Can Ci Pin - Chapitre 120 – Le long hiver de la Huitième Galaxie

 

Lu Bixing avait l'impression d'avoir fiat un rêve fou. Ce n'était pas un rêve linéaire, mais il se rappelait qu'il semblait être retourné dans son enfance, où il ne pouvait pas se déplacer librement et avait l'impression que ses membres étaient entravés par des cordes invisibles.
Il savait bien qu'il n'était pas quelqu'un d'extrêmement obsessionnel ou radical ; les qualités de fluidité et d'adaptabilité coulaient dans ses veines. Peu importe ce à quoi il était confronté, il pouvait toujours trouver du positif dans chaque situation et ne s'attardait pas trop sur les détails ; il était extrêmement rare qu'il ait ce genre de rêve contraignant.
Pourtant, quelque chose dans l'obscurité semblait lui crier tout au long du rêve qu'il devait se réveiller, qu'il devait se réveiller…
Lu Bixing lutta et sentit soudain quelque chose tomber derrière lui. Il était enfin libre ; Lu Bixing se retourna pour voir que ce qui le retenait était une énorme pierre tombale qui s'était écrasée au sol en cendres. Le jeune homme fixa la scène avec un léger choc, ne comprenant pas ce que cela signifiait, mais avant qu'il puisse s'arrêter et y réfléchir, ses instincts dans le rêve le poussèrent à courir vers la lumière.
Une forte lumière flasha devant ses yeux et son pied finit enfin par toucher le sol.

La capsule médicale avait déjà guéri son doigt blessé et éliminé tous les anesthésiques dans son corps. Il était censé être dans son meilleur état physique en ce moment, mais pour une raison quelconque, Lu Bixing sentait seulement son cœur battre rapidement dans sa poitrine. Le battement de son cœur était assez inconfortable, comme si quelque chose était coincé dans sa poitrine alors que son cœur s'emballait pour s'échapper.
« Professeur Lu… Le professeur Lu est réveillé ! »
Lu Bixing tourna brusquement la tête et remarqua qu'il était à l'intérieur du poste de commandement de la base militaire de la ville de la Voie lactée.
« Professeur Lu. » Le visage de Turan apparut sur l'écran devant lui. Elle était toujours à l'intérieur d'un mécha, son visage arborant une expression grave.
Les souvenirs de Lu Bixing revinrent en le regardant ; c'est vrai, Turan était celle qui l'avait drogué.
Ses yeux tressaillirent de colère ; il était encore humain après tout, même s'il était beaucoup plus posé que la moyenne des gens, il pouvait quand même être contrarié.
Pourtant, il n'était pas habitué à lancer des insultes, alors il se contenta de regarder Turan avec froideur, attendant patiemment qu'elle explique la situation.

 

Turan ne savait pas par où commencer et, instinctivement, elle évita le sujet principal en prenant la parole : « Le mécha du Premier Ministre a rencontré un petit problème pendant l’évacuation. Il a perdu connaissance et se trouve actuellement dans une capsule médicale. Lors du scan corporel complet de la capsule, un examen a révélé une tumeur dans sa tête... »

Lu Bixing fronça légèrement les sourcils : « C’est grave ? »

« Pas trop, » répondit Turan d’une voix douce et réservée. Soudain, elle n’avait plus l’allure d’une puissante générale militaire, mais plutôt celle d’une jeune infirmière lors de son premier jour de travail. « Ça peut être réglé par une petite intervention, mais comme le Premier Ministre est âgé et qu’il a des antécédents médicaux, il pourrait avoir besoin d’un peu de repos. Donc, nous espérions que vous pourriez prendre sa place en tant que Premier Ministre par intérim… »

Le cœur de Lu Bixing se serra en entendant Turan changer de ton de manière presque imperceptible. Il l’interrompit : « Combien de temps ai-je été inconscient ? Le Premier Ministre est de retour, mais où est Lin ? »

Turan resta sans voix.

Lu Bixing la fixa un instant avant de se lever. Au même moment, le mécha de Turan émit une alarme à l’écran : « Alerte énergie anormale, alerte énergie anormale — »

« Capitaine, ils paniquent maintenant que leur sortie est bloquée ! Ils pourraient tenter une percée de force à travers nos défenses ! »

« Qu’ils essaient ! » Le visage de Turan changea instantanément, laissant finalement apparaître un peu de combativité. « Si ces pirates survivent, vous en paierez tous les conséquences! »

« Capitaine, une équipe de pointe pirate avance vers nous, à un quart de journée de navigation. »

Ce brusque retournement de situation la sauva, lui évitant de devoir répondre à Lu Bixing. Elle se lança immédiatement à fond dans la bataille : « Compris, préparez les canons. Équipe Quatre — Foucault, emmenez votre équipe vers le portail numéro 573… »

Lu Bixing se leva et repoussa le garde qui l’accompagnait, puis il consulta rapidement l’historique des ordres récents enregistrés dans le poste de commandement, grâce à ses accès autorisés.

Il parcourut rapidement les dossiers complexes de la ligne de front : d’immenses flottes de réfugiés de la Septième Galaxie avaient pénétré dans la Huitième Galaxie, Lin Jingheng avait ordonné la destruction des portails de transfert… les coordonnées d’un terminal souterrain sécurisé avaient été divulguées, les pirates de l’AUS étaient entrés dans la Huitième Galaxie…

La flotte de l’AUS était arrivée trop vite et trop soudainement, et il n’y avait que les équipes de la Belette et de Monoeyed Hawk qui patrouillaient près du terminal lorsque les pirates avaient fait irruption. Au total, 28 petits méchas et deux méchas de taille moyenne, en patrouille, avaient retenu la flotte ennemie pendant vingt minutes jusqu’à l’arrivée des renforts, mais presque tous les vaisseaux proches des terminaux avaient perdu le contact avec le poste de commandement...

Pour couper la route des pirates à l’extérieur, Samedi avait emmené son équipe de patrouille, composée de quatorze méchas, directement dans la flotte pirate et avait fait exploser manuellement le dernier terminal souterrain avec son propre mécha…

Lu Bixing lisait à une vitesse incroyable, mais à cet instant, aucun des mots ne faisait sens pour lui, même s'il pouvait tous les déchiffrer.

Il fixait chaque mot individuellement et commença à analyser chaque phrase pour en comprendre le sens...

Monoeyed Hawk... perdu le contact.
Qui a perdu le contact ? Que signifie "perdu le contact" ? Est-ce que les signaux ont encore été interceptés ? C'est un très mauvais signe en pleine bataille, il faut régler ça immédiatement.

Samedi... a fait exploser le terminal souterrain...
Fait exploser...
Fait exploser...

Alors, où est Lin Jingheng ? Pourquoi ne mentionnent-ils pas où se trouve Lin Jingheng ?

« Professeur Lu ! » Le garde à côté de lui le soutenait, cherchant à capter son attention.

Lu Bixing ressemblait à une IA en plein court-circuit, incapable de se dégager de la prise du garde ; instinctivement, il lui adressa un sourire poli.

Le garde frissonna de peur en voyant ce sourire : « Vous… avez besoin d’un sédatif ? »

L’esprit de Lu Bixing se mit à tourner à toute allure.
Que puis-je faire ? Il faut que je fasse quelque chose.

« Je n’ai pas besoin de sédatif, » sa voix était presque un murmure, comme s’il se parlait à lui-même et répondait à une question lointaine, « Le Premier Ministre… n’avait-il pas demandé que je prenne temporairement… mais qu’est-ce qu’il voulait que je fasse déjà ? »

De l’autre côté de l’écran, Turan ne pouvait plus le regarder en face et ordonna à ses subordonnés : « Ouvrez le feu ! »

Toute la fureur de la Huitième Galaxie se matérialisa en un déluge de tirs, s’abattant impitoyablement sur la flotte de pirates sous son commandement. Les pirates tentèrent de battre en retraite, mais se retrouvèrent bloqués par la flotte de Foucault près du terminal, pris en étau entre les canons et les missiles.

N’avaient-ils pas dit que les troupes d’élite de la Huitième Galaxie étaient virtuellement annihilées ?
N’avaient-ils pas dit que le reste de la flotte n’était composé que de jeunes recrues faibles et inexpérimentées ?

Les pirates de l’AUS, qui avaient pénétré accidentellement dans la Huitième Galaxie, n’auraient jamais pu imaginer que ces paysans et ces âmes que l’on disait inutiles, incapables même de lire avant leur enrôlement, suivraient les ordres sans hésiter, comme des soldats aguerris.
Ils n’auraient jamais deviné que ces personnes pouvaient se transformer en combattants désespérés, risquant leur vie en première ligne sans aucun espoir de retour.

« Professeur Lu, vous… »

« Connectez-moi au Département d'Ingénierie. » Lu Bixing saisit enfin une idée au milieu de la tempête de pensées qui l’assaillait. Il ressemblait à un enfant qui, terrifié par des fantômes, avançait seul dans la nuit, éclairé par une lampe torche, les yeux fixés droit devant lui, ignorant tout le reste. « Département d'Ingénierie, c’est moi. Veuillez confirmer si tous les vaisseaux de réfugiés ont atterri ; si ce n’est pas le cas, contactez toutes les stations spatiales environnantes et ordonnez à tous les vaisseaux d’atterrir immédiatement sur la même station. Pour les vingt prochaines heures, nous interdisons tout aéronef et vaisseau spatial dans la galaxie ; tous les ingénieurs du département, utilisez le code interne de notre force de défense comme base pour vos inspections ; abattez tout objet aérospatial inconnu. La Huitième Galaxie est désormais une zone fermée, aucun vaisseau pirate ne doit plus entrer dans notre ciel. »

« Connectez-moi au Département de Gestion de la Sécurité Sociale. » Lu Bixing fit rapidement signe au garde après avoir donné ses instructions et se connecta avec l’équipe du département. « C’est moi. J’ai besoin d’une estimation du nombre de réfugiés de la Septième Galaxie. »
L’équipe de gestion répondit : « Notre estimation rapide nous donne au moins huit milliards de personnes. »
« Très bien. » Lu Bixing hocha la tête. « Essayez de me préparer un plan pour la collecte des données personnelles et le traitement des dossiers d’immigration le plus rapidement possible ; tout le monde devra se mettre au travail immédiatement après la levée de l’interdiction spatiale. J’aurai également besoin d’au moins trois plans de secours, y compris pour la réinstallation des réfugiés, pour de futures réunions et évaluations. »
Le garde à côté de lui montra un signe de préoccupation et demanda : « Professeur Lu, êtes-vous sûr de ne pas avoir besoin de vous reposer… »
« Le Premier Ministre m’a demandé de prendre le relais, je ne peux pas le décevoir. » répondit Lu Bixing calmement, tenant à cette tâche comme si c’était son trésor, sa vie… et son dernier espoir. « Les directeurs des départements des Finances et de la Planification sont-ils blessés ? Si ce n’est pas le cas, demandez-leur de venir me voir tout de suite. Fermer la Huitième Galaxie signifie que nous devons désormais être autonomes ; notre économie est encore fragile, et maintenant nous devons prendre en charge huit milliards de réfugiés supplémentaires… »
Soudain, c’était comme si son esprit commençait enfin à fonctionner normalement. Le jeune homme pouvait sentir le poids de toute la Huitième Galaxie peser sur ses épaules ; il avait trop de choses à planifier et à résoudre, et aucun moment pour se reposer. Lu Bixing prit une profonde inspiration et se redressa. « Ne me suivez pas. Désolé, apportez-moi quelque chose pour m’éclaircir l’esprit ; un thé, un café, un relaxant… n’importe quoi fera l’affaire. »

*

Les événements soudains dans la Huitième Galaxie déclenchèrent une réaction en chaîne urgente, ne laissant même pas à Lu Bixing un instant pour s’asseoir et boire une gorgée d’eau. Il se précipita de service en service au sein du gouvernement, complètement abasourdi par la guerre, rassemblant les esprits et poussant tout le monde au travail. A le suivre, c’était comme si rien ne s’était passé, et chacun se concentrait sur le problème devant lui.

Vingt heures plus tard…

Samedi avait choisi le bon moment pour faire exploser le portail, parvenant à maintenir la majorité de la flotte pirate hors de la galaxie. Le Département d’Ingénierie et les forces de la Huitième Galaxie, furieux, s’étaient alliés pour éliminer le reste des pirates à l’intérieur de la galaxie dans le délai imparti.

« Professeur Lu. » Un soldat le contacta par télécom.
Lu Bixing tourna légèrement la tête, les écouteurs connectés à la salle de réunion voisine toujours dans son autre oreille : « Qu’y a-t-il ? »
« Le capitaine Turan a confirmé que tous les pirates ont été… »
Lu Bixing répondit avant que le soldat ne puisse terminer : « Entendu, nettoyez le champ de bataille. Ne laissez aucun débris mettre en danger la sécurité des terminaux à l’intérieur de la galaxie. Envoyez tous les prisonniers à la Première Prison et transmettez-moi la liste des pertes dès que possible. »

Le cœur de Lu Bixing se serra en prononçant cette dernière phrase.

Il leva la tête, comme s’il réalisait soudain quelque chose, et fixa le soldat d’un air absent, lequel lui rendit un regard complexe.

Envoyer une liste des pertes… il avait l’impression qu’un monstre se cachait derrière ces mots.
Est-ce que j’ai oublié quelque chose ? pensa-t-il.

« Professeur Lu, le capitaine Turan souhaite vous parler. »

Lu Bixing fit un pas en arrière par réflexe, une voix intérieure lui soufflant qu’il ne voulait pas parler à Turan à cet instant. Mais avant qu’il ne puisse refuser, le visage de Turan apparut à l’écran du poste de commandement.

La Capitaine ôta son chapeau ; ses cheveux étaient aplatis, écrasés par le port prolongé de ce dernier, une des raisons pour lesquelles elle détestait avoir les cheveux courts. Dans le passé, le Commandant Lin n’aimait pas qu’elle perde son temps pour des détails futiles comme celui-ci et critiquait son apparence chaque fois qu’il la forçait à les couper… ce qui, probablement, n’arriverait plus jamais.
Même si elle laissait pousser ses cheveux jusqu’à ses chevilles, personne ne l’insulterait plus désormais.

Les yeux de Turan étaient injectés de sang, ses lèvres gercées. Vingt heures après, elle faisait enfin face à Lu Bixing de nouveau, chacun à un bout de l’écran ; elle restait debout tandis qu’il était assis, et le silence lourd qui planait entre eux emplissait toute la pièce.

Turan pressa son chapeau contre son bras et dit : « Professeur Lu, nous avons reçu la confirmation que les deux premières équipes de patrouille attaquées par les pirates, ainsi que l'équipe qui a volé en renfort et fait exploser le portail, sont complètement anéanties. Nous avons récupéré les restes sur le champ de bataille. »

L’œil de Lu Bixing tressaillit légèrement.

Turan continua : « Professeur Lu, je suis désolée, je… »

« Oh. » Lu Bixing se força à hocher légèrement la tête ; son cou était rigide comme celui d’un vieux robot. « D’accord, tu veux dire Samedi, La Belette et… »

C’était qui, déjà ? Il avait vu le nom plus tôt mais ne s’en souvenait plus.

« Et… Monoeyed Hawk. »

Lu Bixing trembla et ses yeux s’écarquillèrent.

Turan réussit enfin à lui dire ce nom et décida de lâcher la dernière bombe : « Il y a une autre chose que je n’ai pas pu te dire auparavant. Lorsque le Commandant Lin battait en retraite, nous avons perdu le contact avec lui en cours de route. Puis, lorsque les pirates sont entrés dans la Huitième Galaxie, nous avons reçu la nouvelle que le Zhanlu chez vous s’était effondré.»

Tout le monde dans le poste de commandement retint son souffle, attendant de voir la réaction de Lu Bixing. Tous s’étaient préparés mentalement à le transporter de force dans une capsule médicale si le jeune homme venait à craquer.

Ils attendirent cinq longues minutes, mais Lu Bixing ne réagit pas. Il resta immobile et parla calmement dans son casque en direction de la salle de réunion voisine : « Désolé, veuillez m’attendre un instant. »

Tout ce qui s’était passé dans les dernières 48 heures était dévastateur. Chaque événement, pris individuellement, aurait suffi à briser complètement l’âme et l’esprit d’une personne ; et pourtant, ils s’étaient tous enchaînés en même temps. C’était comme être allongé sur un lit d’aiguilles acérées, qui s’enfonçaient dans chaque partie de son corps, créant ironiquement un étrange effet d’engourdissement.

...Tant qu’il ne bougeait pas, tant qu’il n’y pensait pas, il ne romprait pas cet équilibre fragile.

Turan soupçonnait qu’il n’avait même pas vraiment compris ce qu’elle avait dit et décida d’être directe, même si cela signifiait écraser le jeune homme : « Professeur Lu, les coordonnées du terminal souterrain ont été exposées. Nous pensons que le Commandant Lin et sa flotte sont tombés dans une embuscade de l’AUS pendant leur retraite… »

Lu Bixing l’interrompit soudain : « Attends, qu’as-tu dit ? Zhanlu s’est effondré ? »

Turan ouvrit la bouche, hésitante.

Lu Bixing se leva de son siège, comme en somnambule : « Comment peut-il s’effondrer à un moment pareil ? J’ai encore beaucoup de travail pour lui, je dois aller le voir. »

Sur ces mots, il se retourna et partit.

Turan lança un regard au soldat à côté : « Qu’attendez-vous ? Où est la capsule médicale ? »

Le soldat se précipita vers la capsule médicale, tandis que les autres dans la salle se demandaient s’ils devaient assommer de nouveau le Premier Ministre intérimaire. C’est alors qu’ils virent Lu Bixing perdre soudain l’équilibre près de la porte. Le jeune homme agrippa instinctivement le cadre de la porte, mais ne réussit pas à se stabiliser, et finit par tomber lourdement, son genou frappant le sol dur.

« Professeur Lu ! »

« Ce n’est rien, ma jambe s’est soudain endormie… » marmonna Lu Bixing pour lui-même. «Comme c’est étrange. »

Il s’agrippa au cadre de la porte, essayant de se redresser, mais retomba aussitôt. C’était comme si toute la force avait quitté son corps, ses membres engourdis comme une marionnette, incapable de contrôler sa propre chair.

« Je suis désolé, » murmura-t-il aux personnes qui l’aidaient à se relever. « Je ne comprends pas ce qui m’arrive… »

Turan ne put s’empêcher de couper la connexion.

*

À partir de ce jour, la Huitième Galaxie entra dans un long hiver.

L’espoir de compter sur des ressources extérieures s’était vanoui. Il fallait relocaliser les réfugiés, tandis que l’inquiétude grandissait parmi les résidents de la Huitième Galaxie.

À mesure que l’économie de la galaxie devenait de plus en plus difficile à stabiliser, les conflits sociaux existants s’intensifiaient également. La haine envers les réfugiés atteignit son paroxysme dans certaines régions, où des conflits armés de petite envergure éclatèrent.

Les Forces de Défense parcouraient sans relâche la galaxie pour éteindre les foyers de tension, et le stock de seringues nutritives frôlait dangereusement le zéro.

Les anciens contrebandiers de la Huitième Galaxie perçurent rapidement le danger imminent. La nouvelle monnaie fiduciaire émise par le gouvernement fut une fois de plus rejetée par le public, et le marché revint à un système de troc.

Peu de temps après, des groupes de « malins » inondèrent le marché de fausses seringues nutritives, portant un coup destructeur à une économie déjà fragile alors que les stocks réels s’épuisaient.

La Huitième Galaxie était un des rares endroits ayant connu la famine sous le règne des pirates Cayley, en des temps pourtant modernes. Les habitants savaient que les seringues nutritives représentaient la confiance envers le gouvernement, alors une pénurie de cette ressource symbolisait l’instabilité et la peur au sein de la société.

Les jours suivants, Lu Bixing fut accaparé par la gestion des crises. Il devait se présenter au poste de commandement à intervalles réguliers, maintenir une acuité d’esprit, un calme émotionnel et une rationalité exemplaire. Il portait sur ses épaules le fardeau laissé par l’ancien Premier Ministre en ces temps troublés ; contrairement à son habitude de concilier toutes les parties, il se montra inflexible et imposa même la loi martiale à plusieurs reprises.

Après le travail, il rentrait chez lui seul, fermait la porte et coupait toute communication, sauf pour les urgences professionnelles.

Devant la « Maison du Commandant Lin et de l’Ingénieur 001 », les deux robots dansants étaient rouillés et sales, réduits à une pile de ferraille. Un jour, le robot de jardinage fut pris sous la pluie, ce qui provoqua une panne ; il se mit à tourner en rond dans la même zone, ignorant le reste du jardin. Un côté du jardin se transforma en un désert de terre nue, tandis que l’autre côté se couvrait de mauvaises herbes, donnant à la maison l’aspect d’un manoir hanté. Lu Bixing ne prit pas la peine de réparer les robots ni de couper l’herbe haute, marchant dessus comme s’il n’y voyait rien d’anormal.

Turan craignait qu'il ne finisse par mourir seul dans cette maison et ordonna secrètement à quelques gardes de patrouiller autour pour s'assurer que le jeune homme était toujours en vie.

Un mois plus tard, le Premier Ministre Edward fut enfin libéré de l’hôpital. Lu Bixing étant en déplacement sur une autre planète, Turan vint le remplacer pour escorter le vieil homme.

Elle ressentit un frisson dans le dos dès qu’elle entra dans l’hôpital : plusieurs médecins sortaient de la chambre du Premier Ministre.

Depuis la révolution médicale qui avait automatisé tous les examens de santé et procédures médicales, il n’y avait qu’un seul cas où des médecins humains étaient nécessaires ; c’était lorsque les machines et la technologie ne pouvaient plus gérer la situation.

« Capitaine. » Le Premier Ministre Edward avait déjà enfilé des vêtements de ville et s'était préparé à partir. « Vous devez être très occupée en ce moment ; je vois que vous avez perdu du poids. »

« Je n’ai pas perdu de poids ; mon taux de graisse corporelle a simplement baissé un peu. » répondit Turan. « J’ai ajouté un entraînement supplémentaire à mon programme ces derniers temps. »

Le vieil homme la regarda, surpris.

Turan lui offrit un sourire compliqué : « Je suis plutôt paresseuse, en réalité. J'ai toujours considéré l’entraînement planifié comme une tâche de travail. Je ne comprenais pas le commandant ; je me disais que si j’étais le chef, personne ne pourrait me dire quoi faire ni contrôler mon programme d’entraînement. Je pourrais rester au poste de commandement, donner mes ordres tranquillement derrière mon bureau. Ce doit être agréable de voir les autres transpirer pendant qu’on reste assis. »

« Et maintenant ? »

« Maintenant, ma plus grande satisfaction est d’aller m’entraîner chaque jour. L’esprit se vide lorsqu’on fait un entraînement physique. » répondit Turan, puis elle ajouta, « Premier Ministre, j’ai vu des médecins sortir tout à l’heure, est-ce que tout va bien ? »

« Asseyez-vous. » Le Premier Ministre lui fit signe de prendre place et répondit à sa question par une autre : « Comment va Lu Bixing ? »

« Pas très bien. » Turan soupira et sortit un papier de sa poche. « Regardez. »

Le Premier Ministre prit le papier et reconnut l’écriture de Lu Bixing : « Les barres nutritionnelles dans ton frigo sont périmées, je les ai jetées pour toi. P.S. : évite d’en prendre autant si tu ne peux pas les finir, c’est honteux de gaspiller. »

La note datait de la veille.

« Il a laissé ce message dans la maison de Monoeyed Hawk ; il y va tous les jours pour nettoyer sans jamais se demander où est son père, » expliqua Turan. « J’ai demandé au jeune Blanc ce que Bixing faisait pendant son temps libre, et il m’a dit qu’il passe son temps à essayer de réparer le système de Zhanlu chez lui. Il dort dans une capsule médicale et utilise des médicaments pour contrôler ses heures de sommeil et de réveil, afin de maintenir son état physique optimal. Il n’a toujours pas posé la moindre question sur la disparition du commandant Lin, ni même demandé si son père a laissé un dernier message. Cela fait plus de deux semaines que nous lui avons annoncé que les coordonnées du terminal souterrain avaient été révélées ; le système indique qu’il a lu les rapports, mais il refuse d’en parler. Il ne demande pas comment cela est arrivé, ni ce qu’il compte faire au sujet de Samedi. C’est comme s’il avait même oublié que je l’avais drogué ce jour-là. J’ai peur de lui parler, sauf si j’ai absolument besoin de son avis. »

Le Premier Ministre Edward dit : « Dites-lui de trouver un moment pour venir me voir à son retour. Je ne suis pas sûr d’avoir encore beaucoup de temps. »

Turan resta interdite : « Non… ce n’était qu’une tumeur, l’opération n’a-t-elle pas déjà… »

Le Premier Ministre répondit calmement : « Ils ont détecté une réaction "pop" dans ma chaîne d’ADN, la tumeur n’était qu’un signe avant-coureur. » (NT : réaction dans les chaînes d'ADN qui provoque des mutations ou des anomalies).

À cette époque, il n’y avait rien que la technologie médicale ne puisse guérir : même si quelqu’un se brisait la colonne vertébrale, une capsule médicale pouvait le guérir complètement. Tant que la personne ne mourait pas immédiatement d’un traumatisme cérébral, il semblait que les capsules pouvaient sauver n’importe qui, dans presque n’importe quelle situation. Cependant, les humains vieillissent toujours, et finissent par mourir.

La mort est comme la lumière, l’amour ou l’univers infini : elle est éternelle et universelle. Chaque fois que les gens pensent être sur le point de surmonter les défis de la mort, ils réalisent rapidement qu’il y a toujours plus d’obstacles à franchir dans le marathon de la vie.

Et au-delà de chaque montagne, il y a presque toujours une autre montagne.

Parfois, cela se manifestait sous la forme d’une « réaction pop ».

Personne ne savait quand cette réaction apparaîtrait. Elle commençait toujours par des petits problèmes, jusqu’à ce que la réaction des exosomes consomme la chaîne d’ADN en une destruction inévitable. Remplacer les organes, injecter des cellules souches, réparer des brins d’ADN… rien ne pouvait stopper cette détérioration, comme si le corps du patient était maudit par une force surnaturelle.

(NT : Les exosomes sont de petites vésicules extracellulaires qui sont sécrétées par presque toutes les cellules. Ils sont beaucoup plus petits que les cellules, ce qui leur permet de se déplacer facilement dans les fluides corporels. Ils jouent un rôle essentiel dans la communication cellulaire et sont impliquées dans divers processus biologiques.)

Turan le regarda, choquée : « Mais… c’est impossible, vous n’avez pas encore atteint l’âge de détérioration de l’ADN. »

Malgré son apparence physique vieillie, le Premier Ministre n’avait que 240 ans, ce qui le plaçait entre la maturité et la vieillesse. En temps de paix, il n’aurait probablement même pas envisagé de prendre sa retraite et aurait eu une longue vie devant lui.

Mais sa vie était une vie guidée par un idéal sans espoir, une existence constamment tourmentée par ses principes et sa morale ; un parcours tumultueux qui avait failli succomber au Virus Arc-en-Ciel. Son chemin de souffrances semblait presque prédire un vieillissement prématuré.

Le vieux Premier Ministre lui adressa un faible sourire, sans mot dire.

Turan baissa la voix : « Vous avez tous planifié cela ensemble pour vous délester du fardeau ? Vous ne pouvez pas faire ça, Monsieur le Premier Ministre. Il ne peut pas tout supporter seul ; vous lui en demandez trop. »

Le Premier Ministre sentit ses yeux s’humidifier : « Alors faisons tous de notre mieux, Capitaine—non, Général Turan. Je vais essayer de vivre un peu plus longtemps, pour vous accompagner un peu plus loin, mais il faut que vous soyez tous prêts. »

Trois jours plus tard, le Premier Ministre Edward annonça sa guérison et reprit son travail. La première chose que fit Lu Bixing à son retour fut de demander un long congé au Premier Ministre.

« J'ai déjà tout arrangé pour mon absence ; vous pourrez aussi me joindre à tout moment en cas d'urgence, car je ne quitterai pas la maison. Je pourrai arriver en quelques minutes, » expliqua Lu Bixing. « Ma demande est surtout parce que je veux prendre le temps de réparer le système de Zhanlu. Vous savez que la base de données de Zhanlu contient des informations précieuses, y compris des technologies de pointe de l’Union. On en a cruellement besoin en ce moment. Grâce à Zhanlu, une fois les portails de transfert reconstruits, nous pourrons le connecter à son corps principal dans la Première Galaxie et ainsi contacter immédiatement le Commandant Lin et les Dix d’Argent ; cela contribuera aussi à renforcer la défense de notre galaxie. »

Le Premier Ministre ouvrit la bouche, incertain de quoi répondre.

Lu Bixing tira son formulaire de demande de son appareil personnel et le transféra vers celui du Premier Ministre pour qu’il le signe. Puis, il ajouta : « Je m’étais toujours vanté devant Lin sans réfléchir, en disant que je pourrais reconstruire le mécha de Zhanlu et même tout le système Eden si j’avais un labo… J’étais vraiment naïf. Maintenant que je me penche enfin sur le système central, je réalise à quel point nous sommes en retard ici ; le sommet de la technologie de l’Union est à des années-lumière de nous… Bon, maintenant que vous êtes de retour, je vais pouvoir me remettre au travail. »

« Lu Bixing, » l’interpella le Premier Ministre, luttant pour trouver ses mots : « Certaines… certaines choses ne peuvent pas être changées par la volonté humaine. Nous n’avons pas le choix, alors il faut apprendre à les accepter. »

Lu Bixing ignora les mots qu'il ne voulait pas entendre, comme s’il était sourd, et sortit sans montrer la moindre intention de s’arrêter.

 

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Note du traducteur

La réaction de Lu Bixing est le déni. C’est un mécanisme de défense psychologique qui se manifeste souvent en réponse à des événements traumatiques ou à des chocs psychologiques violents. Cela permet à l'individu de protéger son esprit face à des réalités qu'il n'est pas encore prêt à affronter. C'est une forme de défense qui peut offrir un certain répit face à la douleur ou à l'angoisse.

 

Traducteur: Darkia1030

 

 

 

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