir des sacrifices pour les apaiser. En conséquence, il y a environ deux semaines, la population a préparé des offrandes animales et s'est rendue au fleuve pour les rituels. »

"Il n’y avait pas de personne ?"

"Non. À l'époque, tout le monde pensait que simplement offrir des animaux et des objets suffirait."

Tang Fan acquiesça. "Continuons."

« Les habitants ont interprété de manière erronée que les empereurs enterrés dans les tombes étaient devenus des dieux fluviaux. En vérité, depuis longtemps, les archives du comté mentionnent que le dieu de la rivière Luo est en réalité la plus jeune fille de Fuxi, (NT : dans certains mythes chinois, c’est Fuxi le créateur de l’humanité et non Pangu) mais, eh bien... vous savez messieurs, il est difficile d'être précis dans de telles affaires. Par mesure de précaution, ils ont délibérément préparé trois offrandes distinctes à présenter aux trois dieux de la rivière. La cérémonie s'est déroulée du matin au soir et a presque duré douze shichens. Quand j'ai vu qu'ils maintenaient leur moralité et n'utilisaient pas les gens comme sacrifices, j'ai fermé les yeux et je n'ai pas interféré. »

Malgré des explications longues et parfois tangentes, Tang Fan écoutait patiemment, bien que son adjoint local s’ impatiente. Ils étaient toujours en train de s'efforcer d'obtenir des informations pertinentes sur l'affaire.

Le magistrat continua « Tard dans la journée, une fois que les animaux et les autres offrandes avaient été jetés dans la rivière, la foule commença à se disperser progressivement. Seules quelques vieilles femmes demeurèrent pour veiller sur la table à encens. C'est une coutume locale où la table doit être surveillée pendant toute une nuit en signe de dévotion, après quoi elle peut être abandonnée. Cependant, cette nuit-là, une violente tempête de pluie et de vent se leva soudainement, et les villageois prétendirent avoir entendu des gémissements fantomatiques, les terrifiant au point de les empêcher de sortir. Lorsqu'ils jetèrent un coup d'œil le lendemain, ils constatèrent que la table à encens s'était effondrée au sol, et les fruits qui s'y trouvaient étaient en désordre. Les vieilles femmes, quant à elles, avaient disparu. »

Tang Fan demanda « pourquoi des femmes âgées ont-elles été utilisées pour la veillée nocturne au lieu d'hommes en bonne santé ? »

«  Les villageois craignaient que le qi yang (NT : l'énergie masculine) des hommes ne soit trop lourd et perturbe les dieux lors de leur rencontre. Oh, mais c'est ce que les roturiers ont dit - je n'ai jamais approuvé ! »

Tang Fan hocha la tête, lui indiquant de continuer.


Le magistrat He n'avait clairement pas été présent sur les lieux, mais il parlait de façon si captivante, comme s'il avait effectivement été témoin des événements de ses propres yeux. Si ce n'était pas pour la circonstance inappropriée, Pang Qi aurait volontiers raillé le magistrat. Cependant, étant donné que ses deux supérieurs étaient attentifs, il n'avait d'autre choix que de rester silencieux et d'écouter avec sérieux.

« Au début, on pensait que les femmes étaient rentrées chez elles en raison du mauvais temps, mais il s'avéra qu'elles avaient tout simplement disparu. Lorsque leurs familles furent interrogées, elles affirmèrent qu'elles n'étaient jamais revenues. Cet incident a été signalé, et j’ai alors envoyé des personnes pour enquêter, mais ils n'onnt pas trouvé de traces des femmes disparues. Comme le rapport avait déjà été envoyé à la Cour, j'ai pensé que le mieux était d’attendre que vous, ambassadeurs, arriviez pour résoudre l'affaire ensemble. »

« Qu’en est-il des sacrifices humains ?

Magistrat Il sourit amèrement. « Les roturiers croient que les dieux de la rivière ont manifesté leur colère car on n'avait pas offert d'êtres humains, seulement des animaux. Par conséquent, ils avaient pris ces femmes comme avertissement. Tous sont devenus très effrayés et les grandes familles du comté se sont préparées à sacrifier leurs serviteurs. »

« Vous ne les avez pas arrêté ?

 

 Le magistrat afficha une expression de détresse. "Arrêter ça… La situation n'a même pas encore commencé. Je leur ai expliqué que la Cour enverrait des ambassadeurs impériaux pour mener une enquête, et que ceux-ci auront certainement la capacité de découvrir la vérité. Par conséquent, il est impératif qu'ils ne sacrifient personne. Pour l'instant, ils ont écouté, mais le peuple ordinaire est souvent ignorant et finalement anxieux. Si cette affaire n'est pas résolue et qu'aucune explication ne leur est fournie, j'ai peur qu'ils ne prêtent plus attention à la persuasion - ils pourraient simplement décider de faire des sacrifices en privé."

 

 

 

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